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Rompant de ses beaux jours le fil trop délié,
Pour jamais me ravit mon aimable parente.
Ah! qu’un si rude coup me fit verser de pleurs !
Bientôt, la plume en main signalant mes douleurs,
Je demandai raison d'un acte si perfide.
Oui, j'en fis dès quinze ans ma plainte à l'univers;
Et l'ardeur de venger ce barbare homicide,
Fut le premier démon qui m'inspira des vers.
VIII. Stances à M. Molière sur sa comédie de l'École des Rennes,

que plusieurs gens frondoient.

1663.
En vain mille jaloux esprits,
Molière, osent avec mépris,
Censurer ton plus bel ouvrage :
Sa charmante naïveté
S'en va pour jamais d'âge en age
Divertir la postérité.
Que tu ris agréablement!
Que tu badines savamment!
Celui qui sut vaincre Numance',
Qui mit Carthage sous sa loi,
Jadis sous le nom de Térence
Sut-il mieux badiner que toi?
Ta muse avec utilité
Dit plaisamment la vérité ;
Chacun profite à ton école :
Tout en est beau, tout en est bon;
Et ta plus burlesque parole
Est souvent un docte sermon.
Laisse gronder tes envieux;
Ils ont beau crier en tous lieux
Qu'en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n'ont rien de plaisant ::
Si tu savois un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairois pas tant.
IX. Épitaphe de la mère de l'auteur.

1670.
Epouse d'un mari doux, simple, officieux,
Par la même douceur je sus plaire à ses yeux :

4. Scipion. (B.)

Nous ne sûmes jamais ni railler, ni médire.
Passant, ne t'enquiers point si de cette bonté
Tous mes enfans ont hérité :

Lis seulement ces, vers, et garde-toi d'écrire.

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Vers pour mettre au bas du portrait de mon père, greffier de la grand'chambre du Parlement de Paris.

1690.

Ce greffier, doux et pacifique,
De ses enfans au sang critique
N'eut point le talent redouté;
Mais, fameux par sa probité,
Reste de l'or du siècle antique,
Sa conduite dans le Palais
Partout pour exemple citée,
Mieux que leur plume si vantée
Fit la satire des Rollets.

XI.-M. Le Verrier, mon illustre ami, ayant fait graver mon portrait par Drevet, célèbre graveur, fit mettre au bas de ce portrait quatre vers, où l'on me fait ainsi parler :

1704.

Au joug de la raison asservissant la rimé,
Et, même en imitant, toujours original,
J'ai su dans mes écrits, docte, enjoué, sublime,
Rassembler en moi Perse, Horace et Juvénal'.

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4704.

Oui, Le Verrier, c'est là mon fidèle portrait;
Et le graveur en chaque trait

A su très-finement tracer sur mon visage
De tout faux bel esprit l'ennemi redouté.

Mais, dans les vers pompeux qu'au bas de cet ouvrage
Tu me fais prononcer avec tant de fierté,

4. Brossette raconte qu'un graveur, désirant mettre quelques vers au bas d'un portrait de Boileau, pria ce pcëte de les composer luimême, et que celui-ci répondit : « Je ne suis ni assez fat pour dire du bien de moi, ni assez sot pour en dire du mal. » Cependant le même Brosselte nous assure que Boileau est le véritable auteur des quatre vers no xi: Au joug de la raison, etc.; et c'est d'ailleurs ce qu'on pourroit conclure d'une lettre écrite par le poëte à son commentateur, le 6 mars 1705. D'un autre côté, Boileau a fait semblant de se trouver trop loué dans ce quatrain: il va s'en plaindre dans la pièce n° xii.

D'un ami de la vérité
Qui peut reconnoître l'image?

XIII. Sur le buste de marbre qu'a fait de moi M. Girardon,

premier sculpteur du roi.
Grâce au Phidias de notre âge,
Me voilà sûr de vivre autant que l'univers ;
Et ne connût-on plus ni mon nom ni mes vers,
Dans ce marbre fameux, taillé sur mon visage,
De Girardon toujours on vantera l'ouvrage.

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- Vers pour mettre au bas du portrait de Tavernier,

le célèbre voyageur.

1668.

De Paris à Delhi?, du couchant à l'aurore,
Ce fameux voyageur courut plus d'une fois;
De l'Inde et de l'Hydaspe 3 il fréquenta les rois,
Et sur les bords du Gange on le révère encore.
En tous lieux sa vertu fut son plus sûr appui;
Et, bien qu'en nos climats de retour aujourd'hui

En foule à nos yeux il présente
Les plus rares trésors que le soleil enfante",
Il n'a rien rapporté de si rare que lui.

