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Vingt carrosses bientôt arrivant à la file
Y sont en moins de rien suivis de plus de mille;
Et, pour surcroît de maux, un sort malencontreux
Conduit en cet endroit un grand troupeau de beufs;
Chacun prétend passer; l'un mugit, l'autre jure;
Des mulets en sonnant augmentent le murmure.
Aussitôt cent chevaux dans la foule appelés
De l'embarras qui croît ferment les défilés,
Et partout, des passans enchaînant les brigades,
Au milieu de la paix font voir les barricades,
On n'entend que des cris poussés confusément :
Dieu pour s'y faire ouïr tonneroit vainement.
Moi donc, qui dois souvent en certain lieu me rendre,
Le jour déjà baissant, et qui suis las d'attendre,
Ne sachant plus tantôt à quel saint me vouer,
Je me mets au hasard de me faire rouer.
Je saute vingt ruisseaux, j'esquive, je me pousse;
Guenaud' sur son cheval en passant m'éclabousse :
Et, n'osant plus paroître en l'état où je suis ,
Sans songer où je vais, je me sauve où je puis.

Tandis que dans un coin en grondant je m'essuie,
Souvent, pour m'achever, il survient une pluie :
On diroit que le ciel, qui se fond tout en eau,
Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau.
Pour traverser la rue, au milieu de l'orage,
Un ais sur deux pavés forme un étroit passage;
Le plus hardi laquais n'y marche qu'en tremblant :
Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant;
Et les nomlreux torrens qui tombent des gouttières,
Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivières.
J'y passe en trébuchant; mais, malgré l'embarras
La frayeur de la nuit ipite mes pas.

Car, sitôt que du soir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques;
Que, retiré chez lui, le paisible marchand
Va revoir ses billets et compter son argent;
Que dans le Marché-Neuf? tout est calme et tranquille,
Les voleurs à l'instant s'emparent de la ville.
Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté 3.
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d'une rue !

1. C'étoit le plus célèbre médecin de Paris et qui alloit toujours à cheval. (B.)

2. Silué' entre le pont Saint-Michel et le petit pont de l'Hôtel-Dieu. 3. On yoloit beaucoup en ce temps-là dans les rues de Paris.(B.)

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Bientôt quatre bandits lui serrant les côtés,
La bourse l... Il faut se rendre; ou bien non, résistez,
Afin que votre mort, de tragique mémoire,
Des massacres fameux aille grossir l'histoire'.
Pour moi, fermant ma porte, et cédant au sommeil,
Tous les jours je me couche avecque le soleil :
Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumière,
Qu'il ne m'est plus permis de fermer la paupière.
Des filous effrontés, d'un coup de pistolet,
Ebranlent ma fenêtre, et percent mon volet;
J'entends crier partout : Au meurtrel on m'assassine !
Ou : Le feu vient de prendre à la maison voisine !
Tremblant et demi-mort, je me lève à ce bruit,
Et souvent sans pourpoint? je cours toute la nuit.
Car le feu, dont la famme en ondes se déploie,
Fait de notre quartier une seconde Troie,
Où maint Grec assamé, maint avide Argien",
Au travers des charbons va piller le Troyen.
Enfin sous mille crocs la maison abîmée
Entraîne aussi le feu qui se perd en fumée.

Je me retire donc, encor pâle d'effroi :
Mais le jour est venu quand je rentre chez moi.
Je fais pour reposer un effort inutile :
Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette viile,
Il faudroit, dans l'enclos d’un vaste logement,
Avoir loin de la rue un autre appartement..

Paris est pour un riche un pays de cocagne :
Sans sortir de la ville, il trouve la campagne :
Il peut dans son jardin, tout peuplé d'arbres verts,
Recéler le printemps au milieu des hivers;
Et, foulant le parfum de ses plantes fleuries,
Aller entretenir ses douces rêveries.

Mais moi, grâce au destin, qui n'ai ni feu ni lieu,
Je me loge où je puis, et comme il plaît à Dieu,

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SATIRE VII.

4663.

SUR LE GENRE SATIRIQUE.

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Muse, changeons de style, et quittons la satire; C'est un méchant métier que celui de médire;

1. Il y a une histoire intitulée : Histoire des larrons. (B.) 2. Tout le monde en ce lemps-là portoit des pourpoints. 'B.) 8. Un Grec et un Argien, ces deux mots sont synonymes.

A l'auteur qui l'embrasse il est toujours fatal :
Le mal qu'on dit d'autrui ne produit que du mal.
Maint poëte, aveuglé d'une telle manie,
En courant à l'honneur, trouve l'ignominie;
Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur,
A coûté bien souvent des larmes à l'auteur.

Un éloge enruyeux, un froid panegyrique,
Peut pourrir à son aise au fond d'une boutique,
Ne crint point du public les jugemens divers,
Et n'a pour ennemis que la poudre et les vers :
Mais un auteur malin, qui rit et qui fait rire,
Qu'on blâme en le lisant, et pourtant qu'on veut lire,
Dans ses plaisans accès qui se croit tout permis,
De ses propres rieurs se fait des ennemis.
Un discours trop sincère aisément nous outrage :
Chacun dans ce miroir pense voir son visage;
Et tel, en vous lisant, admire chaque trait,
Qui dans le fond de l'âme et vous craint et vous hait.

