Page images
PDF
EPUB

et à la nature; toutes sont de la théologie, de la psychologie ou de la physique.

[ocr errors]

M. Massias considère dans l'homme trois grands faits qui, selon lui, l'expliquent tout entier, l'instinct, l'intelligence et la vie : l'instinct, qui commence son existence et en fait le fonds primitif; l'intelligence, qui la développe; la vie, qui la complète. Pour tout ce qui est de premier mouvement et ne peut attendre la réflexion, pour tout ce qui risquerait d'être mal fait sous le régime de la volonté, l'instinct veille et agit: c'est la providence de l'homme avant qu'il sache rien, et quand il a sa raison, c'est encore sa providence, si sa raison ne suffit pas. Cependant toutes ses actions n'ont pas été remises à la conduite de l'instinct il en est un grand nombre dont il doit être lui-même le conseil et l'agent. Pour celles-là, il a là pensée, la liberté et la moralité : par conséquent, sans instinct il ne vivrait pas ; sans intelligence il ne vivrait pas moralement. Pour lui, la vie n'est complète que par l'union harmonieuse de ces deux facultés. L'instinct, pur besoin de conservation, a pour objet l'assimilation, la nutrition et la reproduction. L'intelligence, acte de sentiment et de raison, embrasse une foule d'autres objets, elle considère l'utile, le vrai, le beau, le bien; elle s'étend à toute la destinée humaine. La vie est en bon chemin quand', dirigée, d'une part, par les sûrs avis de l'instinct, de l'autre, par les hautes et sages vues de la raison, elle s'accomplit selon l'ordre de la providence et de la conscience; elle arrivé alors à la vertu et au bonheur qui, ensemble, sont le vrai but de toute l'activité de l'homme.

En résumant de la même façon les idées que l'auteur a développées sur le monde et sur Dieu, on

y

reconnait qu'il considère l'un comme un ensemble d'existences qui, créées, ordonnées et conservées, en vertu de certaines lois, n'est lui-même qu'un effet d'une cause supérieure; l'autre est cette cause supérieure, éternelle, immense, souverainement active, intelligente et forte; elle prend l'univers, qu'elle a produit, pour théâtre de sa puissance; elle fait naître et vivre tous les êtres qu'elle appelle à y jouer un rôle. Toute la création n'est qu'un grand drame; le poète mystérieux et divin qui l'a conçu et mis en jeu ne s'y montre pas en personne; il n'est pas ici plutôt que là; il n'a pas été hier plus qu'aujourd'hui mais partout et toujours il est et se fait sentir, il ne se dévoile pas, mais il se prouve, et, sans s'expliquer intimement, il se fait connaître par signes et se révèle par symboles. Si ce n'est pas assez pour notre curiosité, ce doit être assez pour notre raison: telles sont les idées sages dans lesquelles M. Massias nous a paru se renfermer sur un sujet si difficile et si grave.

:

Si maintenant on se demande quelle est la couleur de cette doctrine, on n'aura pas de peine à voir que c'est celle du spiritualisme : c'est ce qui paraît assez au simple aperçu que nous venons d'offrir. Il n'y a en effet que le spiritualisme qui mène aux résultats que nous avons énoncés; mais s'il en fallait d'autres preuves, on les trouverait en lisant les notes très étendues que l'auteur a consacrées à la réfutation de diverses opinions matérialistes: il les attaque avec autant de force que de bonne foi, sans esprit de parti, sans préjugé ni aveuglement. Il ne mêle à la discussion rien d'étranger, rien de politique et d'intéressé ; il n'y parle que de science.

Quant au caractère même de ses idées, il semble que quelquefois il les présente sans leur donner assez ce développement extérieur, cette exposition sensible, cette démonstration de l'auteur au lecteur, qui cependant leur prêterait du relief et de la lumière. Il philosophe trop pour lui, et pas assez pour le public; il ne prend pas les esprits où ils en sont pour les conduire où ils veulent aller; il a sa route à lui, et la suit sans prendre garde; il ne songe à personne; il n'enseigne pas, il pense; il pense à sa manière, comme il l'entend, en solitaire : de là quelque chose d'arbitraire et d'un peu étrange, soit dans le fond, soit surtout dans la forme de ses ouvrages.

