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Seconder votre ardeur, échauffer vos esprits,
Et vous montrer de loin la couronne et le prix.
Mais aussi pardonnez, si, plein de ce beau zèle,
De tous vos pas fameux observateur fidèle,
Quelquefois du bon or je sépare le faux,
Et des auteurs grossiers j'atta que les défauts;
Censeur un peu fâcheux, mais souvent nécessaire.
Plus enclin blåmer que savant à bien ire.

FIN DE L'ART POÉTIONE.

LE LUTRIN.

POEME HÉROÏ-COMIQUE ,

1672-1683:

AU LECTEUR?.

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Je ne ferai point ici comme Arioste, qui quelquefois, sur le point de déhiter la fable du monde la plus absurde, la garantit vraie d'une vérité reconnue, et l'appuie même de l'autorité de l'archevêque Turpin 3. Pour moi, je déclare franchement que tout le poëme du Lutrin n'est qu'une pure fiction, et que tout y est inventė, jusqu'au nom même du lieu où l'action se passe. Je l'ai appelé Pourges“, du nom a'ilne petite chapelle qui étoit autrefois proche de Montlhéry. C'est pourquoi le lecteur ne doit pas s'étonner que, pour y arriver de Bourgogne, la Nuit prenne le chemin de Paris et de Montlhéry.

C'est une assez bizarre occasion qui a donné lieu à ce poëme. Il n'y a pas longtemps que dans une assemblée où j'étois, la conversation tomba sur le poëme héroïque. Chacun en parla suivant ses lumières. A l'égard de moi, comme on m'en eut demandé mon avis, je soutins ce que j'ai avancé dans ma poétique: qu'un poëme héroïque pour être excellent, devoit être chargé de peu de matière, et que c'étoit à l'invention à la soutenir et à l'étendre. La chose fut fort contestée. On s'échauffa be up; mais, après bien des

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1. Le trésorier remplit la première dignité du chapitre dont il est ici parlé et il officie avec toutes les marques de l'épiscopat. Le chantre remplit la deuxième dignité. Il y avoit autrefois dans le cheur, à la place de celui-ci (du chantre) un énorme pupitre ou lutrin qui le couvroit presque tout entier; il le fit ôter. Le trésorier voulut le faire remellre. De là arriva une dispute qui fait le sujet de ce poëme. (B.)

2. Cet avis est placé avant le Lutrin dans les éditions des OEuvres de Boileau publiées en 1674 et 1675.

3. Turpin , Tulpin ou Tilpin, moine de Saint-Denis, puis archevêque de Reims, mourui à la fin du vile siècle. Il n'y a nulle apparence qu'il soit l'auteur de la chronique fabuleuse qui porte son nom. Ce roman n'a été composé, selon Huet, qu'après l'an 1000; et ceux qui l'attribuent à un moine du Dauphiné, en retardent la composition jusqu'à

4. Le poëte, ne voulant pas nommer la Sainte-Chapelle de Paris, avoit d'abord indiqué celle de Bourges; il jugea ensuite à propos changer Bourges en Pourges.

1092.

