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Bienheureux Scudéri', dont la fertile plume
Peut tous les mois sans peine enfanter un volume !
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être formés en dépit du bon sens,
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre, et des sots pour les lire ;
Et quand la rime enfin se trouve au bout des vers,
Qu'importe que le reste y soit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux règles de l'art asservir son génie !
Un sot, en écrivant, fait tout avec plaisir.
Il n'a point en ses vers l'embarras de choisir;
Et, toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement, en soi-même il s'admire.
Mais un esprit sublime en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver;
Et, toujours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaît à tout le monde, et ne sauroit se plaire;
Et tel dont en tous lieux chacun vante l'esprit
Voudroit pour son repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc qui vois les maux où ma muse s'abîme,
De grâce, enseigne-moi l'art de trouver la rime :
Ou, puisque enfin tes soins y seroient superflus,
Molière, enseigne-moi l'art de ne rimer plus.

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SATIRE III.

1665.

DESCRIPTION D'UN REPAS ŘIDICULE.

A. Quel sujet inconnu vous trouble et vous altère,
D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévère,
Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier
A l'aspect d'un arrêt qui retranche un quartier??
Qu'est devenu ce teint dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans seuls et de bisques nourrie,
Où la joie en son lustre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts?
Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine ?
A-t-on par quelque édit réformé la cuisine ?
Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,

4. C'est le fameux Scudéri, auteur de tant d'ouvrages qu'on ne lit plus, et frère de la fameuse Mlle de Scudéri.

2. Le roi, en ce temps-là, avoit supprimé un quartier des rentes. (B.)

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A-t-elle fait couler vos vins et vos melons ?
Répondez donc enfin, ou bien je me retire.

P. Ah! de grâce, un moment, souffrez que je respire.
Je sors de chez un fat qui, pour m'empoisonner,
Je pense,

exprés chez lui m'a forcé de dîner.
Je l'avois bien prévu. Depuis près d'une année
J'éludois tous les jours sa poursuite obstinée.
Mais hier il m'aborde, et me serrant la main,
« Ah ! monsieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain.
N’y manquez pas au moins. J'ai quatorze bouteilles
D'un vin vieux.... Boucingo ' n'en a point de pareilles ;
Et je gagerois bien que, chez le commandeur,
Villandri? priseroit sa séve et sa verdeur.
Molière avec Tartuffe 3 y doit jouer son rôle;
Et Lambert“, qui plus est, m'a donné sa parole.
C'est tout dire en un mot, et vous le connoissez.
- Quoi! Lambert? Oui, Lambert. A demain. - C'est assez.

Ce matin donc, séduit par sa vaire promesse,
J'y cours midi sonnant, au sortir de la messe.
A peine étois-je entré, que, ravi de me voir,
Mon homme, en m'embrassant, m'est venu recevoir;
Et, montrant à mes yeux une allégresse entière,
« Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Molière;
Mais, puisque je vous vois, je me tiens trop content.
Vous êtes un brave homme; entrez, on vous attend. »

A ces mots, mais trop tard, reconnoissant ma faute,
Je le suis en tremblant dans une chambre haute,
Où, malgré les volets, le soleil irrité
Formoit un poêle ardent au milieu de l'été.
Le couvert étoit mis dans ce lieu de plaisance,
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoissance,
Deux nobles campagnards grands liseurs de romans,
Qui m'ont dit tout Cyrus 5 dans leurs longs complimens.
J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un coq y paroissoit en pompeux équipage,
Qui, changeant sur ce plat et d'état et de nom,
Par tous les conviés s'est appelé chapon.
Deux assiettes suivoient, dont l'une étoit ornée
D'une langue en ragoût, de persil couronnée;

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5

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1. Illustre marchand de vins. (B.)

2. Homme de qualité qui alloit fréquemment chez le commandeur de Souvré. (B.)

3. La comédie de Tartuffe avoit été défendue en ce temps-là, et tout le monde vouloit avoir Molière pour la réciter. (B.)

4. Lambert, le fameux musicien, étoit un fort bon homme qui promettoit à lout le monde de venir, mais qui ne venoit jamais. (B.)

5. Roman de dix tomes de Mlle de Scudéri.

L'autre, d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s'assied : mais d'abord notre troupe serrée
Tenoit à peine autour d'une table carrée,
où chacun, malgré soi, l'un sur l'autre porté,
Faisoit un tour à gauche, et mangeoit de côté.
Jugez en cet état si je pouvois me plaire,
Moi qui ne compte rien ni le vin ni la chère,
Si l'on n'est plus au large assis en un festin
Qu'aux sermons de Cassagne', ou de l'abbé Cotin.

