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furent trouvées mêlées aux lettres de quelques dames fort indignes de lui être comparées. Malgré la douleur que les propos qui se tinrent à ce sujet, et l'obligation d'avoir à se justifier, devaient causer à un cœur comme le sien, elle ne craignit point de manifester hautement et noblement l'intérêt qu'elle portait au malheureux Fouquet; elle suivit tout le procès, dont elle rendait compte à M. de Pompone dans un style net, animé, rapide, modèle de clarté et surtout de concision : « Le style des relations doit être court, dit-elle.

Elle partagea toutes les angoisses du prisonnier, ou plutôt de ses amis, car il était le plus tranquille, et elle se montra digne en cette circonstance de se placer à côté de la Fontaine, à qui on l'a souvent comparée.

La conduite généreuse de madame de Sévigné devait lui porter bonheur; le public qui n'est « ni fou, » ni injuste, » la justifia bientôt de l'imputation portée contre elle. Bussy même, alors brouillé avec sa cousine, prit hautement son parti, et ce n'était pas générosité de sa part, mais justice; car il tenait du chancelier le Tellier qui, seul avec le roi, avait vu les papiers de Fouquet, que les lettres de la marquise étaient seulement « celles d'une amie qui avait » bien de l'esprit ; » que le roi en avait jugé ainsi, et que le surintendant avait mal à propos « mêlé l'amour avec l'amitié. »>

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Le comte de Bussy Rabutin, connu par ses bonnes fortunes et plus encore par le bruit qu'il en faisait, brave et spirituel, mais arrogant, irascible et vain jusqu'à l'extravagance, n'était pas homme à donner quand il se croyait offensé. Dans un moment

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où, partant pour l'armée, il avait eu besoin d'argent, il s'était adressé à sa cousine; il avait cru voir dans les lenteurs de l'abbé de Coulanges, sans lequel madame de Sévigné ne voulait traiter aucune affaire, une preuve de mauvaise volonté, et s'en était vengé à sa manière par ce fameux portrait inséré dans les Amours des Gaules. Il faut dire à l'excuse de Bussy, que la publication de ce livre n'eut lieu que par la trahison d'une femme à laquelle il avait confié son manuscrit, et qui en fit passer une copie en Hollande; et, à la gloire de madame de Sévigné, que la plume la plus dangereuse de France, guidée par la colère et la vengeance, se crut obligée de respecter ses mœurs, et d'avouer que l'honneur de son mari était sauf « devant les hommes «, bien qu'il le tint pour « compromis devant Dieu; » assertion qu'il est, du reste, bien permis de lui nier, car il est à croire qu'on ne l'avait pas mis en tiers dans la confidence.

Bussy fut enfermé à la Bastille', et plus tard exilé dans ses terres. Sa conduite dans l'affaire du surintendant, sa prison et son exil, avaient adouci quelque peu le ressentiment de sa cousine; cependant elle ne s'en réservait pas moins d'avoir avec lui une explication, et de lui dire une bonne fois ce qu'elle avait sur le cœur. Aussi la voit-on, dans ses lettres, en saisir la première occasion. Comme elle est prompte alors à commencer le combat! Comme elle sait prendre les avantages de la position! Quelle vivacité dans l'attaque et dans la riposte! Comme elle dépouille son

On croit que ce fut moins à cause de son livre que des alleluia qui contenaient une audacieuse allusion aux amours de Louis XIV.

adversaire de tous les mauvais prétextes dont il s'enveloppe! Comme elle le presse et le pousse, sans le laisser respirer, dans ses derniers retranchements, jusqu'à ce qu'elle l'ait réduit à lui rendre les armes et à crier merci! Avec quelle grâce ne lui dit-elle pas alors, dans un langage chevaleresque : « Levez-vous, Comte, je ne veux

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pas vous tuer à terre, ou reprenez votre épée, pour » recommencer le combat. »

Pendant ce temps, sans négliger ni le monde, ni le soin de ses affaires, elle n'avait cessé de s'occuper de ses enfants. Grâce à la bonne éducation qu'elle donna à sa fille, elle en fit « quelque chose de si extraordi» naire, au dire de Bussy, » que lui « qui n'était point » du tout flatteur, ne la nommait jamais que la plus jolie fille de France, croyant qu'à ce nom tout le monde la devait reconnaître.

