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«Les propositions généralles qui asseurent des effects et qualités essentielles sont aussy certaines que les particulières immédiates, comme la proposition générale : tout animal est vivant, est aussi certaine que la particulière : cest animal que je vois est vivant, car d'autant que le nom d'animal est donné à cause de la vie, en sorte que rien ne peut estre dit animal s'il n'est vivant, il faut de nécessité que tout animal soit vivant, autrement il ne seroit pas dit anima!.

Il ne faut point disputer contre ceux qui nient les vérités premières parce qu'elles ne peuvent estre prouvées, d'autant que nous n'avons pas toujours le temps, l'occasion et les moyens d'examiner et cognoistre toutes les qualités essentielles et circonstances des choses, et que semblables effects et qualités conviennent à choses diverses, comme la blancheur à la neige, au sel, au sucre, la lumière au soleil, au feu, et que nous ne sommes jamais absolument et infailliblement certains que nos sens soient bien disposés, outre que quelques causes secrettes changent quelques fois les apparences ordinaires des choses, et qu'en dormant ou estant en quelque mauvaise disposition d'esprit il nous paroist des choses comme si nous estions esveillés et bien disposés, quoyqu'elles soient fausses, et néanmoins nous sommes seulement obligés de faire des actions et les régler par des propositions qui ne sont pas absolument certaines, comme, en voyant la seule couleur et figure d'une pomme, on ne laisse pas de la vouloir manger; en ce cas, je dis d'une proposition qu'il la faut croire et qu'elle est vraysemblable, lorsque, n'estant pas infaillible, elle a plus d'apparence et de signes que sa contraire.

« Il y a de ces propositions, dont la vérité est si souvent recognue, et dont le contraire a si peu de possibilité, qu'elles sont tenues comme certaines; comme si, roulant ensemble 100,000 dés bien faits, on asseuroit qu'ils ne se trouveront pas tous, au premier coup, sur la face marquée de l'unité, la proposition seroit comme certaine, quoyqu'elle ne le fust pas absolument. Toutes les fois qu'il nous semble estre esveillés et bien disposés, s'il ne nous a jamais paru ny ne paroist rien au contraire, il le faut croire.

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Quand nous avons des apparences diverses et qui ne peuvent estre vrayes ensemble, il faut croire les plus fortes et les plus claires apparences et qui ont plus de conformité entre elles-mêmes et avec les précédentes tenues pour certaines.

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Lorsqu'il y a plus de signes d'une chose que d'une autre, il faut conclure pour la pluralité des signes, s'ils sont également considérables.

Il faut croire qu'une chose arrivera plustost qu'une autre lorsqu'elle a plus de possibilités actuelles ou qu'une semblable est arrivée plus souvent, comme en roulant trois dés il faut croire et est vraysemblable qu'on fera plustost dix que quatre, parce que dix se peut faire en plus de sortes que quatre.

« Les propositions générales sensibles qui asseurent des effects et qualités non essentielles, si elles sont fondées sur une ou plusieurs vérités premières sensibles, sont certaines en mesme ou semblable suject et semblables circonstances par la proposition 15, comme, si on a observé qu'une pierre laschée en l'air tomboit, la proposition gé

nérale toute pierre semblable laschée en l'air de mestne façon tombera, est certaine à ceux qui ont fait l'observation; mais, lorsqu'on n'est pas asseuré si les circonstances ou les choses sont semblables, la proposition sera vraysemblable, s'il ne paroist point de changement considérable ny dans la chose ni dans les circonstances; comme, si l'on a veu de l'eau éteindre du feu, il est vray semblable que toute eau éteindra tout feu dans la quantité suffisante, jusqu'à ce qu'il paroisse du contraire par une vérité première sensible; mais lorsqu'il y a des expériences contraires, il faut distinguer la proposition générale, comme l'eau éteint le feu ordinaire, mais non pas le feu d'artifice; quelque miel est poison, quelque miel est bon à manger.