XV. Vers pour mettre au bas d'un portrait de monseigneur le duc

du Maine, alors enfant, et dont on avoit imprimé un petit volume de lettres, au-devant desquelles ce prince étoit peint en Apollon, avec une couronne sur la tête.

1677.
Quel est cet Apollon nouveau,
Qui presque au sortir du berceau
Vient régner sur notre Parnasse ?

Qu'il est brillant ! Qu'il a de grâce !
Du plus grand des héros je reconnois le fils.
Il est déjà tout plein de l'esprit de son père;

Et le feu des yeux de sa mère
A passé jusqu'en ses écrits.

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1. François Girardon, sculpteur, né à Troyes en 1630, mort à Paris le 1er septembre 1715, le même jour que Louis XIV.

2, Ville et royaume des Indes. (B.) – 3. Fleuves du même pays. (B.) 4. Il étoit revenu des Indes avec près de 3 millions de pierreries. (B.)

XVI.

· Vers pour mettre au bas du portrait de Mlle de Lamoignon.

1687.

Aux sublimes vertus nourrie en sa famille,

Cette admirable et sainte fille
En tous lieux signala son humble piété;
Jusqu'aux climats' où naît et finit la clarté,
Fit ressentir l'effet de ses soins, secourables,
Et jour et nuit pour Dieu pleine d'activité,
Consuma son repos, ses biens et sa santé,
A soulager les maux de tous les misérables.

XVII.

· Vers pour mettre au bas du portrait de défunt M. Hamon,

médecin de Port-Royal.

1687.

Tout brillant de savoir, d'esprit et d'éloquence,
Il courut au désert chercher l'obscurité,
Aux pauvres consacra ses biens et sa science,
Et trente ans dans le jeûne et dans l'obscurité,

Fit son unique volupté
Des travaux de la pénitence.

XVIII.

Vers pour mettre sous le buste du roi, fait par Girardon, l'année que les Allemands prirent Belgrade.

1688.

C'est ce roi si fameux dans la paix,

dans la guerre,
Qui seul fait à son gré le destin de la terre.
Tout reconnoît ses lois, ou brigue son appui.
De ses nombreux combats le Rhin frémit encore;
Et l'Europe en cent lieux a vu fuir devant lui
Tous ces héros si fiers, que l'on voit aujourd'hui
Faire fuir l'Ottoman au delà du Bosphore.

XIX.

Vers pour mettre au bas du portrait de M. Racine.
Du théâtre françois l'honneur et la merveille,
Il sut ressusciter Sophocle en ses écrits ;
Et dans l'art d'enchanter les caurs et les esprits,
Surpasser Euripide et balancer Corneille.

4. Mlle de Lamoignon faisoit tenir de l'argent à beaucoup de missionnaires jusque dans les Indes orientales et occidentales. (B.) — L'édition de 1713 insère dans cette note les mots : «seur de M. le premier président. »

XX. Autre manière (communiquée par Racine fils à l'éditeur

de Boileau en 1740).
Du théâtre françois l'honneur et la merveille,
J'ai su ressusciter Sophocle dans mes vers,

Et, sans me perdre dans les airs,
Voler aussi haut que Corneille.

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XXI. Vers pour mettre sous le portrait de M. de La Bruyère, au-devant de son livre des Caractères du temps.

1693.
Tout esprit orgueilleux qui s'aime
Par mes leçons se voit guéri;
Et dans mon livre si chéri
Apprend à se naïr soi-même.

XXII. — Épitaphe de M. Arnauld, docteur de Sorbonne

1694.

Au pied de cet autel de structure grossière,
Gît sans pompe, enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit;
Arnauld, qui, sur la grâce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l'Eglise, à, dans l'Eglise même,
Souffert plus d'un outrage et plus d'un anathème.
Plein du feu qu'en son cœur souffla l'esprit divin,
Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin,
De tous les faux docteurs confondit la morale.
Maiş, pour fruit de son zèle, on l'a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par leur noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N'auroit jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même ici de son ouaille sainte
A ces loups dévorans n'avoit caché les os.

XXIII. - A Mme la présidente de Lamoignon, sur le portrait du père Bourdaloue qu'elle m'avoit envoyé.

1704. Du plus grand orateur dont la chaire se vante, M'envoyer je portrait, illustre présidente,

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1. Antoine Arnauld, mort en Flandre le 8 août 1694, dans sa quatrevingt-troisième année, est enterré dans un faubourg de Bruxelles, sous l'autel d'une petite chapelle.

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