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La licence et l'orgueil en tous lieux réprimés,
Du débris des traitans ton épargne grossie?,
Des subsides affreux la rigueur adoucies;
Le soldat, dans la paix, sage et laborieux";
Nos artisans grossiers rendus industrieux 5;
Et nos voisins frustrés de ces tributs serviles
Que payoit à leur art le luxe de nos villes.
Tantôt je tracerai tes pompeux bâtimens,
Du loisir d'un héros nobles amusemens.
J'entends déjà frémir les deux mers étonnées
De voir leurs flots unis aux pieds des Pyrénées 6.
Déjà de tous côtés la chicane aux abois
S'enfuit au seul aspect de tes nouvelles lois'.
Oh! que ta main par là va sauver de pupilles !
Que de savans plaideurs désormais inutiles!
Qui ne sent point l'effet de tes soins généreux ?
L'univers sous ton règne a-t-il des malheureux ?
Est-il quelque vertu, dans les glaces de l'Ourse,
Ni dans ces lieux brûlés où le jour prend sa source,
Dont la triste indigence ose encore approcher,
Et qu'en foule tes dons d'abord n'aillent chercher?
C'est par toi qu'on va voir les Muses enrichies
De leur longue disette à jamais affranchies 8.
Grand roi, poursuis toujours, assure leur repos.
Sans elles un héros n'est pas longtemps héros :
Bientôt, quoi qu'il ait fait, la mort, d'une ombre noire ,
Enveloppe avec lui son nom et son histoire.
En vain, pour s'exempter de l'oubli du cercueil,
Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil;
En vain, malgré les vents, aux bords de l’Hespérie,
Enée enfin porta ses dieux et sa patrie;
Sans le secours des vers, leurs noms tant publiés
Seroient depuis mille ans avec eux oubliés.
Non, à quelques hauts faits que ton destin t'appelle,
Sans le secours soigneux d'une Muse fidèle
Pour t’immortaliser tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit : ouvre-lui tes trésors.

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4. Plusieurs édits pour réformer le luxe. (B.)
2. La chambre de justice. (B.)
3. Les tailles furent dimiquées de quatre millions. (B.)
4. Les soldats employés aux travaux publics. (B.)

5. Établissement en France des manufactures. (B.) — Tapisseries des Gobelins ; point de France, en 1665; glaces, en 1666.

6. Le canal de Languedoc, entrepris en 1664. (B.)
7. L'ordonnance de 1667, sur la procédure civile. (B.)

8. Le roi, en 1663, donna des pensions à beaucoup de gens de lettres de toute l'Europe. (B.)

En poëtes fameux rends nos climats fertiles :
Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.
Que d'illustres témoins de ta vaste bonté
Vont pour toi déposer à la postérité !

Pour moi qui, sur ton nom déjà brûlant d'écrire,
Sens au bout de ma plume expirer la satire,
Je n'ose de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois si quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il son usage;
Et coinme tes exploits, étonnant les lecteurs,
Seront à peine crus sur la foi des auteurs,
Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour pour les rendre croyables :
Boileau, qui, dans ses vers pleins de sincérité,
Jadis à tout son siècle a dit la vérité,
Qui mit à tout blåmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce roi parlé comme l'histoire.

ÉPITRE II.

1669.

A M. L'ABBÉ DES ROCHES'.

CONTRE LES PROCÈS.

A quoi bon réveiller mes Muses endormies,
Pour tracer aux auteurs des règles ennemies ?
Penses-tu qu'aucun d'eux veuille subir mes lois,
Ni suivre une raison qui parle par ma voix ?
O le plaisant docteur, qui, sur les pas d'Horace,
Vient prêcher, diront-ils, la réforme au Parnasse i
Nos écrits sont mauvais; les siens valent-ils mieux ?
J'entends déjà d'ici Linière furieux
Qui m'appelle au combat sans prendre un plus long terme.
De l'encre, du papier, dit-il; qu'on nous enferme!
Voyons qui de nous deux, plus aisé dans ses vers,
Aura plus tôt rempli la page et le revers.
Moi donc, qui suis peu fait à ce genre d'escrime,
Je le laisse tout seul verser rime sur rime,
Et, souvent de dépit contre moi s'exerçant,
Punir de mes défauts le papier innocent.
Mais toi, qui ne crains point qu'un rimeur te noircisse,

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1. Jean-Francois-Armand-Fumée des Roches, né vers 1636, mourut en 1741. Guéret lui a dédié le Parnasse réformé.

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1

Que fais-tu cependant seul en ton bénéfice ? Attends-tu qu'un fermier, payant, quoiqu'un peu tard, De ton bien pour le moins daigne te faire part ? Vas-tu, grand défenseur des droits de ton église, De tes moines mutins réprimer l'entreprise ? Crois-moi, dùt Auzanet' t'assurer du succès, Abbé, n'entreprends point même un juste procès. N'imite point ces fous dont la sotte avarice Va de ses revenus engraisser la justice; Qui, toujours assignant, et toujours assignés, Souvent demeurent gueux de vingt procès gagnés. Soutenons bien nos droits : sot est celui qui donne. C'est ainsi devers Caen que tout Normand raisonne. Ce sont là les leçons dont un père manceau Instruit son fils novice au sortir du berceau. Mais pour toi, qui, nourri bien en deçà de l'Oise, As sucé la vertu picarde et champenoise, Non, non, tu n'iras point, ardent bénéficier, Faire enrouer pour toi Corbin ni Le Mazier:. Toutefois si jamais quelque ardeur bilieuse Allumoit dans ton cour l'humeur litigieuse, Consulte-moi d'abord, et, pour la réprimer, Retiens bien la leçon que je te vais rimer.

