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« urbis præfecto, parentantibus suo quondam regia utraque a tum gallicæ linguæ, tum inscriptionum humaniorumque litte« rarum Academia. »

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« Ici reposent enfin pour l'éternité après des fortunes diverses, les cendres de Nicolas BOILEAU DESPRÉAUX, né à Paris, qui critiqua en beaux vers les mœurs et les écrivains de son temps, dicta des lois à la poésie, fut le rival heureux d'Horace, et dans l'art de plaisanter avec grâce ne le céda à aucun poëte. Il mourut le 17 mars 1711. Ses cendres ont été transportées ici solennellement le 14 juillet 1819, par les soins du préfet de la Seine, et sous les auspices de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, dont il avait été membre. »

On voit par les nombreux legs que contient le testament de Boileau, qu'il laissait un capital d'environ 90 000 livres. Il jouissait en outre d'une rente de 1500 livres sur l'hôtel de ville de Lyon, et de 4000 livres de pension. Il n'avait jamais voulu tirer de profit pécuniaire de ses ouvrages. Cette petite fortune ne laissait pas d'être considérable en ce temps-là, et pour un poëte. Nous voyons par le même testament que Boileau avait à son service un valet de chambre, un petit laquais, une servante, un cocher, un jardinier. Il avait toute sa vie été fort économe, quoiqu'il sût se montrer généreux dans l'occasion. Racine aurait été plus magnifique, s'il n'avait été père d'une famille nombreuse. Il semble qu'on devinerait ce détail de leur caractère, rien qu'en lisant leurs écrits, si on ne le savait pas d'ailleurs.

Les auvres poétiques de Boileau contiennent les Satires, les Épitres, l'Art poétique, le Lutrin, et quelques ouvrages de moindre importance. Les Satires commencèrent sa réputation et décidèrent en quelque sorte de son rôle dans les lettres. Les Épitres , qui sont l'ouvrage de sa maturite, sont en général mieux composées. Le style en est plus correct et plus facile; Boileau y possède pleinement cet art si apprécié au XVII° siècle, si inconnu de nos jours, et que personne ne poussa jamais plus loin, de dire noblement les choses les plus vulgaires. Au fond , les Épîtres ne sont guère que des satires sous un titre différent. Elles sont, comme les satires, un peu guiņdées, un peu solennelles, et n'ont pas cet aimable laisser aller des épitres d'Horace. Il s'en faut que Boileau, dans les épitres et dans les satires se soutienne toujours à la même hauteur. Quatre de ses épîtres, la ivo, la vio,

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la vire et la Ix®, sont, sans comparaison, les meilleures. Il faut placer ensuite la ville et la x®. Au contraire, la 11° épitre, par exemple, et celle qu'il a écrite dans sa vieillesse sur l'Amour de Dieu , sont des ouvrages où l'on ne peut guère louer que la sagesse et la correction, qualités par trop négatives. L'épître sur l'Amour de Dieu était pourtant l'ouvrage de prédilection de Boileau. Il est vrai que le cardinal de Noailles l'avait approuvée, et « avait daigné donner à l'auteur d'utiles conseils.» Après une déclaration si précise, on aurait mauvaise grâce à ne pas reconnaître que l'épître sur l'Amour de Dieu est au moins un ouvrage orthodoxe. L'Art poétique peut être considéré comme le chef-d'oeuvre de Boileau. Son talent, d'une nature essentiellement dogmatique, s'y déploie à l'aise et y fait merveille. La meilleure prose n'aurait pas cette précision; bien peu de vers atteignent cette élégance. Une composition sobre, bien ordonnée, des préceptes d'une justesse parfaite, des remarques fines et souvent profondes, placent ce poëme au même rang que la fameuse épitre aux Pisons, qui est un des chefs-d'oeuvre d'Horace. Le Lutrin est un badinage d'un goût très-délicat. Il fallait un art infini pour traiter un pareil sujet avec cette facilité et cette liberté d'allure, sans tomber dans le style bas et dans l'impiété. Les quatre premiers chants sont ravissants, même pour nous, qui ne sommes plus, comme les contemporains de Boileau, de justes appréciateurs de toutes les convenances, et qui n'avons plus le sentiment des plaisanteries discrètes. Ces quatre chants (car il faut se garder de parler des deux derniers) dérangent un peu l'idée qu'on se fait du talent et du caractère de Boileau. On pouvait attendre de lui de la sagacité, de la noblesse; mais, sans ce joli poëme, on n'en aurait pas attendu de l'enjouement. Nous ne dirons rien de ses poésies diverses; et l'Ode sur la prise de Namur ne mériterait même pas d'être mentionnée, sans la curieuse correspondance à laquelle elle donna lieu entre Boileau et Racine.

Signalons, parmi les ouvres en prose, l'Arrêt burlesque, le Dialogue des héros de roman, et les lettres écrites au duc de Vivonne, sous les noms et dans le style de Balzac et de Voiture. La traduction du Traité du Sublime n'a d'autre mérite que l'exactitude. Boileau ne daignait pas travailler sa prose, et n'était éloquent que dans les vers.

Il avait revu lui-même les épreuves de l'édition de 1701, et,

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chose remarquable, c'est la seule des éditions faites de son vivant qu'il ait signée en toutes lettres. Il venait de commencer en 1710 une édition qui devait être plus complète et plus correcte que les autres. Son intention était d'y insérer sa satire sur l'Équivoque , qu'il avait composée à l'âge de soixante-neuf ans, et qui n'était encore que manuscrite; mais il fallait pour cela une permission, qui lui fut refusée. L'édition resta dons interrompue, et fut reprise, après la mort de l'auteur, par Valincour et l'abbé Renaudot. Elle parut en un seul volume in-4° divisé en deux parties. C'est l'édition de 1713, à laquelle la plupart des éditeurs suivants se sont référés. La satire sur l’Équivoque n'y était pas comprise, quoiqu'elle eût été publiée séparément en Hollande, quelques mois après la mort de l'auteur.

