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Je songe à chaque trait que ma plume hasarde,

à
Que d'un æil dangereux leur troupe me regardé.
Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.
Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre,
C'est en me guérissant que je sais leur répondre :
Et plus en criminel ils pensent m'ériger,
Plus, croissant en vertu, je songe à me venger.
Imite mon exemple; et lorsqu'une cabale,
Un flot de vains auteurs follement te ravale,
Profite de leur haine et de leur mauvais sens,
Ris du bruit passager de leurs cris impuissans.
Que peut contre tes vers une ignorance vaine ?
Le Parnasse françois, ennobli par ta veine,
Contre tous ces complots saura te maintenir,
Et soulever pour toi l'équitable avenir.
Eh! qui, voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre malgré soi perfide, incestueuse,
D'un oble travail justement étonné,
Ne bénira d'abord le siècle fortune
Qui, rendu plus fameux par tes illustrès veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles ?

Cependant laisse ici gronder quelques censeurs
Qu’aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.
Et qu'importe à nos vers que Perrin' les admire;
Que l'auteur du Jonas: s'empresse pour les lire;
Qu'ils charment de Senlis le poëte idiots,
Ou le sec traducteur du françois d'Amyot :
Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées
Soient du peuple, des grands, des provinces gottées ;
Pourvu qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois,
Qu'à Chantilli Condé les souffre quelquefois;
Qu'Enghien en soit touché; que Colbert et Vivonne,
Que La Rochefoucaulds, Marsillac 6 et Pomponne,
Et mille autres qu'ici je ne puis faire entrer,
A leurs traits délicats se laissent pénétrer?

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France. (B.)

1. Il a traduit l'Énéide et a fait le premier opéra qui ait paru en 2. Coras. — 3. Linière. (B.) 4. L'abbé François Tallemant, de l'Académie françoisé, donna en 1683 une version des Vies de Plutarque , où il n'avoit fait que rajeuair et le plus souvent gåter l'excellente traduction d'Amyot.

5. L'auteur des Maximes. 6. Fils de l'auteur des Maximes. 7. Arnauld, marquis de Pomponne, fils de Robert Arnauld d'Àndilly, et neveu d’Antoine Arnauld, le théologien. Pomponne mourut ministre d'Etat en 1699.

Et plât au ciel encor, pour couronner l'ouvrage,
Que Montausier voulůt leur donner son suffrage !

C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits;
Mais pour un tas grossier de frivoles esprits,
Admirateurs zélés de toute cuvre insipide,
Que, non loin de la place où Brioché ' préside :
Sans chercher dans les vers ni cadence ni son,
Il s'en aille admirer le savoir de Pradon!

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ÉPITRE VIII.

4675.

AU ROI.

REMERCÎMENT.

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Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire ?
Tu sais bien que mon style est né pour la satire;
Mais mon esprit, contraint de la désavouer,
Sous ton règne étonnant ne veut plus que louer.
Tantôt, dans les ardeurs de ce zèle incommode,
Je songe à mesurer les syllabes d’une ode;
Tantôt d'une Enéide auteur ambitieux,
Je m'en forme déjà le plan audacieux :
Aipsi, toujours flatté d'une douce manie,
Je sens de jour en jour dépérir mon génie;
Et mes vers, en ce style ennuyeux, sans appas,
Déshonorent ma plume, et ne t'honorent pas.

Encor si ta valeur, à tout vaincre obstinée,
Nous laissoit, pour le moins, respirer une année,
Peut-être mon esprit, prompt à ressusciter,
Du temps qu'il a perdu sauroit se racquitter.
Sur ses nombreux défauts, merveilleux à décrire,
Le siècle m'offre encor plus d'un bon mot à dire.
Mais à peine Dinan et Limbourg sont forcés,
Qu'il faut chanter Bouchain et Condé terrassés.
Ton courage, affamé de péril et de gloire,
Court d'exploits en exploits, de victoire en victoire.
Souvent ce qu'un seul jour te voit exécuter
Nous laisse pour un an d'actions à compter.

Que si quelquefois, las de forcer des murailles,

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4. Fameux joueur de marionnettes logé proche des comédiens. (B.)

2. Au moment où Boileau alloit publier cette épitre, Louis XIV n'avoit que trop cessé de vaincre. Le début de cette épitre auroit semblé ironique. Le poëte retarda de quelques mois l'impression de sa pièce.

Le soin de tes sujets te rappelle a Versailles,
Tu viens m'embarrasser de mille autres vertus :
Te voyant de plus près, je t'admire encor plus.
Dans les nobles douceurs d'un séjour plein de charmes,
Tu n'es pas moins héros qu'au milieu des alarmes :
De ton trône agrandi portant seul tout le faix,
Tu cultives les arts; tu répands les bienfaits;
Tu sais récompenser jusqu'aux muses critiques.
Ah! crois-moi, c'en est trop. Nous autres satiriques,
Propres à relever les sottises du temps,
Nous sommes un peu nės pour être mécontens :
Notre muse, souvent paresseuse et stérile,
A besoin, pour marcher, de colère et de bile.
Notre style languit dans un remercîment;
Mais, grand roi, nous savons nous plaindre élégamment.