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Mademoiselle de Sévigné avait été présentée à la cour, et, sous les traits d'une nymphe, d'une amazone ou d'une bergère, elle faisait, par les charmes de sa figure et la perfection de sa danse, l'ornement de toutes les fètes. Pendant qu'elle triomphait dans ces menuets où MADAME seule pouvait l'égaler en gråces et en légèreté, les yeux de sa mère rougissaient de plaisir et d'admiration. Les courtisans prédisaient que cette beauté brûlerait le monde, et ces louanges étaient célébrées à l'envi par tout le chœur des poètes que domine encore la voix de la Fontaine :

Sévigné, de qui les attraits
Servent aux grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près.....

Cependant, à cause peut-être de cette indifférence,

les prétendants ne se pressaient point de se montrer, et les vingt ans de mademoiselle de Sévigné la trouvaient encore fille, à la grande surprise de sa mère. « Sa destinée est si difficile à comprendre, que je m'y >> perds,» disait-elle. Ce fut alors que le duc de Brancas, le distrait, porta la parole au nom de François Adhémar de Monteil, comte de Grignan. Quoique ce comte eût presque deux fois l'âge de sa fille, et qu'il en fût à son second veuvage, madame de Sévigné, frappée de la grandeur de sa maison...... « l'une de ces familles en velours rouge cramoisi, » comme les appelait madame Duplessis - Guénégaud, le regarda comme un bon parti, du moins selon le monde : « car, dit-elle, on est si sot, que c'est quasi sur cela qu'on se règle. »>

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Vers la même époque, son fils, le baron de Sévigné, qui déjà avait été guerroyer en Candie, devint guidon des gendarmes-dauphin; ce guidon, « qui n'était point du tout Guidon le Sauvage,» passait pour un charmant cavalier; il possédait, au dire de sa mère, << toutes les petites vertus qui font le charme de la so» ciété. » Il tenait d'elle un esprit fin, le goût des bonnes lectures, une grande facilité d'humeur; mais il manquait de cette juste proportion entre la force du caractère et l'étendue de l'esprit qui fait les hommes complets, et sans laquelle les plus brillantes facultés demeurent souvent inutiles. Sa faiblesse le jetait sans cesse dans des désordres que sa raison condamnait, dans des passions à froid auxquelles il cédait sans y croire, et qui lui attiraient de la part de Ninon des épithètes trop familièrement hardies pour oser les répéter. Il était prodigue sans éclat, trouvant moyen de

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dépenser, sans paraître, de perdre, sans jouer, et de payer, sans s'acquitter; enfin, un abime de je ne sais » pas quoi, car il n'a aucune fantaisie, écrivait madame » de Sévigné; mais sa main est un creuset où l'argent se fond. Au demeurant, le meilleur et le plus aimable fils du monde; aimant sa charmante mère comme elle méritait d'être aimée, tout en la désolant par ses folies; ne l'abordant qu'à genoux, quand il rentrait au gîte après quelque nouvelle extravagance, tandis qu'elle cherchait vainement dans son cœur la colère qu'elle s'était promis de lui montrer. Avec une sage indulgence, elle se laissait donner les plus mé» chantes raisons du monde, qu'elle prenait pour > bonnes; » ne repoussait point une confiance qui lui valait parfois d'assez vilaines confessions,» pour garder le droit de dire en passant au cher étourdi « un petit mot de Dieu et de ses devoirs; >> mais sans le fatiguer de morale, s'attachant surtout à lui rendre la vertu aimable par son exemple, sachant bien que tant qu'il se plairait avec elle, tout n'était pas perdu.

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Sans jamais abandonner sa tâche maternelle, elle attendait avec patience que sa jeunesse cessat « de lui » faire du bruit. » Toujours prête à le secourir de ses avis jusque dans les folies qu'elle déplorait, elle le forçait à retirer des mains de Ninon les lettres de la pauvre Champmeslé, en lui rappelant que « même » dans les choses déshonnêtes, il y a de l'honnêteté à observer. » Madame de Sévigné devait recueillir le fruit d'une tendresse aussi éclairée; peu-à-peu elle parvint à détourner son fils de cette dissipation, elle lui fit faire un bon mariage, et le laissa avec « un fond ⚫ de philosophie chrétienne, chamarré d'un brin d'a

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