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C'est nier qu'ici-bas par l'amour appelé
Dieu pour tous les humains voulut être immolé.

Prévenons tout ce bruit : trop tard, dans le naufrage,
Confus on se repent d'avoir bravé l'orage.
Halte-là donc, ma plume. Et toi, sors de ces lieux,
Monstre à qui, par un trait des plus capricieux,
Aujourd'hui terminant ma course satirique,
J'ai prêté dans mes vers une âme allégorique.
Fuis, va chercher ailleurs tes patrons bien-aimés,
Dans ces pays par toi rendus si renommés,
Où l'Orne épand ses eaux, et que la Sarthe arrose';
Ou, si plus sûrement tu veux gagner ta cause,
Porte-la dans Trévoux, à ce beau tribunal
Où de nouveaux Midas un sénat monacal,
Tous les mois, appuyé de ta seur l'Ignorance,
Pour juger Apollon tient, dit-on, sa séance,

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1. La Normandie et le Maine.

2. Les jésuites commencèrent en 1701 et continuèrent jusqu'à l'époque de leur destruction un journal littéraire, connu sous le nom de Journal de Trévoux. Boileau étoit mécontent de ce qu'ils avoient dit de lui dans leur cahier du mois de septembre 1703.

FIN DES SATIRES.

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AU LECTEUR' Je m'étois persuadé que la fable de l'huître, que j'avois mise à la fin de cette épître au roi, pourroit y délasser agreablement l'esprit des lecteurs qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer, joint que la correction que j'y avois mise sembloit me mettre à couvert d'une faute dont je faisois voir que je m'apercevois le premier; mais j'avoue qu'il y a eu des personnes de bon sens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé longtemps si je l'ôterois, parce qu'il y en avoit plusieurs qui la louoient avec autant d'excès que les autres la blåmoient; mais enfin je me suis rendu à l'autorité d'un prince?, non moins considérable par les lumières de son esprit que par le nombre de ses victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette fable, quoique très-bien contée, ne lui sembloit pas digne du reste de l'ouvrage, je n'ai point résiste; j'ai mis une fin à ma pièce, et je n'ai pas cru, pour une vingtaine de vers, devoir me brouiller avec le premier capitaine de notre siècle. Au reste, je suis bien aise d'avertir le lecteur qu'il y a quantité de pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir sous mon nom, et entre autres une satire contre les maltôtes ecclésiastiques. Je ne crains pas que les habiles gens m'attribuent toutes ces pièces, parce que mon style, bon ou mauvais, est aisé à reconnoître; mais comme le nombre des sots est grand , et qu'ils pourroient aisément s'y méprendre, il est bon de leur faire savoir que, hors les onze pièces qui sont dans ce livre, il n'y a rien de moi entre les mains du public ni imprimé, ni en manuscrit.

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ÉPITRE I.

1669

AU ROI.

CONTRE LES CONQUÉTES.
Grand roi, c'est painement qu'abjurant la satire
Pour toi seul désormais j'avois fait veu d'écrire.
Dès que je prends la plume, Apollon éperdu
Semble me dire : Arrête, insensé; que fais-tu?

4. Cet avertissement fut mis, en 1672, à la tête de la seconde édilion de la première épitre.

2. Condé.

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Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages ?
Cette mer où tu cours est célèbre en naufrages!

Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char
Je ne pusse attacher Alexandre et César;
Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide,
T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide,
Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil,
Proposer au sultan de te céder le Nil;
Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différens,
Phébus même auroit peur s'il entroit sur les rangs,
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,
Il faut de mes dégoûts justifier l'audace;
Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.

Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Puceile,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformoit tous ?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous!
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban ?
De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées ?

Que répondrois-je alors ? Honteux et rebuté,
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique .
Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,
Et d'aller du récit de ta gloire immortelle
Habiller chez Francour' le sucre et la cannelle,
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J'imite de Conrart? le silence prudent.
Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.

Malgré moi toutefois un mouvement secret
Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret.
Quoi! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon roi spectateur inutile,
Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m'exercer

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1. Fameux épicier. (B.)

2. Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. (B.) - Les moires de Conrart ont été publiés depuis.

