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C'est ce que tout lecteur eut toujours droit de faire.

Tous les jours à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité;
A Malherbe, à Racan, préférer Théophile',
Et le clinquant du Tasse à tout l'or de Virgile.

Un clerc, pour quinze sous, sans craindre le holà,
Peut aller au parterre attaquer Attila”;
Et, si le roi des Huns ne lui charme l'oreille,
Traiter de visigoths tous les. vers de Corneille.

Il n'est valet d'auteur, ni copiste à Paris,
Qui, la balance en main, ne pèse les écrits.
Dès que l'impression fait éclore un poëte,
Il est esclave né de quiconque l'achète :
Il se soumet lui-même aux caprices d'autrui,
Et ses écrits tout seuls doivent parler pour lui.
Un auteur à genoux, dans une humble préface,
Au lecteur qu'il ennuie a beau demander grâce;
Il ne gagnera rien sur ce juge irrité,
Qui lui fait son procés de pleine autorité.

Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire!
On sera ridicule, et je n'oserai rire!
Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux,
Pour armer contre moi tant d'auteurs furieux?
Loin de les décrier, je les ai fait paroître :
Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connoître,
Leur talent dans l'oubli demeureroit caché.
Et qui sauroit sans moi que Cotin a préché?
La satire ne sert qu'à rendre un fat illustre :
C'est une ombre au tableau, qui lui donne du lustre.
En les blâmant enfin j'ai dit ce que j'en croi;
Et tel qui m'en reprend en pense autant que moi.

Il a tort, dira l'un; pourquoi faut-il qu'il nomme ?
Attaquer Chapelain 3! ah ! c'est un si bon homme!
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.
Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de vers.
Il se tue å rimer : que n’écrit-il en prose?
Voilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chose ?
En blåmant ses écrits, ai-je d'un style affreux

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1. Un homme de qualité fit un jour ce beau jugement en ma présence. (B.)

2. Tragédie de P. Corneille, jouée en 1667.

3. Patelain, dans certaines éditions, p***, en quelques autres. Pourquoi, dil Chapelain, défigurer mon nom? C'étoit le seul point dont il se plaignit, suivant Louis Racine.

4. G. L. Guez de Balzac naquit, en 1594, à Angoulême. Richelieu le fit conseiller d'État et lui donna une pension de deux mille livres. En 1635, il fut l'un des premiers membres de l'Académie françoise.

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Distillé sur sa vie un venin dangereux?
Ma muse en l'attaquant, charitable et discrète,
Sait de l'homme d'honneur distinguer le poëte.
Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité;
Qu'on prise sa candeur et sa civilité;
Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincère :
On le veut, j'y souscris, et suis prêt de me taire.
Mais que pour un modèle on montre ses écrits;
Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux esprits',
Comme roi des auteurs qu'on l'élève à l'empire :
Ma bile alors s'échauffe, et je brûle d'écrire;
Et, s'il ne m'est permis de le dire au papier,
J'irai creuser la terre, et, comme ce barbier,
Faire dire aux roseaux par un nouvel organe :
« Midas, le roi Midas a des oreilles d'âne. »
Quel tort lui fais-je enfin ? Ai-je par un écrit
Pétrifié sa veine et glacé son esprit?
Quand un livre au Palais se vend et se débite,
Que chacun par ses yeux juge de son mérite,
Que Bilaine? l'étale au deuxième pilier,
Le dégoût d'un censeur peut-il le décrier ?
En vain contre le Cid un ministre se ligue :
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L'Académie en corps 3 a beau le censurer :
Le public révolté s'obstine à l'admirer.
Mais lorsque Chapelain met une æuvre en lumière,
Chaque lecteur d'abord lui devient un Linière".
En vain il a reçu l'encens de mille auteurs :
Son livre en paroissant dément tous ses flatteurs.
Ainsi, sans m’accuser, quand tout Paris le joue,
Qu'il s'en prenne à ses vers que Phébus désavoue ;
Qu'il s'en prenne à sa muse allemande en françois.
Mais laissons Chapelain pour la dernière fois.