de

raisons alléguées pour et contre, il arriva ce qui arrive ordinairement en toutes ces sortes de disputes : je veux dire qu'on ne se persuada point l'un l'autre, et que chacun demeura ferme dans son opinion. La chaleur de la dispute étant passée, on parla d'autre chose, et on se mit à rire de la manière dont on s'étoit échauffe sur une question aussi peu importante que celle-là. On moralisa fort sur la folie des hommes qui passent presque toute leur vie à faire sérieusement de très grandes bagatelles, et qui se font souvent une affaire considérable d'une chose indifférente. A propos de cela un provincial raconta un démêlé fameux, qui étoit arrivé autrefois dans une petite église de sa province, entre le trésorier et le chantre, qui sont les deux premières dignités de cette église, pour savoir si un lutrin seroit placé à un endroit ou à un autre. La chose fut trouvée plaisante. Sur cela un des sayans de l'assemblée, qui ne pouvoit pas oublier sitôt la dispute, me demanda si moi qui voulois si peu de matière pour un poëme héroïque , j'entreprendrois d'en faire un sur un démêlé aussi peu chargé d'incidens que celui de cette église. J'eus plutôt dit, pourquoi non ? que je n'eus fait réflexion sur ce qu'il me demandoit. Cela fit faire un éclat de rire à la compagnie, et je ne pus m'empêcher de rire comme les autres, ne pensant pas en effet moimême que je dusse jamais me mettre en état de tenir parole. Néanmoins le soir me trouvant de loisir, je rêvai à la chose, et ayant imaginé en général la plaisanterie que le lecteur va voir, j'en fis vingt vers que je montrai à mes amis. Ce commencement les réjouit assez. Le plaisir que je vis qu'ils y prenoient m'en fit faire encore vingt autres : ainsi de vingt vers en vingt vers, j'ai poussé enfin l'ouvrage à près de neuf cents vers'. Voilà toute l'histoire de la bagatelle que je donne au public. J'aurois bien voulu là lui donner achevée; mais des raisons très-secrètes?, et dont le lecteur trouvera bon que je ne l'instruise pas, m'en ont empêché. Je ne me serois pourtant pas pressé de le donner imparfait, comme il est, n'eût été les misérables fragmens qui en ont courus. C'est un bürlesque nouveau, dont je me suis avisé dans notre langue : car, au lieu que dans l'autre burlesque, Didon et Énée parloient comme des harengères et des crocheteurs, dans celui-ci une horlogère et un horloger“ parlent comme Didon et Enée. Je ne sais donc si mon poëme aura les qualités propres à satisfaire un lecteur; mais j'ose me flatter qu'il aura au moins l'agrément de la nouveauté, puisque je ne pense pas qu'il y ait d'ouvrage de cette nature en

2

1. Le Lutrin a plus de douze cents vers aujourd'hui. 2. Le poëme n'étoit pas achevé : voilà tout le secret.

3. Ces fragmens avoient même été imprimés en 1673, à la suite de la Réponse au Pain bénit du sieur de Marigny.

4. Dans la suite l'horloger et l'horlogère ont été remplacés par un perruquier et une perruquière.

notre langue, la Défaite des bouts-rimés de Sarasin' étant plutôt une pure allégorie qu’un poëme comme celui-ci.

AVIS AU LECTEUR

Il seroit inutile maintenant de nier que le poëme suivant a été composé à l'occasion d'un différend assez léger, qui s'émut dans une des plus célèbres églises de Paris, entre le trésorier et le chantre; mais c'est tout ce qu'il y a de vrai. Le reste, depuis le commencement jusqu'à la fin est une pure fiction; et tous les personnages y sont non-seulement inventés, mais j'ai eu soin même de les faire d'un caractère directement opposé au caractère de ceux qui desservent cette église, dont la plupart, et principalement les chanoines, sont tous gens, non-seulement d'une fort grande probité, mais de beaucoup d'esprit, et entre lesquels il y en a tel à qui je demanderois aussi volontiers son sentiment sur mes ouvrages, qu'à beaucoup de messieurs de l'Académie. Il ne faut donc pas s'étonner personne n'a été offensé de l'impression de ce poëme, puisqu'il n'y a en effet personne qui y soit véritablement attaqué. Un prodigue ne s'avise guère de s'offenser de voir rire d'un avare, ni un dévot de voir tourner en ridicule un libertin. Je ne dirai point comment je fus engagé à travailler à cette bagatelle sur une espèce de défi, qui me fut fait en riant par feu M. le premier président de Lamoignon, qui est celui que j'y peins sous le nom d'Ariste. Ce détail, à mon avis, n'est pas fort nécessaire. Mais je croirois me faire un trop grand tort si je laissois échapper cette occasion d'apprendre à ceux qui l'ignorent, que ce grand personnage, durant sa vie, m'a honoré de son amitié. Je commençai à le connoître dans le temps que mes satires faisoient le plus de bruit; et l'accès obligeant qu'il me donna dans son illustre maison fit avantageusement mon apologie contre ceux qui vouloient m'accuser alors de libertinage et de mauvaises meurs. C'étoit un homme d'un savoir étonnant, et passionné admirateur de tous les bons livres de l'antiquité; et c'est ce qui lui fit plus aisément souffrir mes ouvrages, où il crut entrevoir quelque goût des anciens. Comme sa piété étoit sincère, elle étoit aussi fort gaie, et n'avoit rien d'embarrassant. Il ne s'effraya point du nom de satires que portoient ces ouvrages, où il ne vit en effet que des vers et des auteurs attaqués. Il me loua même plusieurs fois d'avoir purgé, pour ainsi dire, ce genre de poésie de la saleté qui lui

