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autrefois le père Prestet, dont je crois que le révérend père Reineau est un disciple; mais il est allé bien plus avant que lui, et j'attends encore beaucoup de son génie et de son application. Car, bien loin que la matière soit épuisée, je trouve qu'il y a encore une infinité de choses à faire, etc. >>

Telle est cette correspondance que nous avons tirée de la bibliothèque de Hanovre, où elle était ensevelie depuis un siècle. Elle est riche en documents de toute espèce; elle parcourt toute la dernière moitié de la carrière de Malebranche et de Leibnitz, de 1675 jusqu'en 1712. Les amis de la grande littérature du XVIIe siècle nous sauront gré de l'avoir mise au jour. Mais combien de correspondances d'un égal intérêt ne dorment-elles pas encore dans le secret des bibliothèques publiques ou privées! Qu'est devenue, par exemple, cette correspondance que Leibnitz et Arnauld entretinrent pendant huit ou neuf ans, de 1683 jusqu'en 1691, par l'entremise du prince Ernest de HesseRhinfels, et qui roulait sur les plus importantes questions de science et de philosophie? L'éditeur des œuvres d'Arnauld, qui nous révèle l'existence de cette correspondance, n'avait pu retrouver les lettres d'Arnauld, mais il déclare avoir tenu entre les mains les lettres originales de Leibnitz; et il s'est borné à en extraire quelques passages relatifs à son auteur: « Nous avons retranché, dit-il, les discussions métaphysiques qui nous ont paru trop subtiles et trop alambiquées pour être agréables à nos lecteurs,

Le P. Reyneau, de l'Oratoire, disciple et ami de Malebranche, associé libre de l'Académie des sciences, auteur d'ouvrages de mathématiques estimés de son temps. Voyez son Eloge par Fontenelle.

T. IV, p. 185.

et peut-être un peu trop dangereuses dès là que nous ne pourrions pas y joindre les répliques de M. Arnaud. Nous n'y avons laissé que ce qui nous a paru nécessaire pour en indiquer l'objet et pour faciliter la découverte des réponses de M. Arnauld.» On voit que l'éditeur a précisément retranché ce qu'il y avait de plus important dans cette correspondance. Où sont allées les lettres originales de Leibnitz, que l'écrivain janséniste avait sous les yeux en 1776? Où les avait-il trouvées? dans un dépôt public ou dans une bibliothèque particulière? Pas un mot sur tout cela. Voilà comme on faisait alors et comme souvent encore on fait aujourd'hui des éditions. Du moins il semble impossible que les lettres originales de Leibnitz aient été détruites. Elles sont encore quelque part aujourd'hui. Comment leur possesseur ne se fait-il pas un devoir de les communiquer à ceux qui s'intéressent et se connaissent à ces sortes de matières? Il paraîtrait qu'au moins les minutes de ces lettres sont à la bibliothèque de Hanovre, car en 1809 1, on en tira une copie sur laquelle M. l'abbé Eymery a publié cinq lettres, ou du moins cinq fragments de lettres inédites de Leibnitz à Arnauld. On devrait donc retrouver ces minutes dans la bibliothèque de Hanovre, et la copie parmi les papiers laissés par l'abbé Eymery à la bibliothèque de Saint-Sulpice. Et pourtant M. Erdmann n'a rien trouvé à la bibliothèque de Hanovre 3, et, quant à celle du séminaire de

Voyez la préface de l'Exposition de la doctrine de Leibnitz sur la religion, suivie de Pensées extraites des ouvrages du mème auteur. Paris, 1819. Les lettres données par l'abbé Eymery sont écrites en latin, tandis que les lettres publiées par l'éditeur d'Arnauld sont en français.

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Voy. ibid., p. 415, la note.

Leibnitii opera philosophica, etc. Berolini, 1840, Præfatio, p. xvn.

428 CORRESP. DE MALEBRANCHE ET DE LEIBNITZ. Saint-Sulpice, où sont déposés les papiers de l'abbé Eymery, tous nos efforts pour y avoir quelque accès sont restés inutiles. Il est une autre correspondance, moins philosophique, mais d'un grand intérêt encore, qui se trouve certainement tout entière à la bibliothèque de Hanovre, au témoignage de M. Pertz1, celle de Leibnitz avec le P. Lelong, de l'Oratoire, de 1704 à 1716. Nous nous occupons en ce moment de la recueillir, et peut-être un jour la donnerons-nous au public.

Lettre à nous adressée le 18 mai 1841.

DU

CARTESIANISME ET DU SPINOZISME.

Nous l'avons déjà dit1: le cartésianisme, avec le jansénisme, a été la grande affaire intellectuelle du XVII° siècle ; il a occupé les savants et les gens du monde, l'Église, les académies et les cercles à la mode. Nous l'avons fait voir agitant un monastère de bénédictins et animant le salon d'une femme aimable, dans une petite ville de la Lorraine et au fond de la Bretagne. Le cardinal de Retz à Saint-Mihiel et madame de Sévigné aux Rochers, discutant les principes et les conséquences du cartésianisme, nous représentent à peu près ce qui se passait d'un bout de la France à l'autre. Ces deux brillants modèles ont eu bien des copies plus ou moins heureuses. En voici deux fort affaiblies, mais qui, par cela même, ont l'avantage de prouver que les spéculations cartésiennes n'étaient pas le privilége de quelques esprits d'élite, mais qu'elles attiraient presque toutes les intelligences cultivées. C'est à ce trait qu'on reconnaît si une philosophie, comme une pièce de théâtre, ou un roman, ou un ouvrage d'esprit quelconque, a réellement touché le cœur d'un siècle. Sans

Plus haut, p. 99.

doute c'est à quelques hommes supérieurs qu'il appartient de donner le signal; mais tant que la foule n'a pas suivi, le génie n'a point remporté son plus beau triomphe: il n'a pas élevé jusqu'à lui la médiocrité, c'est-à-dire la plus grande partie des hommes.

Ce préambule était nécessaire pour nous justifier d'avoir tiré d'obscurs manuscrits deux morceaux qui y dormaient depuis cent cinquante ou deux cents ans, et que nous produisons à la lumière, bien moins à cause de leur mérite propre, que pour servir en quelque sorte d'objets accessoires, car il en faut aussi, dans le grand et vaste tableau du cartésianisme. Il s'agit de deux fragments philosophiques, qui ont pour auteurs un homme du monde, dont le nom n'était pas venu jusqu'à nous, et un savant théologien, qui a été fort mêlé aux querelles du jansénisme.

Madame la marquise de Sablé était une de ces femmes du XVIIe siècle, grave et aimable, d'une conduite irréprochable et du plus agréable commerce, sans fortune, et pourtant, jusqu'à la fin de sa vie, entourée d'une sorte de cour, recherchée à la fois par les solitaires et les gens du monde, par les scrupuleux et les raffinés en dévotion comme par les beaux esprits à la mode, et qui dans le nombre de ses amitiés en comptait des plus illustres, madame de Sévigné et madame de Lafayette, la Rochefoucaud, Arnauld, même Pascal. Quel trésor nous serait sa correspondance entière retrouvée! On en a du moins une partie dans les papiers du docteur Vallant, son médecin et son ami. Ces papiers sont conservés à la Bibliothèque royale dans des portefeuilles bien connus de tous les amateurs du XVIIe siècle, et dont nous-même avons tiré

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