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DES TROIS DERNIÈRES ÉPITRES.

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trouvé la doctrine très-saine et très-pure; que beaucoup de prélats illustres à qui je l'ai récitée en ont jugé comme eux; que Mgr l'évêque de Meaux', c'est-à-dire une des plus grandes lumières qui aient éclairė l'Eglise dans les derniers siècles, a eu longtemps mon ouvrage entre les mains, et qu'après l'avoir lu et relu plusieurs fois, il m'a non-seulement donné son approbation, mais a trouvé bon que je publiasse à tout le monde qu'il me la donnoit; enfin, que, pour mettre le comble à ma gloire, ce saint archevêque dans le diocèse duquel j'ai le bonheur de me trouver, ce grand prélat, dis-je, aussi éminent en doctrines et en vertus qu'en dignité et en naissance, que le plus grand roi de l'univers, par un choix visiblement inspiré du ciel, a donné à la ville capitale de son royaume, pour assurer l'innocence et pour détruire l'erreur, Mgr l'archevêque de Paris, en un mot, a bien daigné aussi examiner soigneusement mon épître, et a eu même la bonté de me donner sur plus d'un endroit des conseils que j'ai suivis; et m'a enfin accordé aussi son approbation, avec des éloges dont je suis egalement ravi et confus.

Au reste, comme il y a des gens qui ont publié que mon épître n'étoit qu'une vaine déclamation qui n'attaquoit rien de réel, ni qu'aucun homme eût jamais avancé; je veux bien, pour l'intérêt de la vérité, mettre ici la proposition que j'y combats, dans la langue et dans les termes qu'on la soutient en plus d'une école. La voici : « Attritio ex gehennæ metu sufficit, etiam sine ulla Dei « dilectione, et sine ullo ad Deum offensum respectu; quia talis a honesta et supernaturalis est 3. » C'est cette proposition que j'attaque et que je soutiens fausse, abominable, et plus contraire, à la vraie religion que le lutheranisme ni le calvinisme. Cependant je ne crois pas qu'on puisse nier qu'on ne l'ait encore soutenue depuis peu, et qu'on ne l'ait même insérée dans quelques catéchismes en des mots fort approchans des termes latins que je viens de rapporter.

1. Jacques-Bénigne Bossuet. (B.) - Bossuet écrivoit, en 1695, à l'abbé Renaudot : « Si je me fusse trouvé ici quand vous m'avez honoré de votre visite, je vous aurois proposé le pèlerinage d'Auteuil, avec M. l'abbé Boileau, pour aller entendre de la bouche inspirée de M. Despréaux l'hymne céleste de l'Amour de Dieu. C'est pour mercredi. Je vous invite à diner.... Après nous irons, je vous en conjure. »

2. Louis-Antoine de Noailles, cardinal, archevêque de Paris. (B.)

3. C'est-à-dire : « L'attrition qui résulte de la crainte de l'enser suffit, même sans aucun amour de Dieu, et sans aucun rapport à ce Dieu qu'on a offensé; une telle altrition suffit, parce qu'elle est honnête et surnaturelle. »

BOILEAU I

12

ÉPITRE X.

1695.

A MES VERS.

DETAILS DE LA VIE DE L'AUTEUR

J'ai beau vous arrêter, ma remontrance est vaine,
Allez, partez, mes vers, dernier fruit de ma veine.
C'est trop languir chez moi dans un obscur séjour :
La prison vous déplaît, vous cherchez le grand jour ;
Et déjà chez Barbin1, ambitieux libelles,

Vous brûlez d'étaler vos feuilles criminelles.
Vains et foibles enfans dans ma vieillesse nés,
Vous croyez sur les pas de vos heureux aînés

Voir bientôt vos bons mots, passant du peuple aux princes,
Charmer également la ville et les provinces;
Et, par le prompt effet d'un sel réjouissant,
Devenir quelquefois proverbes en naissant.

Mais perdez cette erreur dont l'appât vous amorce.

