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voir d'où nous venons, où nous allons, et comment nous devons aller.

Telles sont les réflexions par lesquelles doivent s'éclairer les derniers doutes que l'on pourrait élever sur l'excellence de la méthode d'observation.

DEUXIÈME PARTIE.

DES QUESTIONS GÉNÉRALES A TRAITER EN PHILOSOPHIE.

Entendue comme elle doit l'être, la méthode d'ob servation, en s'appliquant aux faits de l'ame, doit certainement conduire à la science de ces faits. Que sera cette science, nous ne prétendons pas le dire; avant, il faudrait qu'elle fût, et elle est encore à faire ou du moins à finir: mais à défaut d'exposition, donnons du moins une indication.

Et d'abord il s'agit de l'objet même à étudier (1), du sujet dont on se propose de reconnaître la nature et d'expliquer les facultés. Ce sujet est le moi. Sur ce, point de débats, point de divisions d'opinions. Il n'y a pas deux manières de voir : car qui jamais a nié sa propre existence, cette existence qu'il se sent, cet être qu'il appelle moi, qu'il retrouve sans cesse en lui, et qu'il distingue de toute autre chose?

L'ame, on peut la nier en tant que substance spirituelle; il y a des hypothèses dans ce sens-là: mais le moi, mais cette substance individuelle qui a conscience d'elle-même, nul système n'a tenté d'en contester la réalité; il y aurait trop d'absurdité. Ainsi, le moyen pour la science d'avoir d'abord une vérité qui soit admise par tout le monde c'est de prendre, non

(1) Ceci est comme le programme de mon Cours de philosophie publié en 1832 et 1834.

pas l'ame, mais le moi, pour sujet de son examen, sauf plus tard, à élever et à discuter la question de l'être spirituel. La voilà donc sûre d'un principe, c'est qu'il est quelque chose en l'homme qui a conscience et égoïté, et qui est le centre de tous les faits qui modifient son existence.

Mais qu'est ce quelque chose? quelle en est la națure? sous quels rapports l'observer? qu'y chercher et qu'y voir? Ce qu'on y voit, avant tout, quand on procède avec ordre, c'est l'activité, c'est une activité pure et entière, qui, quoique sujette à des impressions, n'est pas pour cela passive, si par là on entend inerte, mais seulement réceptive, excitable, accessible et sensible à l'action des causes extérieures. Cette activité est de plus constante, continue et comme immortelle; latente ou manifeste, languissante ou énergique, nécessitée ou libre, de toute manière elle persiste, ne cesse pas pour recommencer, cesser et recommencer encore; si elle se repose, c'est sans s'arrêter; elle va moins vite, mais elle va toujours, c'est une moindre action, et rien de plus. Or, ce qui est actif, uniquement actif, est force autant que possible: tel est le moi, il est donc force.

Mais est-il une seule force ou plusieurs forces réunies? est-il un dans son activité, ou composé et multiple? Voilà un nouveau point à éclaircir. D'abord ce qui paraît clair, c'est que si le moi était multiple, il ne serait au fond que plusieurs moi. Il y en aurait deux, trois, quatre, plus ou moins, le nombre n'y ferait rien; il y en aurait un pour sentir, un autre pour penser, un autre encore pour vouloir, autant de moi que de facultés que la conscience attesterait: or, rien de semblable ne se passe pas en nous; c'est

au contraire le même moi qui est ou fait tout ce qui s'y voit ; toutes les émotions sont les siennes, toutes les idées sont les siennes, toutes les volontés les siennes, il n'y a que lui dans tous ces faits : ilse diversifie de mille façons, sans jamais perdre son unité; cette unité suffit à tout, parce qu'elle est vivante, énergique, féconde, et qu'elle peut par sa nature, et selon les circonstances, se prêter aux développemens les plus variés et les plus singuliers.

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Elle n'est pas comme celle de parties qui tiennent ensemble par un rapport soit de temps soit de lieu. Dans ces deux cas, y a du nombre; on compte les choses qui se succèdent, on compte celles qui se combinent, on en conçoit du moins l'énumération. Quant au moi, il ne fait ni série dans la durée, ni composé dans l'espace, il dure et il agit, il ne se donne pas à compter. Il est simple, et cette simplicité, qui ne tombe pas sous les sens, qui n'est ni étendue, ni figurée, ni sonore, ni rien de semblable, achève par là de distinguer l'unité réelle de l'unité apparente; l'unité morale de l'unité physique, le moi de la matière.

Un autre fait, qui se présente à la suite de celui-ci, c'est l'identité personnelle. Cette force, qui se sent dans le présent, se souvient de s'être sentie dans le passé; elle a mémoire d'elle-même comme elle en a conscience; ce qu'elle sait être en ce moment, elle se rappelle l'avoir été. Il faut donc que, de l'une à l'autre époque, elle n'ait eu réellement qu'une seule et même existence, il faut qu'elle ait durée identique en son unité; autrement elle ne se reconnaîtrait pas aujourd'hui pour être encore ce qu'elle fut hier, et, parmi ce qu'elle se retrace, elle ne verrait rien de

personnel, rien qui lui appartînt réellement. Or, c'est ce qui n'est pas; bien au contraire, ses réminiscences sont toujours tellement pleines d'elle-même, qu'elle aurait peine à en trouver une où elle ne fût pas par quelques rapports, tant il y a d'elle dans toutes les choses dont elle se représente l'existence. Elle est la même continuellement. Et la variété de ses actions n'est pas une objection contre cette parfaite identité; il ne s'agit, pour le concevoir, que de remarquer que cette force identique et permanente n'est pas rigide, uniforme, toute d'une pièce, pour ainsi dire, de manière à n'avoir qu'une faculté et qu'un développement; elle est vivante, mouvante, flexible, susceptible d'une infinité de modes divers; et comme les occasions ne lui manquent pas, il n'est pas dans la durée deux instans où elle se montre semblable de tout point à elle-même : elle nuance à merveille son inépuisable activité; mais, sous toutes les formes qu'elle revêt, pendant le jeu auquel elle se livre, elle ne cesse pas d'être elle-même, sa substance demeure, et la variété de ses mouvemens atteste sa facilité à se modifier selon le besoin, et non un changement radical et une mutation d'existence.

Actif, un, simple, identique, on voit déjà assez clairement que le moi n'est pas la matière, et que, sous tous ces rapports, il s'en distingue par des différences assez sensibles. Il n'y aurait point de difficulté à traiter dès à présent la question de l'immaté– rialité; les argumens ne manqueraient pas, mais il vaut mieux attendre; la science, en avançant, ne peut que répandre de nouvelles lumières sur un sujet qui en exige tant. Ainsi donc, ce qu'il y aura à faire après ce qui vient d'être indiqué, ce sera de se de

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