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Dulot vaincu ou la Défaite des bouts-rimés, poëme de Sarasin. 2. Cet avis terminoit la préface générale que Boileau avoit mise à ja tête de ses cuyres, dans l'édition de 1683 : il le plaça en 1704 å la tête du Lutrin,

avoit été jusqu'alors comme affectée. J'eus donc le bonheur de ne lui être pas désagréable. Il m'appela à tous ses plaisirs et à tous ses divertissemens, c'est-à-dire à ses lectures et à ses promenades. Il me favorisa même quelquefois de så plus étroite confidence, et me fit voir à fond son âme entière. Et que n'y vis-je point! Quel trésor surprenant de probité et de justice ! Quel fonds inépuisable de piété et de zèle ! Bien que sa vertu jetât un fort grand éclat au dehors, c'étoit toute autre chose au dedans; et on voyoit bien qu'il avoit soin d'en tempérer les rayons, pour ne pas blesser les yeux d'un siècle aussi corrompu que le nôtre. Je fus sincèrement épris de tant de qualités admirables; et s'il eut beaucoup de bonne volonté pour moi, j'eus aussi pour lui une très-forte attache. Les soins que je lui rendis ne furent mêlés d'aucune raison d'intérêt mercenaire; et je songeai bien plus à profiter de sa conversation que de son crédit. Il mourut dans le temps que cette amitié étoit en son plus haut point; et le souvenir de sa perte m'afflige encore tous les jours. Pourquoi faut-il que des hommes si dignes de vivre soient sitôt enlevés du monde, tandis que des misérables et des gens de rien arrivent à une extrême vieillesse ! Je ne m'étendrai pas davantage sur un sujet si triste : car je sens bien que si je continuois à en parler, je ne pourrois m'empêcher de mouiller peut-être de larmes la préface d'un ouvrage de pure plaisanterie.

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CHANT I.

1672.

Je chante les combats, et ce prélat terrible'
Qui, par ses longs travaux et sa force invincible,
Dans une illustre église? exerçant son grand cour,
Fit placer à la fin un lutrin dans le chąur.
C'est en vain que le chantres, abusant d'un faux titre,
Deux fois l'en fit ôter par les mains du chapitre :
Ce prélat, sur le banc de son rival altier
Deux fois le reportant, l'en couvrit tout entier.

Muse, redis-moi donc quelle ardeur de vengeance

4. Claude Auvri, d'abord camérier du cardinal Mazarin, puis évêque de Coutances, ensuite trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris.

2. L'édition in-4° de 1674 porte : Dans Pourges autrefois. On avoit imprimé Bourges; mais Boileau fit gratter dans lous les exemplaires la boucle inférieure du B. On aperçoit encore dans ces exemplaires les traces de cette opération faile avec la pointe du canis. Quelques-unes des éditions suivantes n'offrent ici que l'initiale P : Dans P..., autrefois. Celle de 1683 porte la leçon qui est restée : Dans une illustre eglise.

3. Jacques Barrin, fils du maître des requêtes La Galissonnière.

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