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mouvement qui ait précédé. Ce qui a porté Aristote à soutenir que Dieu agit nécessairement, c'est qu'il ne peut comprendre qu'un mouvement se produise sans un mouvement antérieur. Mais ce principe est faux, si l'on admet la liberté humaine. Donc, si la volonté humaine est libre, Dieu n'agit pas nécessairement; comme réciproquement, si Dieu agit avec nécessité, la volonté n'est pas libre. Il est donc évident qu'Aristote se contredit lui-même quand il affirme que Dieu agit nécessairement, et qu'en même temps il reconnaît dans l'homme une volonté libre. »>

Vanini termine son livre en le soumettant sans réserve au pape Paul V, qui, «< assis au gouvernail de l'Église comme un sage modérateur, rassemble en lui toutes les vertus répandues sur les divers pontifes de tous les siècles1. » Enfin, il ne veut pas quitter cet amphithéâtre de l'éternelle Providence sans entonner un hymne à sa gloire, et cet hymne est tout son système avec ses mérites et ses imperfections. Le Dieu que Vanini célèbre est le Dieu de l'univers bien plus que celui de l'âme; aussi sa poésie, fidèle image de sa philosophie, a-t-elle souvent de la force, quelquefois de l'éclat, mais aucun charme.

2

« Animée du souffle divin, ma volonté emporte mon esprit il va tenter une route inconnue sur les ailes de Dédale.

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:

Il entreprend de mesurer l'ineffable Divinité qui n'a ni commencement ni fin, et de la renfermer dans le cercle étroit de quelques vers.

Amphith., p. 334.

2 Ibid., p. 334-336.

« Origine et fin de toutes choses, origine, source et principe de lui-même, Dieu est son but et sa fin, sans avoir ni principe ni fin.

<< En repos et tout entier partout, dans tous les temps et en tout lieu, distribué dans toutes les parties et demeurant toujours et partout indivisible;

« Il est en chaque endroit sans être contenu dans aucun, ni enchaîné dans aucunes limites; répandu tout entier dans l'espace entier, il y circule librement.

<< Son vouloir est la toute-puissance, son action une volonté invariable; il est grand sans quantité, bon sans qualité.

« Ce qu'il dit, il l'accomplit en même temps; on ne sait qui précède de la parole ou de l'œuvre; dès qu'il a parlé, voici qu'à sa voix tout l'univers a pris naissance.

« Il voit tout, il pénètre tout; un en lui-même1, seul il est tout, et dans son éternité il prévoit ce qui est, ce qui fut, ce qui sera.

Toujours tout entier, il remplit tout son être, sans cesser d'être le même; il soutient, meut et embrasse l'univers, et le gouverne d'un mouvement de son sourcil.

«Oh! je t'invoque! jette enfin sur moi un regard de bonté! Unis-moi à toi par un noeud de diamant, car c'est la seule et unique chose qui puisse rendre heureux. Quiconque s'est uni à toi et s'attache à toi seul, celuilà possède tout; il te possède, source inépuisable de richesses, et à qui rien ne manque.

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«< Partout nécessaire, nulle part tu ne fais défaut, et de toi-même tu donnes tout à toutes choses; tu te 'Sens douteux, texte obscur.

donnes toi-même, toi en qui toutes choses doivent trouver

tout.

« Tu es la force de ceux qui travaillent, tu es le port ouvert aux naufragés 1.

1

....

« Tu es à nos cœurs le souverain repos et la paix profonde; tu es la mesure et le mode des choses, l'espèce et la forme que nous aimons.

« Tu es la régle, le poids et le nombre, la beauté et l'ordre, l'ornement et l'amour, le salut et la vie, la volupté souveraine avec son nectar et son ambroisie.