Le temps n'est plus, mes vers, où ma muse en sa force,
Du Parnasse françois formant les nourrissons,

De si riches couleurs habilloit ses leçons;

Quand mon esprit, poussé d'un courroux légitime,
Vint devant la raison plaider contre la rime;

A tout le genre humain sut faire le procès,
Et s'attaqua soi-même avec tant de succès.
Alors il n'étoit point de lecteur si sauvage
Qui ne se déridât en lisant mon ouvrage,
Et qui, pour s'égayer, souvent dans ses discours,
D'un mot pris en mes vers n'empruntât le secours.
Mais aujourd'hui qu'enfin la vieillesse venue,
Sur mes faux cheveux blancs déjà toute chenue2,
A jeté sur ma tête, avec ses doigts pesans,
Onze lustres complets, surchargés de trois ans3,
Cessez de présumer dans vos folles pensées,
Mes vers, de voir en foule à vos rimes glacées
Courir, l'argent en main, les lecteurs empressés;
Nos beaux jours sont finis, nos honneurs sont passés :
Dans peu vous allez voir vos froides rêveries

Du public exciter les justes moqueries;

4. Libraire du palais. (B.)

2. L'auteur avoit pris perruque. (B.)

3. Cinquante-huit ans; mais Boileau en avoit réellement cinquanteneuf en 1695

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Et leur auteur, jadis à Regnier préféré,
A Pinchêne, à Linière, à Perrin comparé.
Vous aurez beau crier : «0 vieillesse ennemie!
« N'a-t-il donc tant vécu que pour cette infamie i go
Vous n'entendrez partout qu'injurieux brocard's
Et sur vous et sur lui fondre de toutes parts.

« Que veut-il ? dira-t-on; quelle fougue indiscrète
Ramène sur les rangs encor ce vain athlète?
Quels pitoyables versl quel style languissant!
Malheureux, laisse en paix ton cheval vieillissant,
De peur que tout à coup, efflanqué, sans haleine,
Il ne laisse en tombant son maître sur l'arène. »
Ainsi s'expliqueront nos censeurs sourcilleux,
Et bientôt vous verrez mille auteurs pointilleux,
Pièce à pièce épluchant vos sons et vos paroles,
Interdire chez vous l'entrée aux hyperboles;
Traiter tout noble mot de terme hasardeux,
Et dans tous vos discours, comme monstres hideux,
Huer la métaphore et la métonymie,
Grands mots que Pradon croit des termes de chimie;
Vous soutenir qu'un lit ne peut être effronté ?
Que nommer la luxure est une impureté.
En vain contre ce flot d'aversion publique
Vous tiendrez quelque temps ferme sur la boutique;
Vous irez à la fin, honteusement exclus,
Trouver au magasin Pyrame et Régulus 3,
Ou couvrir chez Thierry, d'une feuille encor neuve,
Les méditations de Buzée et d’Hayneuve;
Puis, en tristes lambeaux semés dans les marchés,
Souffrir tous les affronts au Jonas 6 reprochés.

Mais quoil de ces discours bravant la vaine attaque,
Déjà, comme les vers de Cinna , d’Andromaque,
Vous croyez à grands pas chez la postérité
Courir, marqués au coin de l'immortalité!
Eh bien, contentez donc l'orgueil qui vous enivre;
Montrez-vous, j'y consens : mais du moins dans mon livre,
Commencez par vous joindre à mes premiers écrits.
C'est là qu'à la faveur de vos frères chéris,
Peut-être enfin soufferts comme enfans de ma plume,
Vous pourrez vous sauver, épars dans le volume.
Que si mêmes un jour le lecteur gracieux,
Amorcé par mon nom, sur vous tourne les yeux,
Pour m'en récompenser, mes vers, avec usure,

4. Vers du Cid. (B.) 2. Terme de la dixième satire, vers 396. (B.) 3. Pièces de théâtre de Pradon. (B.) 4. Jonas, poëme héroïque non vendu. (B.)

۲

De votre auteur alors faites-lui la peinture :
Et surtout prenez soin d'effacer bien les traits
Dont tant de peintres faux ont flétri mes portraits.
Déposez hardiment qu'au fond cet homme horrible,
Ce censeur qu'ils ont peint si noir et si terrible,
Fut un esprit doux, simple, ami de l'équité,
Qui, cherchant dans ses vers la seule vérité,
Fit sans être malin ses plus grandes malices,
Et qu'enfin sa candeur seule a fait tous ses vices.
Dites que, harcelé par les plus vils rimeurs,
Jamais, blessant leurs vers, il n'effleura leurs moeurs :
Libre dans ses discours, mais pourtant toujours sage,
Assez foible de corps, assez doux de visage,
Ni petit, ni trop grand, très-peu voluptueux,
Ami de la vertu plutôt que vertueux.

