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Je t'ai jà dit que j'étais gentilhomme,
Né pour chommer, et pour ne rien savoir.
Voici comment ira notre partage :

Deux lots seront, dont l'un, c'est à savoir
Ce qui hors terre et dessus l'héritage
Aura poussé, demeurera pour toi;
L'autre dans terre est réservé pour moi.

L'août arrivé, la touzelle est sciée;
Et tout d'un temps sa racine arrachée;
Pour satisfaire au lot du diableteau.
Il y croyait la semence attachée,
Et que l'épi, non plus que le tuyau,
N'était qu'une herbe inutile et séchée.
Le laboureur vous la serra très-bien.
L'autre au marché porta son chaume vendre :
On le hua, pas un n'en offrit rien :

Le pauvre diable était prêt à se pendre.
Il s'en alla chez son co-partageant :
Le drôle avait la touzelle vendue,

Pour le plus sûr, en gerbe, et non battue,
Ne manquant pas de bien cacher l'argent.
Bien le cacha; le diable en fut la dupe.
Coquin, dit-il, tu m'as joué d'un tour;
C'est ton métier : je suis diable de cour,
Qui, comme vous, à tromper ne s'occupe.

Quel grain veux-tu semer pour l'an prochain?
La manant dit: Je crois qu'au lieu de grain,
Planter me faut ou navets ou carottes :
Vous en aurez, monseigneur, pleines hottes,
Si mieux n'aimez raves dans la saison.
Raves, navets, carottes, tout est bon,
Dit le lutin; mon lot sera hors terre;
Le tien dedans. Je ne veux point de guerre
Avecque toi, si tu ne m'y contrains.
Je vais tenter quelques jeunes nonnains.
L'auteur ne dit ce que firent les nonnes.
Le temps venu de recueillir encor,
Le manant prend raves belles et bonnes;
Feuilles sans plus tombent pour tout trésor
Au diableteau, qui, l'épaule chargée,
Court au marché. Grande fut la risée;
Chacun lui dit son mot cette fois-là :
Monsieur le diable, où croît cette denrée?
Où mettrez-vous ce qu'on en donnera?
Plein de courroux et vuide de pécune,

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Léger d'argent, et chargé de rancune >
Il va trouver le manant, qui riait
Avec sa femme, et se solaciait.

Ah! par la mort! par le sang! par la tête !
Dit le démon; il le paîra, parbleu !
Vous voici donc, Phlipot, la bonne bête!

Çà, çà, galons-le en enfant de bon lieu.
Mais il vaut mieux remettre la partie;
J'ai sur les bras une dame jolie,

A qui je dois faire franchir le pas:
Elle le veut, et puis ne le veut pas.
L'époux n'aura dedans la confrairie
Sitôt un pied, qu'à vous je reviendrai,
Maître Phlipot, et tant vous galerai,
Que ne jouerez ces tours de votre vie.
A coups de griffe il faut que nous voyions
Lequel aura de nous deux belle amie,
Et jouira du fruit de ces sillons.
Prendre pourrais d'autorité suprême
Touzelle et grain, champ et rave, enfin tout;
Mais je les veux avoir par le bon bout.
N'espérez plus user de stratagême.

Dans huit jours d'hui je suis à vous, Phlipot;
Et touchez là, ceci sera mon arme.
Le villageois, étourdi du vacarme,
Au farfadet ne put répondre un mot.
Perrette en rit c'était sa ménagère ;
Bonne galande en toutes les façons,
Et qui sut plus que garder les moutons,
Tant qu'elle fut en âge de bergère.
Elle lui dit Phlipot, ne pleure point;

:

Je veux d'ici renvoyer de tout point

Ce diableteau : c'est un jeune novice
Qui n'a rien vu; je t'en tirerai hors:
Mon petit doigt saurait plus de malice,
Si je voulais, que n'en sait tout son corps.
Le jour venu, Phlipot, qui n'était brave,
Se va cacher, non point dans une cave,
Trop bien va-t-il se plonger tout entier
Dans un profond et large bénitier.
Aucun démon n'eût su par où le prendre,
Tant fût subtil; car d'étoles, dit-on,
Il s'affubla le chef pour s'en défendre,
S'étant plongé dans l'eau jusqu'au menton.
Or le laissons, il n'en viendra pas faute.
Tout le clergé, chante autour, à voix haute,
Vade retro. Perrette cependant

Est au logis le lutin attendant.

Le lutin vient: Perrette échevelée

Sort, et se plaint de Phlipot, en criant :
Ah! le bourreau! le traître le méchant !

Il m'a perdue, il m'a toute affolée !

Au nom de Dieu, monseigneur, sauvez-vous;
A coups de griffe, il m'a dit en courroux
Qu'il se devait contre votre excellence
Battre tantôt, et battre à toute outrance,
Pour s'éprouver, le perfide m'a fait
Cette balafre. A ces mots au follet

Elle fait voir... Et quoi?... Chose terrible:
Le diable en eut une peur tant horrible,
Qu'il se signa, pensa presque tomber:
Onc n'avait vu, ne lu, n'ouï conter

Que coups de griffe eussent semblable forme.
Bref, aussitôt qu'il aperçût l'énorme
Solution de continuité,

Il demeura si fort épouvanté,

Qu'il prit la fuite, et laissa là Perrette.
Tous les voisins chommèrent la défaite
De ce démon; le clergé ne fut pas
Des plus tardifs à prendre part au cas. (9)

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE

FABLE.

UN mal qui répand la terreur,

Ma que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeller par son nom)
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre,

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