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bonne morale, soit par les satires, soit par les sermons, on doit combattre les vices en général, sans nommer les personnes. Il falloit donc montrer que l'auteur de la satire avoit nommé les femmes dont il combattoit les défauts. Or, Chapelain , Cotin, Pradon, Coras ne sont pas des noms de femmes, mais de poëtes. Ils ne sont donc pas propres à montrer que M. Despréaux, combattant différens vices de femmes, ce que vous avouez lui avoir été permis, se soit rendu coupable de médisance, en nommant des femmes particulières à qui il les auroit attribués.

Voilà donc M. Despréaux justifié selon vous-même sur le sujet des femmes, qui est le capital de sa satire. Je veux bien cependant examiner avec vous s'il est coupable de médisance à l'égard des poëtes.

C'est ce que je vous avoue ne pouvoir comprendre. Car tout le monde a cru jusqu'ici qu'un auteur pouvoit écrire contre un auteur, remarquant les défauts qu'il croyoit avoir trouvés dans ses ouvrages, sans passer pour médisant, pourvu qu'il agisse de bonne foi, sans lui imposer et sans le chicaner, lors surtout qu'il ne reprend que de véritables défauts.

Quand, par exemple, le père Goulu, général des feuillans, publia, il y a plus de soixante ans, deux volumes contre les lettres de M. de Balzac, qui faisoient grand bruit dans le monde, le public s'en divertit. Les uns prenoient parti pour Balzac, les ay. tres pour le feuillant; mais personne ne s'avisa de l'accuser de médisance; et on ne fit point non plus de reproche à Javersac, qui avoit écrit contre l'un et contre l'autre. Les guerres entre les auteurs passent pour innocentes, quand elles ne s'attachent qu'à la critique de ce qui regarde la littérature, la grammaire, la poésie, l'éloquence; et que l'on n'y mêle point de calomnies et d'injures personnelles. Or, que fait autre chose M. Despréaux à l'égard de tous les poëtes qu'il a nommés dans ses satires, Chapelain, Coțin, Pradon, Coras et autres, sinon d'en dire son jugement, et d'avertir le public que ce ne sont pas des modèles à imiter? Ce qui peut être de quelque utilité pour faire éviter leurs défauts, et peut contribuer même à la gloire de la nation, à qui les ouvrages d'esprit font honneur, quand ils sont bien faits; comme au contraire, c'a été un déshonneur à la France d'avoir fait tant d'estime des pitoyables poésies de Ronsard.

Celui dont M. Despréaux a le plus parlé, c'est M. Chapelain; mais qu'en a-t-il dit? Il en rend lui-même compte au public dans sa neuvième satire :

« Il a tort, dira l'un; pourquoi faut-il qu'il nomme? etc. ' , Cependant, monsieur, vous ne pouvez pas douter que ce ne soit être médisant, que de taxer de médisance celui qui n'en seroit

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4. Vers 203-220,

pas coupable. Or, si on prétendoit que M. Despréaux s'en fût rendu coupable, en disant que M. Chapelain, quoique d'ailleurs honnête , civil et officieux, n'étoit pas un fort bon poëte, il lui seroit bien aisé de confondre ceux qui lui feroient ce reproche; il n'auroit qu'à leur faire lire ces vers de ce grand poëte sur la belle Agnès :

« On voit hors des deux bouts de ses deux courtes manches
Sortir à découvert deux mains longues et blanches,
Dont les doigts inégaux, mais tout ronds et menus,

Imitent l'embonpoint des bras ronds et charnus. » Enfin, monsieur, je ne comprends pas comment vous n'avez point appréhendé qu'on ne vous appliquât ce que vous dites de M. Despréaux dans vos vers'; « qu'il croit avoir droit de maltraiter dans ses satires ce qu'il lui plaît, et que la raison a beau lui crier sans cesse que l'équité naturelle nous défend de faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous soit fait à nousmèmes : cette voix ne l'émeut point. » Car si vous le trouvez blâmable d'avoir fait passer la Pucelle et le Jonas pour de méchans poëmes, pourquoi ne le seriez-vous pas d'avoir parlé avec tant de mépris de son ode pindarique, qui paroît avoir été si estimée, que trois des meilleurs poëtes latins de ce temps ? ont bien voulu prendre la peine d'en faire chacun une ode latine. Je ne vous en dis pas davantage. Vous ne voudriez pas sans doute, contre la défense que Dieu en fait, avoir deux poids et deux mesures.