Oh ! que, si je vivois sous les règnes sinistres
De ces rois nés valets de leurs propres ministres,
Et qui, jamais en main ne prenant le timon,
Aux exploits de leur temps ne prêtoient que leur nom;
Que, sans les fatiguer d'une louange vaine,
Aisément les bons mots couleroient de ma veine!
Mais toujours sous ton règne il faut se récrier;
Toujours, les yeux au ciel, il faut remercier.
Sans cesse à t’admirer ma critique forcée
N'a plus en écrivant de maligne pensée,
Et mes chagrins sans fiel et presque évanouis,
Font grâce à tout le siècle en faveur de Louis.
En tous lieux cependant la Pharsale' approuvée,
Sans crainte de mes vers, va la tête levée;
La licence partout règne dans les écrits :
Déjà le mauvais sens, reprenant ses esprits,
Songe à nous redonner des poëmes épiques?,
S'empare des discours mêmes académiques;
Perrin a de ses vers obtenu le pardon,
Et la scène françoise est en proie à Pradon.
Et moi, sur ce sujet loin d'exercer ma plume,
J'amasse de tes faits le pénible volume,
Et ma muse, occupée à cet unique emploi,
Ne regarde, n'entend, ne connoît plus que toi!

Tu le sais bien pourtant, cette ardeur empressée
Ņ'est point en moi l'effet d'une âme intéressée.
Avant que tes bienfaits courussent me chercher,

2

4. La Pharsale, de Brébeur. (B.) 2. Childebrand et Charlemagne, poëmes qui n'ont point réussi. (B.)

Le premier étoit de Carel de Sainte-Garde ; le second, de Louis le Laboureur,

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Mon zèle impatient ne se pouvoit cacher :
Je n'admirois que toi. Le plaisir de le dire
Vint m'apprendre à louer au sein de la satire.
Et, depuis que tes dons sont venus m'accabler,
Loin de sentir mes vers avec eux redoubler,
Quelquefois, le dirai-je? un remords légitime,
Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime.
Il me semble, grand roi, dans mes nouveaux écrits,
Que mon encens payé n'est plus du même prix.
J'ai peur que l'univers, qui sait ma récompensë,
N'impute mes transports à ma reconnoissance ;
Et que par tes présens mon vers décrédité
N’ait moins de poids pour toi dans la postérité.

Toutefois je sais vaincre un remords qui te blesse.
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse
A peindre tes exploits ne doit point s'engager,
Qui d'un si justé soin se pourra donc charger?
Ah! plutôt de nos sons redoublons l'harmonie :
Le zèle à mon esprit tiendra lieu de génie.
Horace tant de fois dans mes vers imité,
De vapeurs en son temps, comme moi tourmente,
Pour amortir le feu de sa rate indocile
Dans l'encre quelquefois sut égayer sa bile.
Mais de la même main qui peignit Tullius',
Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius?,
Il sut fléchir Glycére, il sut vanter Auguste,
Et marquer sur la lyre une cadence juste.
Suivons les pas fameux d'un si noble écrivain.
A ces mots, quelquefois prenant la lyre en main,
Au récit que pour toi je suis près d'entreprendre,
Je crois voir les rochers accourir pour m'entendre;
Et déjà mon vers coule à flots précipités,
Quand j'entends le lecteur qui me crie : « Arrêtez.
Horace eut cent talens; mais la nature avare
Ne vous a rien donné qu’un peu d'humeur bizarre :
Vous passez en audace et Perse et Juvénal;
Mais sur le ton flatteur Pinchêne est votre égal. »
A ce discours, grand roi, que pourrois-je répondre ?
Je me sens sur ce point trop facile à confondre;
Et, sans trop relever des reproches si vrais,
Je m'arrête à l'instant, j'admire et je me tais.

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1. Sénateur romain. César l'exclut du sénat; mais il y rentra après sa mort. (B.)

2. Fameux musicien, le plus estimé de son temps et fort chéri d'Auguste. (B.)

ÉPITRE IX.

1675.

AU MARQUIS DE SEIGNELAY.

RIEN N'EST BEAU QUE LE VRAI.

Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur,
Seignelay', c'est en vain qu'un ridicule auteur,
Prêt à porter ton nom de l'Ebre? jusqu'au Ganges,
Croit te prendre aux filets d'une sotte louange.
Aussitôt ton esprit, prompt à se révolter,
S'échappe, et rompt le piége où l'on veut l'arrêter.
Il n'en est pas ainsi de ces esprits frivoles
Que tout flatteur endort au son de ses paroles ;
Qui, dans un vain sonnet, placés au rang des dieux,
Se plaisent à fouler l'Olympe radieux ;
Et, fiers du haut étage où La Serre les loge,
Avalent sans dégoût le plus grossier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à si bas prix
Non que tu sois pourtant de ces rudes esprits
Qui regimbent toujours, quelque main qui les flatte :
Tu souffres la louange adroite et délicate,
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les sens;
Mais un auteur novice à répandre l'encens
Souvent à son héros, dans un bizarre ouvrage,
Donne de l'encensoir au travers du visage,
Va louer Montereyó d'Oudenarde forcés,
Ou vante aux Électeurs Turenne repoussé ?.
Tout éloge imposteur blesse une âme sincère.
Si, pour faire sa cour à ton illustre père,
Seignelay, quelque auteur, d'un faux zèle emporté,
Au lieu de peindre en lui la noble activité,
La solide vertu, la vaste intelligence,
Le zèle pour son roi, l'ardeur, la vigilance,

1. Jean-Baptiste Colbert, ministre et secrétaire d'État, mort en 1690, fils de Jean-Baptiste Colbert, ministre et secrétaire d'Etat. (B.,

2. Rivière d'Espagne. (B.) 3. Rivière des Indes. (B.) 4. La Serre composoit, sous le titre de Portraits, des éloges en vers 5. Gouverneur des Pays-Bas. (B.) 6. Monterey avoit assiégé Oudenarde; Condé le força de lever le siége avec précipitation le 12 septembre 1674.

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7. Turenne, au contraire, avoit battu l'armés des électeurs à Turckheim, le 5 janvier 1675.

et en prose.

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