Quoique Boileau n'ait pas été ce qu'on appelle un homme du monde, et qu'il aimât peu à causer, on citait un grand nombre de mots de lui, peut-être parce qu'on était accoutumé à citer ses vers, et qu'on mit sous son nom des traits d'esprit inventés par les faiseurs de nouvelles. Parmi les anecdotes recueillies par Brossette, Renaudot, Monchesnai, Cizeron-Rival, bien peu méritent d'être tirées de l'oubli. Il assistait un jour à une discussion entre Molière et l'avocat Fourcroy, qui avait des poumons formidables; il dit en se tournant vers Molière : « Qu'est-ce que la raison avec un filet de voix contre une gueule comme celle-là ? » Le libraire Barbin le fit dîner à la campagne dans une maison trop petite, où il y avait grande compagnie : « Je vous laisse, dit Boileau; je retourne à Paris pour respirer. » Condé lui montra son armée toute composée de recrues, dont le plus âgé n'avait pas dix-huit ans : « Qu'en dites-vous ? lui dit le prince.- Monseigneur, je crois qu'elle sera fort bonne, quand elle sera majeure. » On lui présenta, dans une soirée, une demoiselle, qui chanta et dansa médiocrement. « On vous a tout appris, mademoiselle, lui dit Boileau, excepté à plaire; et c'est ce que vous savez le mieux. » On ne s'attendait pas à ce madrigal. Il était aimable • quand il voulait, et avait quelques talents de société (sans parler du jeu de quilles). Il imitait à ravir la voix, la déclamation et les gestes, et contrefit une fois Molière devant Louis XIV. Une autre fois il imita en dansant M. Jeannart, l'oncle de La Fontaine. Si Racine n'en avait pas fait le récit, personne ne croirait jamais que Despréaux eût pu danser.

Parmi les anecdotes qu'il se plaisait à raconter, en voici deux

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qui revenaient souvent dans sa conversation, et qui sont assez piquantes. Mlle de Lamoignon, seur du premier président, grande dévote , et personne du reste accomplie, lui reprochait un jo ir ses satires; « Car il ne faut, disait-elle, médire de perSOL.ne. C'est une règle absolue. — Mais quoi, dit-il, le GrandTurc ? - Non vraiment : c'est un souverain ! Mais le diable ? » L'objection embarrassa la dévote, qui réfléchit un moment. « Non, dit-elle à la fin ; il ne faut jamais dire de mal de personne. »

« Un bon prêtre à qui je me confessais, disait Boileau, me demanda quelle était ma profession. - Poëte. Vilain métier! Et dans quel genre? - Satirique. Encore pis. Et contre qui? Contre les faiseurs d'opéras et de romans. Achevez votre Confiteor. »

Nous avons vu Boileau danser tout à l'heure. Voici qui est encore plus surprenant. Il faisait la guerre à Chapelle sur son ivrognerie. Chapelle se contentait de secouer les épaules, et buvait de plus belle. Boileau le rencontre un jour dans la rue, et recommence sa mercuriale. « Vous avez assez raison, dit Chapelle. Mais il fait froid, nous sommes debout. Entrons ici, vous parlerez plus à votre aise. » Il le conduit au cabaret, où l'éloquence de Boileau se donna carrière, jusqu'à ce que l'ouaille et le prédicateur fussent complétement gris.

Ces anecdotes , et beaucoup d'autres du même genre, qui traînent dans le Bolæana ou dans les notes de Brossette, ne peuvent que défrayer une curiosité banale, et ne nous apprennent rien sur le caractère de Boileau. Il vaut mieux se rappeler sa noble conduite lorsqu'à la mort de Colbert la pension de Corneille fut supprimée. Voici deux traits du même genre qui achèvent de peindre cette nature droite et généreuse, quoique peu expansive. Il ne pouvait voir un homme de lettres dans la peine, et si Colbert ou le roi lui manquaient, il secourait de sa bourse tous ceux dont il connaissait les embarras. C'est ainsi qu'il tira du besoin Cassandre, traducteur de la Rhétorique d’Aristote. Linière ne se fit pas faute de s'adresser à Boileau, et Boileau, qui ne l'aimait pas, et qui fit bonne justice de ses vers, ne lui refusa jamais un secours. Linière allait boire cet argent au cabaret, et sur un coin de la table, griffonnait une chanson contre son créancier. Patru, le célèbre avocat, se trouva un jour sans ressources, et réduit à vendre ses livres. Le marché était conclu, pour une somme assez modique, lorsque Boileau accourut, surenchérit, paya sur-le

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jhamp, et mit dans son marché la clause que Patru garderait sa bibliothèque jusqu'à sa mort, et que l'acquéreur n'en serait que survivancier. La grande Catherine lui a volé ce trait-là, en achetant la bibliothèque de Diderot. Tout ce qu'on sait de Boileau inspire l'estime, comme ses écrits. C'est quelque chose pour un poëte illustre, que d'avoir été en même temps un galant homme. On lui représentait que ses satires lui feraient une foule d'ennemis. « Je vivrai si honnêtement, dit-il, que je ne laisserai même pas de prétexte à la calomnie. » Et il tint parole. Quand il mourut, à l'âge de soixante et quinze ans; entouré de quelques amis et d'une partie de sa famille, le dernier mot qu'il prononça fut celui-ci : « C'est une grande consolation pour un poëte qui va mourir, que de n'avoir jamais offensé les meurs. »

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