Que si quelqu'un, mes vers, alors vous importune
Pour savoir mes parens, ma vie et ma fortune,
Contez-lui qu'allié d'assez hauts magistrats,
Fils d'un père greffier, né d'aïeux avocats,
Dès le berceau perdant une fort jeune mère,
Réduit seize ans après à pleurer mon vieux père,
J'allai d'un pas hardi, par moi-même guidé,
Et de mon seul génie en marchant secondé,
Studieux amateur et de Perse et d'Horace,
Assez près de Regnier m'asseoir sur le Parnasse;
Que, par un coup du sort au grand jour amené,
Et des bords du Permesse à la cour entraîné,
Je sus, prenant l'essor par des routes nouvelles,
Elever assez haut mes poétiques ailes;
Que ce roi dont le nom fait trembler tant de rois
Voulut bien que ma main crayonnåt ses exploits ;
Que plus d'un grand m’aima jusques à la tendresse;
Que ma vue à Colbert inspiroit l'allégresse;
Qu'aujourd'hui même encor, de deux sensi affoibli,
Retiré de la cour, et non mis en oubli,
Plus d'un héros, épris des fruits de mon étude,
Vient quelquefois chez moi goûter la solitude?.

Mais des heureux regards de mon astre étonnant
Marquez bien cet effet encor plus surprenant,
Qui dans mon souvenir aura toujours sa place :
Que de tant d'écrivains de l'école d'Ignace
Etant, comme je suis, ami si déclarés,
Ce docteur toutefois si craint, si révéré,
Qui contre eux de sa plume épuisa l'énergie,

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1. La vue et l'ouie. 2. A Auteuil. (B.) 3. Des jésuites Rapin, Bourdaloue, Bouhours, d'Olivet, etc.

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Arnauld, le grand Arnauld, fit mon apologie'.
Sur mon tombeau futur, mes vers, pour l'énoncer,
Courez en lettres d'or de ce pas vous placer :
Allez, jusqu'où l’Aurore en naissant voit l’Hydaspe,
Chercher, pour l'y graver, le plus précieux jaspe :
Surtout à mes rivaux sachez bien l'étaler.

Mais je vous retiens trop. C'est assez vous parler.
Déjà, plein du beau feu qui pour vous le transporte,
Barbin impatient chez moi frappe à la porte :
Il vient pour vous chercher. C'est lui : j'entends sa voix.
Adieu, mes vers, adieu, pour la dernière fois.

:

ÉPITRE XI

4695.

A MON JARDINIER:.

LE TRAVAIL

Laborieux valet du plus commode maître
Qui pour te rendre heureux ici-bas pouvoit naître,
Antoine, gouverneur de mon jardin d'Auteuil,
Qui diriges chez moi l'if et le chèvrefeuil",
Et sur mes espaliers, industrieux génie,
Sais si bien exercer l'art de La Quintinie ';
Oh! que de mon esprit triste et mal ordonné,
Ainsi que de ce champ par toi si bien orné,
Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines,
Et des défauts sans nombre arracher les racines !

Mais parle : raisonnons. Quand, du matin au soir,
Chez moi poussant la bêche, ou portant l'arrosoir,
Tu fais d'un sable aride une terre fertile,
Et rends tout mon jardin à tes lois si docile;
Que dis-tu de m'y voir rêveur, capricieux,
Tantôt baissant le front, tantôt levant les yeux,
De paroles dans l'air par élans envolées
Effrayer les oiseaux perchés dans mes allées ?
Ne soupçonnes-tu point qu'agité du démon,

4. M. Arnauld a fait une dissertation où il me justifie contre mes censeurs. (B.)

2. Flenve des Indes. (B.) 3. Horace a aussi adressé une épitre à son fermier : c'est la quatorzième du livre I. Le jardinier de Boileau s'appeloit Antoine Riquet ou Riquié; il est mort en 1749. 4. On écrit chèvrefeuille. 6. Célèbre directeur des jardins du roi. (B.)

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