Page images
PDF
EPUB

tion qu'on leur donne ne soit que le sens commun, abstrait et généralisé.

C'est où en est M. Jouffroy. Avec le goût et le talent qu'il a pour l'expérience psychologique, il se place en tout sujet dans un point de vue si large, il se presse si peu de conclure, il aime tant à attendre, et il en a tellement la force, que, tranquille en ses recherches sur la foi de sa méthode, il laisse tout venir à lui, tout paraître et se développer jusqu'au moment où, sûr enfin de sa conscience et de sa raison, il compose son idée et arrête son système. Il faudrait bien du malheur pour qu'en suivant une telle marche il n'arrivât pas à la science; tout au plus se pourrait-il qu'il ne la finit pas du premier coup; mais du moins il ne l'aurait ni manquée, ni faussée : il l'aurait ébauchée, et il ne tiendrait qu'à lui, en la reprenant sur nouveaux frais, de la continuer et de l'achever. Ce ne serait qu'un peu de travail à ajouter dans le même sens. Cependant d'ordinaire, la chance doit mieux tourner; on ne traite pas les questions avec cette prudence d'esprit et cette maturité d'examen sans parvenir à la vérité. Aussi est-il peu de matières dont se soit occupé M. Jouffroy sur lesquelles il n'ait répandu cette clarté philosophique qui fait voir dans une idée abstraite et générale une de ces croyances d'u sens commun qu'on retrouve dans toutes les ames. Il refait par la logique ces notions de simple sens, et en les refaisant il les altère si peu et les explique si bien, qu'on les reconnaît, et qu'on leur donne son assentiment comme à sa propre conviction. C'est là le carac.tère de sa philosophie. Nous en parlerions plus à fond, si le public avait en main plus de pièces qui la lui révélassent; mais au moins pouvons-nous dire que,

quand un jour il les aura, ainsi que nous devons l'espérer, le jugement que nous venons de porter sera pleinement justifié, et ne paraîtra pas une présomption trop favorable et trop bienveillante (1).

(1) (Troisième édition). M. Jouffroy a publié en 1833 un volume de mélanges, que j'ai essayé de caractériser et d'apprécier dans le Supplément.

1

CONCLUSION.

PREMIÈRE PARTIE.

DE LA MÉTHODE PHILOSOPHIque.

La seule manière de faire de la philosophie est la méthode d'observation : c'est aujourd'hui l'opinion la plus générale dans le monde savant. Cependant nous concevons une opinion différente, et non seulement nous la concevons, mais nous la trouvons chez des hommes qui, par le savoir et leur esprit lui donnent le droit d'être discutée.

Eux, ils pensent qu'il n'y a de philosophie que par la révélation; et comme il n'y a de révélation que par l'histoire, leur méthode se réduit à l'érudition historique appliquée à la recherche de la révélation.

Leur motif pour adopter ce sentiment est la croyance où ils sont que la vérité en toute chose, mais surtout en philosophie, ne saurait se présenter nulle part plus pure, plus simple, et pour ainsi dire, plus vraie, que dans l'idée primitive qui en a été révélée à la raison humaine.

Ainsi, qu'est-ce que la révélation comme principe de philosophie? qu'est-ce que l'histoire comme expression et témoignage de révélation? Voilà les questions que nous avons à examiner pour apprécier convenablement l'opinion opposée à la nôtre.

Mais d'abord y a-t-il eu révélation?

A voir comment l'esprit procède, toutes les fois que, surpris par la manifestation prompte et facile d'une vérité, il se laisse faire son idée, et se livre dans toute la simplicité de sa conscience à l'impression de l'objet qui s'offre à lui, on peut concevoir comment, à l'origine du monde, dans cette primitive nouveauté des choses qui prêtait tant à voir, les intelligences vives et neuves, soudain frappées d'évidence, se trouvèrent éclairées comme par miracle, et se sentirent une science dont elles n'avaient pas le secret. Elles étaient, comme il nous arrive encore quelquefois d'être nous-mêmes, lorsque nous nous trouvons en état de simple perception. Vienne soudain une vérité nouvelle qui, grande, simple, vive à l'instant dévoilée, nous jette d'abord en admiration, aussitôt, intelligens comme par magie, nous la saisissons, nous la sentons merveilleusement; nous redevenons en sa présence simples d'esprit, inspirés et poètes; nos idées tiennent de l'enchantement; elles sont une véritable révélation en effet, qui nous les donne, quelle puissance les suscite en notre ame et à notre insu, qui nous les fait, si ce n'est Dieu; le Dieu de vérité et de lumière, le principe et la cause de l'intelligibilité de l'univers (qu'on nous passe l'expression), qui, prêtant aux êtres et à leurs rapports une singulière propriété de s'expliquer et de se montrer, est le maître invisible qui nous fait la leçon avec mystère, et nous instruit sans qu'il y paraisse? Il en est surtout ainsi quand, aux prises avec les événemeus, nous éprouvons quelque grande et prompte nécessité d'être éclairés subitement : par exemple, n'est-il pas vraisemblable que, dans l'effervescence

de notre révolution, au milieu des périls imminens de la liberté et de la patrie, le génie de quelque homme politique ou militaire, à défaut de réflexions que le temps ne permettait pas, ait eu ses révélations, ses vues soudaines, et nous ait valu plus d'un droit, plus d'une victoire, grâce à l'inspiration de la tribune ou du champ de bataille? A toutes les époques critiques des sociétés il en a été de même ; à toutes il s'est fait de ces grands mouvemens d'idées dont rien ne rend raison, si ce n'est la force des choses, ou, pour mieux dire, la puissance de la vérité, qui se découvre d'elle-même, et tombe vive et nue dans les intelligences qu'elle éclaire. A ce compte, il est peu de siècles qui n'aient eu leur révélation: car les temps ne vont pas sans ces changemens extraordinaires et ces fatalités inattendues qui illuminent l'ame humaine, et lui donnent de merveilleuses intuitions. L'histoire l'atteste en mille endroits: mais c'est particulièrement au premier âge du monde qu'a dû se déployer plus naïve et plus pleine cette faculté de simple vue, cette intelligence d'un seul jet, dont l'homme dans sa nudité native avait un si pressant besoin. Il a dû y avoir pour lui un coup de lumière et comme un fiat lux de la pensée, qui lui donnât tout d'abord une sorte de science intuitive, capable de suppléer l'expérience par l'instinct, et la raison par le sentiment. Autrement la société, sans idées, sans ces idées vitales qui étaient nécessaires à sa conservation et à son bon état, n'eût pu que se dépraver et périr. Née d'hier, ignorant tout, sans tradition ni sagesse acquise, que fût-elle devenue dans son dénûment, si elle eût été forcée de se composer ellemême un système de philosophie approprié à l'ur

« PreviousContinue »