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Que ma tremblante voix commence à se glacer?
Dans un si beau projet, si ma muse rebelle
N'ose le suivre aux champs de Lille et de Bruxelle,
Sans le chercher au nord de l'Escaut et du Rhin,
La paix l'offre à mes yeux plus calme et plus serein.
Oui, grand roi, laissons là les siéges, les batailles :
Qu'un autre aille en rimant renverser des murailles ;'
Et souvent, sur tes pas marchant sans ton aveu,
S’aille couvrir de sang, de poussière et de feu.
A quoi bon, d'une muse au carnage animée,
Echauffer ta valeur, déjà trop allumée ?
Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,
Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.

« Pourquoi ces éléphans, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage ? »
Disoit au roi Pyrrhus un sage confident',
Conseiller très-sensé d'un roi très-imprudent.
« Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l'on m'appelle.

Quoi faire ? — L'assiéger. L'entreprise est fort belle,
Et digne seulement d'Alexandre ou de vous :
Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous ?
– Du reste des Latins la conquête est facile.

- Sans doute, on les peut vaincre : est-ce tout? La Sicile
De là nous tend les bras; et bientôt sans effort,
Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port.

Bornez-vous là vos pas ? – Dès que nous l'aurons prise,
Il ne faut qu'un bon vent, et Carthage est conquise.
Les chemins sont ouverts : qui peut nous arrêter?

Je vous entends, seigneur, nous allons tout dompter: :
Nous allons traverser les sables de Libye,
Asservir en passant l’Egypte, l'Arabie,
Courir de là le Gange en de nouveaux pays,
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanais,
Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère;
Mais, de retour enfin, que prétendez-vous faire ?

· Alors, cher Cinéas, victorieux, contens,
Nous pourrons rire à l'aise, et prendre du bon temps.
– Eh! seigneur, dès ce jour, sans sortir de l'Epire,
Du matin jusqu'au soir qui vous défend de rire ? »

Le conseil étoit sage et facile à goûter :
Pyrrhus vivoit heureux s'il eût pu l'écouter;
Mais à l'ambition d'opposer prudence,
C'est aux prélats de cour précher la résidence.

Ce n'est pas que mon cour, du travail ennemi,
Approuve un fainéant sur le trône endormi;
1. Voy. Plutarque dans la Vie de Pyrrhus. (B.)
BOILEAU I.

10

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Mais, quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut être héros sans ravager la terre.
Il est plus d'une gloire. En vain aux conquérans
L'erreur, parmi les rois, donne les premiers rangs;
Entre les grands héros ce sont les plus vulgaires.
Chaque siècle est fécond en heureux téméraires;
Chaque climat produit des favoris de Mars;
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars :
On a vu mille fois des fanges Méotides
Sortir des conquérans goths, vandales, gépides.
Mais un roi vraiment roi, qui, sage en ses projets,
Sache en un calme heureux maintenir ses sujets ;
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire,
Il faut pour le trouver courir toute l'histoire.
La terre compte peu de ces rois bienfaisans;
Le ciel à les former se prépare longtemps.
Tel fut cet empereur! sous qui Rome adorée
Vit renaître les jours de Saturne et de Rhée;
Qui rendit de son joug l'univers amoureux;
Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux;
Qui soupiroit le soir, si sa main fortunée
N'avoit par ses bienfaits signalé la journée.
Le cours ne fut pas long d'un empire si doux.

Mais où cherché-je ailleurs ce qu'on trouve chez nous?
Grand roi, sans recourir aux histoires antiques,
Ne t'avons-nous pas vu dans les plaines belgiques,
Quand l'ennemi vaincu, désertant ses remparts,
Au devant de ton joug couroit de toutes parts,
Toi-même te borner, au fort de ta victoire,
Et chercher dans la paix ? une plus juste gloire ?
Ce sont là les exploits que tu dois avouer;
Et c'est par là, grand roi, que je te veux louer,
Assez d'autres, sans moi, d'un style moins timide,
Suivront au champ de Mars ton courage rapide;
Iront de ta valeur effrayer l'univers,
Et camper devant Dôle au milieu des hivers 3.
Pour moi, loin des combats, sur un ton moins terrible,
Je dirai les exploits de ton règne paisible :
Je peindrai les plaisirs en foule renaissans;
Les oppresseurs du peuple à leur tour gémissans,
On verra par quels soins ta sage prévoyance
Au fort de la famine entretint l'abondance 4;
On verra les abus par ta main réformés,

1

1

Titus. (B.) – 2. La paix de 1668. (B.) 3. Le roi venoit de conquérir la Franche-Comté en plein hiver. (E.) 4. Ce fut en 1663. (B.) – Ou plutôt en 1662.

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