La satire, dit-on, est un métier funeste,
Qui plaît à quelques gens, et choque tout le reste
La suite en est à craindre : en ce hardi métier
La peur plus d'une fois fit repentir Regnier.
Quittez ces vains plaisirs dont l'appât vous abuse
A de plus doux emplois occupez votre muse;
Et laissez à Feuillet 5 réformer l'univers.

1. Chapelain avoit de divers endroits huit mille livres de pension. (B.) 2. Libraire du palais. (B.) 3. Voyez l'Histoire de l'Académie, par Pellisson (B.)

4. Auteur qui a écrit contre Chapelain. (B.) — Linière avoit composé une épigramme contre la Pucelle avant 1667.

6. Feuillet, véhément sermonneur et docteur rigide, étoit un très gras

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Et sur quoi donc faut-il que s'exercent mes vers ?
Irai-je dans une ode, en phrases de Malherbe',
Troubler dans ses roseaux le Danube superbe;
Délivrer de Sion le peuple gémissant;
Faire trembler Memphis, ou pâlir le croissant;
Et, passant du Jourdain les ondes alarmées,
Cueillir mal à propos les palmes idumées
Viendrai-je en une églogue, entouré de troupeaux,
Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux,
Et, dans mon cabinet assis au pied des hêtres,
Faire dire aux échos des sottises champêtres ?
Faudra-t-il de sang-froid, et sans être amoureux ;
Pour quelque Iris en l'air faire le langoureux,
Lui prodiguer les noms de Soleil et d'Aurore,
Et, toujours bien mangeant, mourir par métaphore ?
Je laisse aux doucereux ce langage affété,
Où s'endort un esprit de mollesse hébété.

La satire, en leçons, en nouveautés fertile,
Sait seule assaisonner le plaisant et l'utile,
Et, d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens,
Détromper les esprits des erreurs de leur temps.
Elle seule, bravant l'orgueil et l'injustice,
Va jusque sous le dais faire pâlir le vice;
Et souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,
Va venger la raison des attentats d'un sot.
C'est ainsi que Lucile ?, appuyé de Lélie",
Fit justice en son temps des Cotins d'Italie,
Et qu’Horace, jetant le sel à pleines mains,
Se jouoit aux dépens des Pelletiers romains.
C'est elle qui, m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira dès quinze ans la haine d'un sot livre;
Et sur ce mont fameux, où j'osai la chercher,
Fortifia mes pas et m'apprit à marcher.
C'est pour elle, en un mot, que j'ai fait voeu d'écrire.

Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire,
Et, pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis.
Puisque vous le voulez, je vais changer de style.

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chanoine de Saint-Cloud. Boileau demandoit un jour, devant Mlle de Lamoignon, si l'embonpoint de Feuillel ne contrastoit pas un peu trop avec l'austérité de la morale qu'il prêchoit aux autres. « Oh! répondit la charitable demoiselle, on dit qu'il commence à devenir maigre »

4. Brossette dit que Despréaux veut désigner ici Charles du Perrier. Ce versificateur, qui mourut en 1692, faisoit des odes dans lesquelles il affectoit d'imiter ou plutôt de copier les phrases de Malherbe. Voy. ép. I, V. 26-28.

2. Poëte latin satirique. (B.) — 3. Consul romain. (B.)

Mais ne voy

Je le déclare donc : Quinault est un Virgile;
Pradon comme un soleil en nos ans a paru;
Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt' ni Patru;
Cotin, à ses sermons traînant toute la terre,
Fend les flots d'auditeurs pour aller à sa chaire;
Saufal? est le phénix des esprits relevés ;
Perrin ?.... Bon, mon esprit! courage ! poursuivez.