Muse, c'est donc en vain que la main vous démange :
S'il faut rimer ici, rimons quelque louange;
Et cherchons un héros, parmi cet univers,
Digne de notre encens et digne de nos vers.
Mais à ce grand effort en vain je vous anime :
Je ne puis pour louer rencontrer une rime;
Dès que j'y veux rêver, ma veine est aux abois.
J'ai beau frotter mon front, j'ai beau mordre mes doigts,
Je ne puis arracher du creux de ma cervelle
Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle'.
Je pense être à la gêne; et, pour un tel dessein,
La plume et le papier résistent à ma main.
Mais, quand il faut railler, j'ai ce que je souhaite.
Alors, certes, alors je me connois poëte :
Phébus, dès que je parle, est prêt à m'exaucer;
Mes mots viennent sans peine, et courent se placer.
Faut-il peindre un fripon fameux dans cette ville ?
Ma main, sans que j'y rêve, écrira Raumaville?.
Faut-il d'un sot parfait montrer l'original ?
Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sotal? .
Je sens que mon esprit travaille de génie.
Faut-il d'un froid rimeur dépeindre la manie?
Mes vers, comme un torrent, coulent sur le papier :

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1. Poëme héroïque de Chapelain dont tous les vers semblent faits en dépit de Minerve. (B.)

2. Pour Somaville, libraire.

3. Altéralion du nom de Henri Sauval, auteur des Amours des rois de France et des Antiquités de Paris.

2

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Je rencontre à la fois Perrin' et Pelletier,
Bonnecorse, Pradon, Colletet, Titreville?;
Et, pour un que je veux, j'en trouve plus de mille.
Aussitôt je triomphe; et ma muse en secret
S'estime et s'applaudit du beau coup qu'elle a fait.
C'est en vain qu'au milieu de ma fureur extrême
Je me fais quelquefois des leçons à moi-même;
En vain je veux au moins faire grâce à quelqu'un :
Ma plume auroit regret d'en épargner aucun;
Et sitôt qu'une fois la verve me domine,
Tout ce qui s'offre à moi passe par l'étamine.
Le mérite pourtant m'est toujours précieux :
Mais tout fat me déplaît, et me blesse les yeux ;
Je le poursuis partout, comme un chien fait sa proie,
Et ne le sens jamais qu'aussitôt je n'aboie.
Enfin, sans perdre temps en de si vains propos,
Je sais coudre une rime au bout de quelques mots.
Souvent j'habille en vers une maligne prose :
C'est par là que je vaux, si je vaux quelque chose.
Ainsi, soit que bientôt, par une dure loi,
La mort d'un vol affreux vienne fondre sur moi,
Soit que le ciel me garde un cours long et tranquille,
A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville,
Dût ma muse par là choquer tout l'univers,
Riche, gueux, triste ou gai, je veux faire des vers,

Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie !
Modère ces bouillons de ta mélancolie;
Et garde qu'un de ceux que tu penses blâmer
N'éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer.

Eh quoi ! lorsqu'autrefois Horace, après Luciles,
Exhaloit en bons mots les vapeurs de sa bile,
Et, vengeant la vertu par des traits éclatans,
Alloit ôter le masque aux vices de son temps;
Ou bien quand Juvénal, de sa mordante plume
Faisant couler des flots de fiel et d'amertume,
Gourmandoit en courroux tout le peuple latin,
L'un ou l'autre fit-il une tragique fin ?
Et que craindre, après tout, d'une fureur si vaine ?
Personne ne connoît ni mon nom ni ma veine :
On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil",

4. L'abbé Perrin, traducteur de l'Énéide en vers françois, auleur d'opéras et premier directeur de l'Opéra de Paris.

2. Poëtes décriés. (B.) 3. Auteur satirique romain.

4. Le nom de Montreuil dominoit dans tous les fréquens recueils de poésie qu'on faisoit alors. (B.) — Boileau écrit Montreuil pour Montereul. Ils étoient deux frères, Jean et Matthieu, tous deux poëtes. Jean étoit de l'Académie françoise.

5 BOILEAU

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Grossir impunément les feuillets d'un recueil.
A peine quelquefois je me force à les lire,
Pour plaire à quelque ami que charme la satire,
Qui me flatte peut-être, et, d'un air imposteur,
Rit tout haut de l'ouvrage, et tout bas de l'auteur.
Enfin c'est mon plaisir; je veux me satisfaire.
Je ne puis bien parler, et ne saurois me taire;
Et, dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit,
Je n'ai point de repos qu'il ne soit en écrit :
Je ne résiste point au torrent qui m'entraîne.

Mais c'est assez parlé; prenons un peu d'haleine :
Ma main, pour cette fois, commence à se lasser.
Finissons. Mais demain, muse, à recommencer,

SATIRE VIII.

1667.

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A M. M.... DOCTEUR DE SORBONNE',

SUR L'HOMME 2.
De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.

Quoi ! dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,
Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute,
Ont l'esprit mieux tourné que n’a l'homme ? Oui sans doute.
Ce discours te surprend, docteur, je l'aperçoi.
L'homme de la nature est le chef et le roi :
Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage,
Et lui seul a, dis-tu , la raison en partage.
Il est vrai, de tout temps la raison fut son lot :
Mais de là je conclus que l'homme est le plus sot.

Ces propos, diras-tu, sont bons dans la satire,
Pour égayer d'abord un lecteur qui veut rire :
Mais il faut les prouver. En forme. J'y consens.
Réponds-moi donc, docteur, et mets-toi sur les bancs.

Qu'est-ce que la sagesse ? une égalité d'âme
Que rien ne peut troubler, qu'aucun désir n'enflamme,

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1. On pense que cette satire est adressée à Morel, surnommé Machoire d'âne, grand ennemi des jansenistes.

2. Cetle satire est tout à fait dans le goût de Perse, et marque ud philosophe qui ne peut plus souffrir les vices des hommes. (B.)

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