Je vous supplie, monsieur, de ne pas trouver mauvais qu'un homme de mon âge vous donne ce dernier avis en vrai ami.

On doit avoir du respect pour le jugement du public; et quand il s'est déclaré hautement pour un auteur ou pour un ouvrage, on ne peut guère le combattre de front et le contredire ouvertement, qu'on ne s'expose à en être maltraité. Les vains efforts du cardinal de Richelieu contre le Cid en sont un grand exemple; et on ne peut rien voir de plus heureusement exprimé que ce qu'en dit votre adversaire :

« En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue;
L'Académie en corps a beau le censurer,

Le public révolté s'obstine à l'admirer3. o Jugez par là, monsieur, de ce que vous devez espérer du mépris que vous tâchez d'inspirer pour les ouvrages de M. Despréaux dans votre préface. Vous n'ignorez pas combien ce qu'il a mis au jour a été bien reçu dans le monde, à la cour, à Paris, dans les provinces, et même dans tous les pays étrangers où l'on

1. Il falloit dire : « Dans votre préface, D
2. Rollin, Lenglet et Saint-Remi. - 3. Sat. IX, V. 231-234.

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entend le françois. Il n'est pas moins certain que tous les bons connoisseurs trouvent le même esprit, le même art et les mêmes agrémens dans ses autres pièces que dans ses satires. Je ne sais donc, monsieur, comment vous vous êtes pu promettre qu'on ne seroit point choqué de vous en voir parler d'une manière si opposée au jugement du public. Avez-vous cru que, supposant sans raison que tout ce que l'on dit librement des défauts de quelque poëte doit être pris pour médisance, on applaudiroit à ce que vous dites : « que ce ne sont que ces médisances qui ont fait rechercher ses ouvrages avec tant d'empressement; qu'il va toujours terre à terre, comme un corbeau qui va de charogne en charogne; que tant qu'il ne fera que des satires comme celles qu'il nous a données, Horace et Juvénal viendront toujours revendiquer plus de la moitié des bonnes choses qu'il y aura mises; que Chapelain, Quinault, Cassagne et les autres qu'il y aura nommés, prétendront aussi qu'une partie de l'agrément qu'on y trouve viendra de la célébrité de leurs noms qu'on se plaît d'y voir tournés en ridicule; que la malignité du cour humain, qui aime tant la médisance et la calomnie, parce qu'elles élèvent secrètement celui qui lit au-dessus de ceux qu'elles rabaissent, dira toujours que c'est elle qui fait trouver tant de plaisir dans les ouvres de M. Despréaux,

etc.? » Vous reconnoissez donc, monsieur, que tant de gens qui lisent les ouvrages de M. Despréaux, les lisent avec grand plaisir. Comment n'avez-vous donc pas vu que de dire, comme vous faites, que ce qui fait trouver ce plaisir est la malignité du cour humain, qui aime la médisance et la calomnie, c'est attribuer cette méchante disposition à tout ce qu'il y a de gens d'esprit à la cour et à Paris ?

Enfin, vous devez attendre qu'ils ne seront pas moins choqués du peu de cas que vous faites de leur jugement, lorsque vous prétendez que M. Despréaux a si peu réussi, quand il a voulu traiter des sujets d'un autre genre que ceux de la satire, qu'il pourroit y avoir de la malice à lui conseiller de travailler à d'autres ouvrages.

Il y a d'autres choses dans votre préface que je voudrois que vous n'eussiez point écrites; mais celles-là suffisent pour m'acquit ter de la promesse que je vous ai faite d'abord de vous parler avec la sincérité d'un ami chrétien, qui est sensiblement touché de voir cette division entre deux personnes qui font tous deux profession de l'aimer. Que ne donnerois-je pas pour être en état de travailler à leur réconciliation plus' heureusement que les gens d'honneur que vous m'apprenez n'y avoir pas réussi ! Mais mon éloignement ne m'en laisse guère le moyen. Tout ce que je puis faire, monsieur, est de demander à Dieu qu'il vous donne à l'un et à l'autre cet esprit de charité et de paix, qui est la marque la plus assurée des vrais chrétiens. Il est bien difficile que dans ces

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contestations on ne commette de part et d'autre des fautes, dont on est obligé de demander pardon à Dieu. Mais le moyen le plus efficace que nous avons de l'obtenir, c'est de pratiquer ce que l'apôtre nous recommande : « de nous supporter les uns les autres, chacun remettant à son frère le sujet de plainte qu'il pourroit avoir contre lui, et nous entre-pardonnant, comme le Seigneur nous a pardonné. » On ne trouve point d'obstacle à entrer dans des sentimens d'union et de paix, lorsqu'on dans cette disposition : car l'amour-propre ne règne point où règne la charité; et il n'y a que l'amour-propre qui nous rende pénible la connoissance de nos fautes, quand la raison nous les fait apercevoir. Que chacun de vous s'applique cela à soi-même, et vous serez bientôt bons amis. J'en prie Dieu de tout mon cour,

et suis très-sincèrement,

Monsieur, etc.