z-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie ?
Et Dieu sait aussitôt que d'auteurs en courroux ,
Que de rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous !
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d'injures,
Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'États.
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages;
Qui méprise Cotin n'estime point son roi,
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais quoi ! répondrez-vous, Cotin nous peut-il nuire ?
Et par ses cris enfin que sauroit-il produire ?
Interdire à mes vers, dont peut-être il fait cas,
L'entrée aux pensions où je ne prétends pas ?
Non, pour louer un roi que tout l'univers loue,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénoue;
Et, sans espérer rien de mes foibles écrits,
L'honneur de le louer m'est un trop digne prix :
On me verra toujours, sage dans mes caprices,
De ce même pinceau dont j'ai noirci les vices
Et peint du nom d'auteur tant de sots revêtus,
Lui marquer mon respect, et tracer ses vertus.
Je vous crois; mais pourtant on crie, on vous menace.

direz-vous, les braves du Parnasse. Hé! mon Dieu, craignez tout d'un auteur en courroux, Qui peut....- Quoi ? — Je m'entends. — Mais encor? – Taisez-vous,

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Je crains peu,

1. Nicolas Perrot d'Ablancourt, de l'Académie françoise, avoit traduit Thucydide, Xenophon, Lucien, Arrien, Cesar, Tacite, Frontin, etc. On appeloit ses traductions les belles Infidèles.

2. Sauval. 3. Saufal, Perrin, auteurs médiocres. (B.)

4. Cotin, dans un de ses écrits, m'accusoit d'être criminel de lèsemajesté divine et humaine. (B.)

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AU LECTEUR. Voici enfin la satire qu'on me demande depuis si longtemps. Si j'ai tant tardé à la mettre au jour, c'est que j'ai été bien aise qu'elle ne parût qu'avec la nouvelle édition qu'on faisoit de mon livre', où je voulois qu'elle fût insérée. Plusieurs de mes amis, à qui je l'ai lue, en ont parlé dans le monde avec de grands éloges, et ont publié que c'étoit la meilleure de mes satires?. Ils ne m'ont pas en cela fait plaisir. Je connois le public : je sais que naturellement il se révolte contre ces louanges outrées qu'on donne aux ouvrages avant qu'ils aient paru, et que la plupart des lecteurs ne lisent ce qu'on leur a élevé si haut qu'avec un dessein formé de le rabaisser.

Je déclare donc que je ne veux point profiter de ces discours avantageux; et non-seulement je laisse au public son jugement libre, mais je donne plein pouvoir à tous ceux qui ont tant critiqué mon ode sur Namur d'exercer aussi contre ma satire toute la rigueur de leur critique. J'espère qu'ils le feront avec le même succès; et je puis les assurer que tous leurs discours ne m'obligeront point à rompre l'espèce de veu que j'ai fait de ne jamais défendre mes ouvrages, quand on n'en attaquera que les mots et les syllabes. Je saurai fort bien soutenir contre ces censeurs Homère, Horace, Virgile, et tous ces autres grands personnages dont j'admire les écrits; mais pour mes écrits, que je n'admire point, c'est à ceux qui les approuveront à trouver des raisons pour les défendre. C'est tout l'avis que j'ai à donner ici au lecteur.

La bienséance néanmoins voudroit, ce me semble, que je fisse quelque excuse au beau sexe de la liberté que je me suis donnée de peindre ses vices; mais, au fond , toutes les peintures que je fais dans ma sat sont si générales, que, bien loin d'appréhender que les femmes s'en offensent, c'est sur leur approbation et sur leur curiosité que je fonde la plus grande espérance du succès de mon ouvrage. Une chose au moins dout je suis certain qu'elles me loueront, c'est d'avoir trouvé moyen, dans une matière aussi délicate que celle que j'y traite, de ne pas laisser échapper un seul mot qui pût le moins du monde blesser la pudeur. J'espère donc que j'obtiendrai aisément ma grâce, et qu'elles ne seront pas plus choquées des prédications que je fais contre leurs défauts dans cette satire, que des satires que les prédicateurs font tous les jours en chaire contre ces mêmes défauts.

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1. En 1694.

2. « C'est, ce me semble, le chef-d'oeuvre de M. Despréaux. » | Dictionnaire de Bayle, article Barbe, n. A.) Cet éloge, suivant Daunou, conviendroit beaucoup mieux à la neuvième satire ou à la huitième.

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