« Il est vraysemblable que les causes qui auront du rapport entre elles feront des effects ou semblables ou qui auront du rapport entre eux, s'il ne paroist du contraire; comme, si les rayons du soleil se rompent entrant dans l'eau, ceux d'une chandelle s'y rompront aussy vraysemblablement; et s'ils se rompent entrant dans du verre, il est vraysemblable qu'ils se rompront entrant dans du cristal, ou semblablement, ou plus ou moins, si par expérience on ne voit le contraire.

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Lorsque quelque chose paroist estre la cause de quelque effect par la proposition 35, et qu'elle est recognue suffisante, il la faut tenir pour la vraye cause jusques à ce qu'on en descouvre une nouvelle à qui les conditions de cause conviennent mieux.

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Lorsqu'on ne peut dire la cause d'une chose naturelle, sinon parce qu'elle est ainsy de sa nature, elle sera tenue

pour cause première naturelle jusques à ce qu'on descouvre une de qui elle dépende, comme, si on ne peut dire la cause qui fait que l'air eschauffé se dilate, on tiendra pour cause première naturelle que l'air se dilate par la chaleur. J'appelle ces propositions, qui asseurent des causes cognues et (des) effects naturels qui n'ont point de causes cognues et qui sont causes d'autres effects, principes naturels, comme il n'est point de matière sans qualités, la veue se fait par lignes droites, l'angle de réflexion des rayons est esgal à celui de leur incidence, l'aymant attire le fer, le mouvement eschauffe. »

Ce principe l'angle de réflexion des rayons est égal à celui de leur incidence, est un principe découvert, ou démontré ou développé par Descartes, que Roberval se garde bien de citer.

Ce qui suit prouve que, pour Roberval comme pour Pascal', le système de Galilée n'était pas plus démontré que celui de Ptolémée, et n'était qu'une hypothèse comme une autre.

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Système ou constitution d'une cause, c'est la façon dont on suppose qu'elle est faite, pour expliquer ces signes et apparences et en rendre raison; comme lorsque, pour rendre raison des mouvements et apparences célestes, les uns supposent que la terre est immobile et que le soleil et les estoiles tournent à l'entour, et les autres que le soleil est immobile et les estoiles fixes aussy, et que la terre et les planètes tournent à l'entour du soleil : ce sont des systèmes différents que les uns et les autres sup

Réponse au P. Noël, OEuvres de Pascal, par Bossut, t. IV, p. 86. Voyez plus haut, p. 209.

posent pour expliquer les apparences et mouvements des corps célestes, soit que le ciel soit ainsy constitué précisément ou non.

« Un système est plus croyable qu'un autre lorsqu'on rend raison de toutes les apparences ou de plus d'apparences plus exactement, plus facilement, plus clairement et avec plus de rapport aux autres choses naturelles.

« Un système ne doibt point avoir de prescription contre un autre, et il faut toujours recevoir le plus croyable.

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J'appelle prouver par supposition de faux lorsque, pour prouver une proposition, on pose pour vraye la contraire, quoique fausse et impossible, pour monstrer qu'elle est comprise sous des faussetés premières, et, partant, que la proposition à prouver est fausse.

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J'appelle prouver par supposition d'expérience lorsque, ne pouvant faire cognoistre immédiatement les vérités premières sensibles qui servent à prouver la question, on les suppose en monstrant les façons et les moyens de les cognoistre; comme si, pour prouver que les couleurs ne sont pas en elles-mêmes telles qu'elles paroissent, on prenoit pour principe sensible que le jaune paroist vert à une lumière bleue, et, ne le pouvant prouver réellement, on enseignoit qu'il faut allumer du souffre ou de l'eau-devie en un lieu obscur, et opposer à cette lumière du jaune.

«< Lorsque plusieurs personnes, sans avoir communiqué ensemble d'une chose, l'asseurent séparément, de mesme façon et avec les mesmes circonstances notables sans se contredire, il faut croire à peu près cette proposition

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