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SATIRE XI

16981.

A VALINCOUR?,

SUR L'HONNEUR.
Oui, l'honneur, Valincour, est chéri dans le monde :
Chacun, pour l'exalter, en paroles akonde;
A s'en voir revêtu chacun met son bonheur;
Et tout crie ici-bas : L'honneur! Vive l'honneur !

Entendons discourir sur les bancs des galères,
Ce forçat abhorré même de ses confrères;
Il plaint, par un arrêt injustement donné,
L'honneur en sa personne à ramer condamné :
En un mot, parcourons et la mer ei la terre;
Interrogeons marchands, financiers, gens de guerre,
Courtisans, magistrats : chez eux, si je les croi,
L'intérêt ne peut rien, l'honneur seul fait la loi.

Cependant, lorsqu'aux yeux leur portant la lanterne,

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1. Cette satire fut composée à l'occasion du procès soutenu par Despréaux et ses parens contre une compagnie de financiers qui leur contestoit leurs titres de noblesse.

2. Jean-Baptiste-Henri du Trousset de Valincour, conseiller du roi en ses conseils, secrétaire général de la marine, secrétaire des comman. demens de Mgr le comte de Toulouse. Après la mort de Racine, il devint membre de l'Académie françoise et historiographe avec Boileau.

3. Allusion au mot de Diogène le Cynique, qui porloit une lanterne en plein jour, et qui disoit qu'il cherchoit un homme.(B.)

J'examine au grand jour l'esprit qui les gouverne,
Je n'aperçois partout que folle ambition,
Foiblesse, iniquité, fourbe, corruption,
Que ridicule orgueil de soi-même idolâtre.
Le monde, à mon avis, est comme un grand théâtre,
Où chacun en public, l'un par l'autre abusé,
Souvent à ce qu'il est joue un rôle opposé.
Tous les jours on y voit, orné d'un faux visage
Impudemment le fou représenter le sage;
L'ignorant s'ériger en savant fastueux,
Et le plus vil faquin trancher du vertueux.
Mais, quelque fol espoir dont leur orgueil les berce,
Bientôt on les connoît, et la vérité perce.
On a beau se farder aux yeux de l'univers :
A la fin sur quelqu'un de nos vices couverts
Le public malin jette un vil inévitable;
Et bientôt la censure, au regard formidable,
Sait, le crayon en main, marquer nos endroits faux,
Et nous développer avec tous nos défauts.
Du mensonge toujours le vrai demeure maître.
Pour paroître honnête homme, en un mot, il faut l'être;
Et jamais, quoi qu'il fasse, un mortel ici-bas
Ne peut aux yeux du monde être ce qu'il n'est pas
En vain ce misanthrope, aux yeux tristes et sombres,
Veut, par un air riant, en éclaircir les ombres :
Le ris sur son visage est en mauvaise humeur;
L'agrément fuit ses traits, ses caresses font peur;
Ses mots les plus flatteurs paroissent des rudesses,
Et la vanité brille en toutes ses bassesses.
Le naturel toujours sort et sait se montrer :
Vainement on l'arrête, on le force à rentrer;
Il rompt tout, perce tout, et trouve enfin passage.

Mais loin de mon projet je sens que je m'engage.
Revenons de ce pas à mon texte égaré.
L'honneur partout, disois-je, est du monde admiré;
Mais l'honneur en effet qu'il faut que l'on admire,
Quel est-il, Valincour ? Pourras-tu me le dire ?
L'ambitieux le met souvent à tout brûler;
L'avare, à voir chez lui le Pactole' rouler;
Un faux brave, à vanter sa prouesse frivole;
Un vrai fourbe, à jamais ne garder sa parole;
Ce poëte, à noircir d'insipides papiers;
Ce marquis, à savoir frauder ses créanciers;
Un libertin, à rompre et jeûnes et carême;

1. Fleuve de Lydie où l'on trouve de l'or, ainsi que dans plusieurs autres fleuves. (B.)

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