On ne saurait contester à M. Massias la faculté du sens philosophique; il la possède certainement, mais il ne l'applique pas toujours avec assez d'art et de méthode. Il voit trop par aperçus; il s'en tient trop au simple aspect. En présence des faits, il n'attend pas, l'œil attentif, qu'ils se déterminent, se dégagent, et se montrent à lui nettement après un premier moment d'observation, il les laisse aller, et n'en garde qu'une notion de première vue. Aussi qu'arrive-t-il? c'est qu'au lieu de les expliquer, il les indique seulement, les résume, et ne les montre pas. Il pèche par concision, et devient obscur faute de développement : ce qui n'empêche pas néanmoins que, quand il affectionne une idée, il ne s'y arrête avec complaisance, ne la suive longuement, ne l'étende, ne la délaie avec une surabondance d'expressions qui fatigue le lecteur; en sorte qu'à côté de l'extrême concision règne parfois la diffusion, et qu'on voit se succéder, par un rapprochement sin

[ocr errors]

gulier, des formes arides de logique et des développemens demi-poétiques, des définitions pressées et des descriptions prolongées; mélange peu agréable de deux genres de style, où l'on reconnaît tour à tour la manière de Condillac, et celle de Bernardin.

Pour finir par un jugement général, il nous semble que M. Massias, dont le livre est plein de philosophie, quoiqu'il ne soit pas parfaitement philosophique, penseur par goût, esprit sérieux et sage, riche de connaissances variées, avait tout ce qu'il fallait pour faire un ouvrage excellent. Mais on dirait qu'il a fait le sien avant d'être bien préparé, c'est à dire, avant d'avoir perfectionné ses bonnes qualités, corrigé ses défauts, achevé son éducation de philosophe et d'écrivain. S'il en eût été autrement, il eût sans doute réussi à se concilier un peu plus de cette popularité de bon aloi, qu'un livre fait en conscience comme le sien manque rarement d'attirer à l'auteur qui y a consacré ses veilles et son talent : il eût ainsi joui du prix de ses longs travaux, et obtenu la récompense que mérite, sans aucun doute, son dévouement à la science et son amour de la vérité.

A peine l'Essai sur l'histoire de la philosophie en France au 19° siècle était-il publié, que nous avons reçu de M. Massias des observations sous forme de lettre (1), auxquelles il serait injuste de ne pas avoir égard.

Il nous reproche de n'avoir pas lu son Problème de l'esprit humain ; nous répondrons que nous l'a

(1) Lettre à M. Ph. Damiron, par M. le baron Massias; chez Firmin Didot, rue Jacob.

vons lu, et que nous l'avons même annoncé dans le Globe du 28 janvier 1826. Quoique l'annonce fût peu développée, elle indiquait cependant, d'une manière assez exacte, le sujet général du livre, les principales questions dont il traite, et l'esprit du système qui y est exposé.

Quant aux autres ouvrages de l'auteur, nous les avons désignés sous le titre commun de Rapport de ta nature à l'homme et de l'homme à la nature, parce que l'auteur les y rattache, au moins pour la plupart, comme en étant la suite et le complément. C'est, en effet, dans le Rapport de la nature à l'homme, etc., qu'est le fonds de ses idées et la généralité de ses principes. Du reste, pour plus d'exactitude, citons en particulier la Théorie du beau et du sublime, et les Principes de littérature, de philosophie, de politique et de morale.

-1

-1 Rapportons aussi plusieurs passages que M. Massias a rapprochés dans sa lettre, dans le but de mieux faire sentir sa véritable pensée : ce sont des espèces d'aphorismes qui la résument et la définissent.

[ocr errors]

«La force impressive des lois universelles s'unit à l'action perceptive de chacun de nous, sans alté rer en rien notre individualité; elle y sollicite et règle la production des phénomènes organiques, intellectuels, sociaux et moraux, ces derniers étant néanmoins définitivement soumis à des lois d'un ordre plus élevé, à celles du devoir, du beau, du sublime. En considérant notre espèce sous ce point de vue, on peut résoudre les difficultés contre lesquelles ont, jusqu'à présent, échoué toutes les philosophies, donner des bases assurées à nos connaissances et à nos arts, et élever la morale et la

« PreviousContinue »