Notre hôte cependant, s'adressant à la troupe,
Que vous semble, a-t-il dit, du goût de cette soupe?
Sentez-vous le citron dont on a mis le jus
Avec des jaunes d'ous mêlés dans du verjus ?
Ma foi, vive Mignot ? et tout ce qu'il apprête ! »
Les cheveux cependant me dressoient à la tête :
Car Mrgnot, c'est tout dire; et dans le monde entier
Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.
J'approuvois tout pourtant de la mine et du geste,
Pensant qu'au moins le vin dût réparer le reste.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande; et d'abord
Un laquais effronté m'apporte un rouge-bord
D'un Auvernat fumeux qui, mêlé de Lignage ,
Se vendoit chez Crenetpour vin de l'Ermitage,
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux,
N'avoit rien qu'un goût plat, et qu’un déboire affreux.
A peine ai-je senti cette liqueur traîtresse,
Que de ces vins mêlés j'ai reconnu l'adresse :
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison
J'espérois adoucir la force du poison.
Mais, qui l'auroit pensé ? pour comble de disgrâce,
Par le chaud qu'il faisoit nous n'avions point de glace.
Point de glace, bon Dieu ! dans le fort de l'été !
Au mois de juin ! Pour moi, j'étois si transporté,
Que, donnant de fureur tout le festin au diable,
Je me suis vu vingt fois prêt à quitter la table;
Et, důt-on m'appeler et fantasque et bourru,

3

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4. Cassagne, poëte, traducteur, prédicateur, membre de l'Académie des inscriplions, sul si affligé de ce sarcasme, si l'on en croit l'abbé d'Olivet, que sa téle se dérangea. Il mourut fou à Saint-Lazare, en 1679, agé de quarante-trois ans.

2. Mignot éto, - qissier-traiteur, rue de la Harpe, et officier de la bouche de la reine. Il porta plainle au Parlement, et n'ayant rien obtenu, il vendit ses biscuits enveloppés dans un pamphlel de Colin contre Boileau.

3. Deux fameux vins du terroir d'Orléans. (B.)

4. Fameux marcband de vin logé à la Pomme de pin. (B.) Il est déjà question de ce cabaret dans Regnier et même dans Rabelais. BOILEAU

4

J'allois sortir enfin quand le rôt a paru.

Sur un lièvre flanqué de six poulets étiques
S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,
Qui, dès leurs tendres ans élevés dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées
Régnoit un long cordon d'alouettes pressées,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentoient pour renfort leurs squelettes brûlés.
A côté de ce plat paroissoient deux salades,
L'une de pourpier jaune, et l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin saisissoit l'odorat,
Et nageoit dans des flots de vinaigre rosat.
Tous mes sots, à l'instant changeant de contenance,
Ont loué du festin la superbe ordonnance;
Tandis que mon faquin qui se voyoit priser,
Avec un ris moqueur les prioit d'excuser.
Surtout certain hâbleur, à la gueule affamée,
Qui vint à ce festin conduit par la fumée,
Et qui s'est dit profès dans l'ordre des coteaux',
A fait en bien mangeant l'éloge des morceaux.
Je riois de le voir avec sa mine étique,
Son rabat jadis blanc, et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons cauchois en superbes ramiers,
Et, pour flatter notre hôte, observant son visage,
Composer sur ses yeux son geste et son langage;
Quạnd notre hôte charmé, m'avisant sur ce point :
« Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Je vous trouve aujourd'hui l'âme tout inquiète,
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette.
Aimez-vous la muscade? on en a mis partout.
Ah ! monsieur, ces poulets sont d'un merveilleux goût;
Ces pigeons sont dodus : mangez, sur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche et molle.
Ma foi, tout est passable, il le faut confesser,
Et Mignot aujourd'hui s'est voulu surpasser.
Quand on parle de sauce, il faut qu'on y raffine;
Pour moi, j'aime surtout que le poivre y domine :
J'en suis fourni, Dieu sait I et j'ai tout Pelletier
Roulé dans mon office en cornets de papier. »
A tous ces beaux discours j'étois comme une pierre,

1. Ce nom fut donné à trois grands seigneurs tenant table, qui élaient partagés sur l’estime qu'on devoit faire des vins des coleaux qui sont aux environs de Reims ; ils avoient chacun leurs partisans. (B.)

Ou comme la statue est au Festin de Pierre ;
Et, sans dire un seul mot, j'avalois au hasard
Quelque aile de poulet dont j'arrachois le lard.
Cependant mon hâbleur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte,
Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri.
Avec un rouge-hord acceptent son défi.
Un si galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté partout des verres à la ronde,
Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincés :
Quand un des conviés, d'un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique,
Tous mes sots à la fois ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique sans doute étoit rare et charmante!
L'un traîne en longs fredons une voix glapissante;
Et l'autre, l'appuyant de son aigre fausset,
Semble un violon faux qui jure sous l'archet.

Sur ce point, un jambon d'assez maigre apparence,
Arrive sous le nom de jambon de Mayence.
Un valet le portoit, marchant à pas comptés,
Comme un recteur suivi des quatre facultés.
Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes,
Lui servoient de massiers’, et portoient deux assiettes,
L'une de champignons avec des ris de veau,
Et l'autre de pois verts qui se noyoient dans l'eau.
Un spectacle si beau surprenant l'assemblée,
Chez tous les conviés la joie est redoublée;
Et la troupe à l'instant, cessant de fredonner,
D'un ton gravement fou s'est mise à raisonner.
Le vin au plus muet fournissant des paroles,
Chacun a débité ses maximes frivoles,
Réglé les intérêts de chaque potentat,
Corrigé la police, et réformé l'Etat;
Puis, de là s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande ou battu l'Angleterre 3.

Enfin, laissant en paix tous ces peuples divers,
De propos en propos on a parlé de vers.
Là, tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maîtres du Parnasse :

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4. Don Juan ou le Festin de Pierre, comédie de Molière.

2. Le recteur, quand il va en procession, est toujours accompagné de deux massiers. (B.)

3. L'Angleterre et la Hollande éloient alors en guerre, et le roi avoit envoyé des secours aux Hollandois. (B.)

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