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conséquent, dans son rapport avec les corps, comme la force de laquelle vient toute attraction et toute répulsion, toute composition et toute décomposition, toute combinaison, tout mouvement, etc.; et dans son rapport avec les esprits, comme la force, qui a, puisqu'elle les donne, l'intelligence, l'amour et la liberté, mais les a comme elle doit les avoir, sans limites et sans défauts; on le concevrait enfin comme la force, qui a tout fait et se fait voir en toutes choses. Il faudrait à ces attributs joindre ceux qu'ils supposent nécessairement, tels que l'éternité, l'immensité, la toute-puissance, etc. Ainsi apparaîtrait au bout de toutes les sciences, et révélé par leurs recherches, ce majestueux inconnu qui se fait sentir à tout le monde obscurément, tant qu'il n'est pas dégagé à force d'étude et de philosophie.

Il n'est pas besoin d'avertir, en finissant, que nous portons à toutes ces questions un trop profond respect pour croire les avoir traitées dans le peu de mots qui viennent d'y être consacrés; nous les avons plutôt adorées et indiquées avec religion aux esprits qui les recherchent. Nous ne voulions que les montrer dans leu ordre et leur enchaînement. Comme historien nous n'avions pas autre chose à faire.

ESSAI SUR L'HISTOIRE

DE

LA PHILOSOPHIE
EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE.

SUPPLÉMENT.

Je veux avant tout, dans ce Supplément, exprimer en quelques mots l'opinion, que j'ai aujourd'hui sur un ouvrage, qui n'est plus pour moi comme si je venais de le faire hier, et dont je puis parler avec d'autant plus d'impartialité, que je ne me sens guères à son égard aucune des faiblesses de l'amour paternel. Je ne le renie pas, mais je n'en suis pas fier; je le vois, je crois, sans illusion.

Le premier défaut que j'y remarque c'est d'avoir été composé pièces à pièces, et dans un ordre de succession qui a tenu de l'occasion beaucoup plus que de la logique. En effet, lorsque je débutai, je ne songeais pas à faire un livre, je ne faisais que des articles, et à mesure que j'avançais, je n'ajoutais pas en les liant un chapitre à un autre, mais un article à un autre article, commençant souvent par la fin, continuant par le commencement, finissant par le mi

lieu, juxtapposant et ne construisant pas.Ce n'est qu'après quelque temps, et quand je me vis par devers moi un assez bon nombre de matériaux, que je pensai à les réunir et, s'il était possible, à les coordonner dans un seul et même ensemble. Ce fut alors et après coup que je cherchai certains liens, que je comblai certains vides, et qu'avec une industrie parfois assez laborieuse je parvins à arranger le tout en une façon de système. Mon œuvre eut un air de livre; mais quoique j'aie fait et pu faire dans deux éditions successives, elle s'est toujours ressentie de son vice originel; conçue sans unité, elle est restée sans unité, et l'espèce de plan apparent à l'aide duquel j'ai tâché d'en joindre les diverses parties, n'est pas fait pour tromper un œil un peu exercé; ce n'est guères qu'un raccord plus ou moins bien dissimulé. De là non pas précisément des contrariétés et des dissidences, au moins quant au fonds des choses, mais des disproportions et des dissonances dans le mode d'exposition. Ainsi par exemple l'école théologique est traitée, je le crois, avec plus de force et de relief que l'école sensualiste; pourquoi? parce que entr'autres raisons, j'y suis arrivé plus tard, avec plus de maturité de jugement et de réflexion, avec un sentiment plus profond du crédit dont elle jouissait au moment où je l'abordais; tandis que pour l'école sensualiste sur laquelle d'abord je m'essayai, je me trouvai moins préparé, moins occupé d'ailleurs de son influence philosophique qui chaque jour décroissait; cela est si vrai que quand plus tard elle reprit entre les mains d'un de ses plus vifs représentans une nouvelle vigueur et un nouvel éclat, mieux instruit et plus animé, j'en discutai, je crois, la doctrine capitale, avec plus d'élan et de profondeur.

C'est pourquoi je préfère l'article de M. Broussais à celui de Cabanis; comme je préfère à leur tour ceux de MM. de Maistre et de Lamennais à ceux de Garat et de M. de Tracy.

Et la même diversité que présentent les idées, le style la présente aussi : il n'est pas tout de la même manière, non plus que de la même date. Il y a le style de l'homme, je devrais dire, du jeune homme, qui a plus souci de la forme, que de la pensée elle-même, et qui écrit la philosophie moins en philosophe qu'en littérateur. Et puis il y a aussi un autre style qui est mieux celui de la chose, qui est plus sérieux, plus approprié aux sujets auxquels il s'applique. Je m'explique bien ces oppositions; c'est qu'en moi le littérateur a précédé le philosophe, et que mes premières habitudes me sont demeurées, alors même que j'essayais et que je commençais à en prendre d'autres. Il est sans intérêt pour le public de lui raconter comment s'est faite mon éducation de penseur; mais pour moi, quand en ma mémoire je la repasse et y réfléchis, je vois bien par quelles lectures, par quelles leçons, et par quelles impressions j'ai été successivement amené à ces diverses variations. Je me rappelle le temps, où, pauvre enfant mal instruit, je ne savais encore vraiment ce que c'était que penser, qu'exprimer sa pensée, et où cependant je voulais écrire, et le tentais de mon mieux; je me rappelle, et c'est toujours avec une vive reconnaissance, le premier maître qui m'apprit à développer une idée et à modeler une phrase, et comment la phrase me plut à tourner et à arranger, souvent même aux dépens du fonds. Je me rappelle l'École Normale et ses incisives sévérités, le nouveau maitre que j'y trouvai et qui

pour moi, comme pour bien d'autres, fut un véri– table instituteur de vie intellectuelle. Je passai sous cette discipline des jours qui ne furent pas perdus; je commençai à philosopher, c'est à dire à me proposer des questions à résoudre, une méthode à employer, des systèmes à juger; j'écrivis moins pour écrire, et plus pour m'éclairer et me rendre compte à moi-même de mes opinions et de mes doutes; je passai à un exercice plus viril de l'esprit, je changeai de manière. Mais il dût arriver et il arriva que long-temps encore la première reparut dans la seconde, et que surtout leurs défauts se combinèrent malheureusement. Ainsi aux délicatesses littéraires, aux petits soins de l'expression se joignirent trop souvent les subtilités de l'analyse; trop souvent la logique ajouta ses raffinemens aux fausses recherches de la rhétorique. Puis quand j'eus charge d'enseignement, de celui de tous les enseignemens où il importe le plus que la parole, y compris la pensée, soit claire, simple, grave et naturelle, j'ai bien dû apporter quelque amendement à mon style, et lui donner un caractère plus décidément philosophique. Ma position m'en faisait une loi. De là sans doute ce qu'il y a de plus convenable dans la façon dont j'ai rendu certaines parties de mon ouvrage. Tel est, à mon avis, l'essai que j'ai publié ; il est pour moi comme un résumé de mes différens âges d'écrivain; il en porte toutes les dates et je m'y reconnais tout entier. Mais alors pourquoi ne l'avoir pas corrigé? pourquoi y avoir laissé des traces d'un art faux et imparfait? parce qu'il aurait fallu le refaire et que j'ai bien pu faire ce livre, mais que je ne saurais le refaire, que je ne saurais le refondre et le jeter dans une nouvelle forme, au

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