Un jour, dit un auteur, n'importe en quel chapitre, Deux voyageurs à jeun rencontrèrent une huître.

à
Tous deux la contestoient, lorsque dans leur chemin
La justice passa, la balance à la main.
Devant elle à grand bruit ils expliquent la chose.
Tous deux avec dépens veulent gagner leur cause.
La justice, pesant ce droit litigieux,
Demande l'huître, l'ouvre, et l’avale à leurs yeux ,
Et par ce bel arrết terminant la bataille :
« Tenez; voilà, dit-elle à chacun, une écaille;
Des sottises d'autrui nous vivons au palais.
Messieurs, l'huître étoit bonne. Adieu. Vivez en paix.

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1. Fameux avocat au Parlement de Paris. (B.) 2. Deux avocats célèbres. (B.)

ÉPITRE III.

1673.

A M. ARNAULD', DOCTEUR DE SORBONNE.

LÀ MAUVAISE HONTE.

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Oui, sans peine, au travers des sophismes de Claude”,
Arnauld, des novateurs tu découvres la fraude,
Et romps de leurs erreurs les filets captieux.
Mais que sert que ta main leur dessille les yeux,
Si toujours dans leur âme une pudeur rebelle,
Près d'embrasser l'Eglise, au prêche les rappelle ?
Non, ne crois pas que Claude, habile à se tromper,
Soit insensible aux traits dont tu le sais frapper;
Mais un démon l'arrête, et, quand ta voix l'attire,
Lui dit : « Si tu te rends, sais-tu ce qu'on va dire ? »
Dans son heureux retour lui montre un faux malheur,
Lui peint de Charenton 3 l'hérétique douleur;
Et, balançant Dieu même en son âme flottante,
Fait mourir dans son cœur la vérité naissante.

Des superbes mortels le plus affreux lien,
N'en doutons point, Arnauld, c'est la honte du bien.
Des plus nobles vertus cette adroite ennemie
Peint l'honneur à nos yeux des traits de l'infamie,
Asservit nos esprits sous un joug rigoureux,
Et nous rend l'un de l'autre esclaves malheureux.
Par elle la vertu devient lâche et timide.
Vois-tu ce libertin en public intrépide,
Qui prêche contre un Dieu que dans son âme il croit ?
Il iroit embrasser la vérité qu'il voit;
Mais de ses faux amis il craint la raillerie,
Et ne brave ainsi Dieu que par poltronnerie.

C'est là de tous nos maux le fatal fondement.
Des jugemens d'autrui nous treblons follement;
Et, chacun l'un de l'autre adorant les caprices,
Nous cherchons hors de nous nos vertus et nos vices.
Misérables jouets de notre vanité,
Faisons au moins l'aveu de notre infirmité.
A quoi bon, quand la fièvre en nos artères brûle,
Faire de notre mal un secret ridicule ?
Le feu sort de vos yeux petillans et troublés,

i. Antoine Arnauld. 2. Il éloit alors occupé à écrire contre le sieur Claude, ministre de Charenton. (B.)

3. Lieu près de Paris où ceux de la R. P. R. (religion prétendue rés Corinée) avoient un temple (B.)

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Votre pouls inégal marche à pas redoublés :
Quelle fausse pudeur à feindre vous oblige?
«Qu'avez-vous ?-Je n'ai rien.- Mais...,—Je n'ai rien.» vous dis-je,
Répondra ce malade à se taire obstiné.
Mais cependant voilà tout son corps gangrené;
Et la fièvre, demain se rendant la plus forte,
Un bénitier aux pieds va l'étendre à la porte.
Prévenons sagement un si juste malheur.
Le jour fatal est proche, et vient comme un voleur,
Avant qu'à nos erreurs le ciel nous abandonne,
Profitons de l'instant que de grâce il nous donne.
Hâtons-nous; le temps fuit, et nous traîne avec soi :
Le moment où je parle est déjà loin de moi!,

Mais quoi ! toujours la honte en esclaves nous lie!
Oui, c'est toi qui nous perds, ridicule folie :
C'est toi qui fis tomber le premier malheureux,
Le jour que, d'un faux bien sottement amoureux,
Et n'osant soupçonner sa femme d'imposture,
Au démon, par pudeur, il vendit la nature.
Hélas ! avant ce jour qui perdit ses neveux,
Tous les plaisirs couroient au-devant de ses voeux.
La faim aux animaux ne faisoit point la guerre;
Le blé, pour se donner, sans peine ouvrant la terre,
N'attendoit point qu'un bouf pressé de l'aiguillon
Tracât à pas tardifs un pénible sillon;
La vigne offroit partout des grappes toujours pleines ,
Et des ruisseaux de lait serpentoient dans les plaines.
Mais dès ce jour Adam, déchu de son état,
D'un tribut de douleur paya son attentat.
Il fallut qu'au travail son corps rendu, docile
Forçåt la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun hérissa les guérets,
Le serpent venimeux rampa dans les forêts,
La canicule en feu désola les campagnes,
L'aquilon en fureur gronda sur les montagnes.
Alors, pour se couvrir durant l'âpre saison,
Il fallut aux brebis dérober leur toison.
La peste en même temps, la guerre et la famine,
Des malheureux humains jurèrent la ruine :
Mais aucun de ces maux n'égala les rigueurs
Que la mauvaise honte exerça dans les cours.
De ce nid à l'instant sortirent tous les vices.
L'avare, des premiers en proie à ses caprices,
Dans un infâme gain mettant l'honnêteté,
Pour toute honte alors compta la pauvreté :

1. Pers., satire V, vers 453. (B.)

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