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Et moi, je dirai aux digues Représentans qui ne peuvent être confondus avec ces ennemis du genre humain, à ceux qui, de concert avec quelques écrivains honnêtes et courageux, luttent contre l'influence encore menaçante des derniers fauteurs de la barbarie : Si vous voulez ramener la lumiere et les mœurs après les tenebres et les crimes, rétablissez les anciennes écoles; réta◄ blissez-les, avec les réformes très-faciles et trèslégeres que peut comporter la nature d'un gouvernement libre et légal. Il est aussi trop absurde que des universités ne puissent se concilier avec une république, et qu'une république puisse craindre des universités.

C'est cet intérêt si pressant et si prochain qui m'a entraîné un moment, non pas hors de mon sujet, mais un peu au-delà. Vous le pardonnerez sans doute en faveur de l'intention, quand bien même elle serait sans effet. Je reviens.

Charlemagne retarda peut-être les progrès de la langue française en faisant réguer dans ses vastes Etats la langue des Romains, qui fut généralement en France celle des lois et des actes publics jusqu'à François Ier. Si nous jetons les yeux sur l'Espagne, l'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, nous les voyons, pendant près de six cents ns, foulées tour-à-tour sous le choc des Barbares qui s'en disputent la possession; et lorsque les nations, formées de ce mélange d'indigens asservis et de conquérans étrangers ont pris quelque consistance, l'Europe entiere, comme arrachée

ans,

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de ses fondemens par cet enthousiasme de croisades que la Providence ne paraît pas avouer, se renverse sur l'Asie mineure; sur la Palestine et l'Egypte; et ces longues et violentes secousses éloignent encore le moment où les peuples du Nord, qui des provinces romaines de l'Occident avaient fait tant de royaumes, pouvaient déposer par degrés la rouille de leur origine, et se dégager de cette grossiéreté de mœurs et de langage, incompatible avec la culture des arts. Les croisades servirent à l'affranchissement des communes et au développement des idées de commerce; mais en agitant les Empires encore peu affermis, elles ôtaient aux gouvernemens, de qui tout dépend toujours, le loisir et les moyens de s'occuper des

lettres.

Dans cet engourdissement des esprits, à qui avons-nous l'obligation d'avoir conservé du moins une partie des matériaux dispersés, qui servirent dans la suite à reconstruire l'édifice des connaissances humaines? L'histoire, qu'on ne saurait démentir, répond pour nous, que c'est encore aux gens d'église : eux seuls avaient quelque teinture des lettres, et de là vient que le nom de clerc devint le synonyme d'homme lettré, et se donna même par extension à quiconque savait lire; ce qui pendant long-tems fut assez rare pour être un titre privilégié. Je ne dissimulerai point que cet avantage fut un de ceux dont abusa la corruption, qui se mêle à tout bien sans le détruire, On s'est quelquefois étonné que les peuples et les

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rois aient souffert patiemment les usurpations de la puissance sacerdotale: la raison s'étonne seulement qu'on ait été de nos jours assez injuste et assez inconséquent pour les attribuer à la religion qui les a toujours condamnées, et à l'église qui les a toujours désavouées. La raison sait que le bien est dans la nature des choses, et le mal dans la nature de l'homme qui abuse des choses. Cette patience qu'on reproche aux peuples, n'était pas seulement une conséquence mal entendue du respect, d'ailleurs légitime en lui-même, que l'on rendait à un ministere sacré; c'était aussi une suite naturelle du pouvoir des lumieres sur l'ignorance. Pour remédier à cet abus des lumieres, qui n'existait plus depuis qu'elles étaient répandues par le secours de l'imprimerie, on a imaginé de nos jours de faire régner l'ignorance sur les lumieres; et nous n'avons pas besoin d'attendre ce que l'Histoire dira de ce systême nouveau, résumé complet et digne résultat de l'esprit révolutionnaire l'expérience a été, ce me semble, assez forte pour être une leçon suffisante; ou si elle ne suffisait pas, il est douteux que la Providence elle-même, qui ne peut que le possible, put donner une leçon plus efficace. Après ce que nous avons vu et ce que nous voyons, il ne paraît pas qu'elle puisse faire davantage pour corriger une Nation tombée en démence, à moins de l'anéantir.

On doit donc aux études des clercs d'avoir préparé le rétablissement des lettres par la con

servation des manuscrits, trésors uniques avant l'imprimerie: on leur doit la perpétuité des langues grecque et latine, sans laquelle ces trésors devenaient inutiles. La plupart ont été déterrés en différens tems dans la poussiere des bibliotheques monastiques, et c'est surtout depuis le douzieme siecle jusqu'au quinzieme, que les copies des ouvrages de l'antiquité commencerent à devenir moins rares, et firent d'abord renaître l'érudition, qui long-tems ne s'énonça guere qu'en latin, aucun peuple ne se fiant encore assez à sa propre langue, pour la croire capable de faire vivre les productions de l'esprit. La poésie seule, plus audacieuse, avait hasardé quelques' essais informes, qui ressemblaient au bégaiement de l'enfance, Deux hommes pourtant, avant que l'impression fût connue, furent assez heureux pour produire dans leur idiôme naturel des ouvrages qui contribuerent à le fixer, et que leur mérite réel a même transmis jusqu'à nous. Ce fut l'Italie qui eut cette gloire; ce qui prouve que sa langue est celle des langues modernes qui a été perfectionnée la premiere, et que ce fut le pays de l'Europe où, dans les tems de barbarie, il se conservait encore le plus d'esprit et de goût pour les arts. Ces deux hommes furent le Dante et Pétrarque : l'un, dans un poëme d'ailleurs monstrueux et rempli d'extravagances que la manie paradoxale de notre siecle a pu seule justifier et préconiser, a répandu une foule de beautés de style et d'expressions, qui devaient être vivement senties par ses compatriotes,

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et même quelques morceaux assez généralement beaux pour être admirés par toutes les nations: l'autre, né peut-être avec moins de génie, mais avec plus de goût, a eu le défaut, il est vrai, de faire de l'amour un jeu d'esprit presque continuel; mais cet esprit a quelquefois saisi le ton et le langage du sentiment, surtout dans ses odes appelées Canzoni, et même a su, dans des sujets plus relevés, tirer de sa lyre quelques sons assez nobles et assez fermes pour nous rappeler celle d'Horace. Son plus grand mérite est dans une élégance qui lui est particuliere, et qui l'a mis au rang des classiques de son pays.

Il fut le maître de Bocace, qui fit pour la prose italienne ce que Pétrarque avait fait pour les vers, dans ce même pays qui semblait destiné à faire tout renaître. Il se distingua, il est vrai, dans un genre moins relevé que celui de Pétrarque, mais heureusement susceptible, par sa variété, de tous les caracteres d'élégance qui peuvent convenir à la prose. Le conteur Bocace joignit à la naïveté du récit une pureté de diction, qui, plusieurs siecles après lui, le rend encore pour ainsi dire le contemporain des auteurs les plus estimés en Ita lie; et c'est un avantage que n'ont point en France ni en Angleterre les écrivains qui ont montré du talent avant que leur langue fût fixée : la tournure de leur esprit a préservé leurs ouvrages de l'oubli, mais n'a pu empêcher leur langage de vieillir.

Le milieu du quinzieme siecle fut l'époque némorable de l'invention de l'imprimerie, de

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