<< Tu es la source de la vraie sagesse, tu es la lumière véritable, tu es la loi vénérable, tu es l'espérance qui ne trompe pas, tu es l'éternelle raison, et la voie, et la vérité;

«La gloire, la splendeur, la lumière aimable, la lumière bienfaisante et inviolable, la perfection des perfections, quoi encore? le plus grand, le meilleur, l'un, le même. >>

En résumé, quelle conclusion faut-il tirer de l'ouvrage que nous venons de parcourir et d'analyser fidèlement ? Supposons que cet ouvrage soit seul en nous y renfermant, y trouvons nous la haine du christianisme et l'athéisme? Nullement. Il y a partout semées des protestations peut-être outrées d'orthodoxie, une théodicée incomplète, fondée sur un seul principe, par conséquent des réfutations quelquefois insuffisantes des mauvais systèmes répandus au XVIe siècle, un déisme d'une qualité

Je n'ai pas traduit, faute de les entendre, les deux derniers vers de cette strophe:

Tu fons perennis perstrepentes

Qui latices salientis ardent.

assez médiocre, et, comme on dirait aujourd'hui, quelques tendances équivoques, un péripatétisme qui incline fort à celui d'Averroës et de Pomponat: mais de là à l'impiété et à l'athéisme il y a loin, et, si nous étions appelés à juger Vanini sur ce livre seul, en conscience et ne croyant pas permis de condamner qui que ce soit par voie de conjecture et d'hypothèse, nous prononcerions d'après ce livre: Non, Vanini n'est pas athée.

Passons maintenant à l'examen de son second et dernier ouvrage, qui parut à Paris, un an après l'Amphithéâtre, sous ce titre : Quatre livres de Jules-César Vanini, Napolitain, théologien, philosophe et docteur en l'un et l'autre droit, sur les secrets admirables de la Nature, reine et déesse des mortels 1. C'est au fond un traité de physique divisé en quatre livres : le premier, sur le ciel et l'air; le deuxième, sur l'eau et la terre; le troisième, sur la génération des animaux; le quatrième, sur la religion des païens. Vanini, lui-même, nous apprend que cet écrit est un abrégé de ses Mémoires physiques 2. Il avait aussi composé, à ce qu'il dit, des Mémoires de Médecine3, ainsi que des commentaires sur le livre de la Génération d'Aristote. Il fait encore allusion à un autre ouvrage dont il parle déjà dans l'Amphithéâtre et qu'il nomme Physico-Magique 3. Il rappelle enfin un Traité d'Astronomie qu'il avait fait imprimer à Stras

Julii Cæsaris Vanini, Neapolitani, theologi, philosophi et juris utriusque doctoris, De admirandis naturæ reginæ deœque mortalium Arcanis, libri quatuor. Paris, 1616, in-12.

1

Dial., p. 301.

3 Ibid., p. 275.

Ibid., p. 172.

Dial..
p. 31.

Nous avons déjà vu quelle est au fond la théodicée de Vanini; elle se réduit à concevoir à ce monde fiui et limité un principe éternel et infini, principe qui n'est pas une cause, ni par conséquent une volonté, ni par conséquent encore une providence véritable avec les caractères qui lui appartiennent. Nous retrouvons ici cette même théodicée avec ses conséquences à peu près avouées. Les deux interlocuteurs, Alexandre et Jules-César, s'accordent à rejeter l'opinion d'Aristote, que Dieu a donné la première impulsion au monde, et, pour parler le langage péripatéticien, qu'il est le moteur du premier ciel1. Alexandre : « J'ai lu cela, si je m'en souviens bien, dans le XII livre de la Philosophie première (la Métaphysique), mais je ne suis pas de cet avis. Ni moi non plus, dit Vaniui. » Et on allègue l'autorité d'Alexandre d'Aphrodisée qui donne Dieu, non comme le moteur, mais comme la fin des choses; on l'appelle un homme divin, ses paroles sont célestes, nectarea divini viri verba; on traite de fable la doctrine des plus grands péripatéticiens, que l'intelligence est la cause du mouvement de rotation du premier ciel. « S'il en était ainsi, dit Vanini, l'intelligence serait au monde comme une bête de somme attachée à une meule qui tourne. D'ailleurs un moteur suppose un point d'appui, et sur quoi voulez-vous que s'appuie une pure intelligence? Enfin, d'après Aristote lui-même, tout ce qui meut est nécessairement mû; or, rien n'est mû que ce qui est matériel, selon Averroës. L'intelligence, étant immatérielle, ne peut être mue; réciproquement elle ne peut être cause de mouvement. » L'interlocuteur de Vanini propose timi

Dial., p. 17 seqq.

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