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LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.

FABLE.

PERRETTE, sur sa tête ayant un pot au lait,

Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre (3) à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre Laitière ainsi troussée

Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employait l'argent ;
Achetait un cent d'oeufs; faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison ;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il était, quant je l'eus (4), de grosseur raisonnable:
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.

Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est (5), une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau?

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Perrette là-dessus saute aussi, transportée:

Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La Dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?

Qui ne fait châteaux en Espagne?

Pichrocole (6), Pyrrhus (7), la Laitière, enfin tous,
Autant les sagesque les fous.

Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos ames;
Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes. Quand je suis seul je fais au plus brave un défi; Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi;

On m'élit Roi, mon peuple m'aime;

Les diadêmes vont sur ma tête pleuvant :

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même; Je suis Gros-Jean comme devant. (8)

LE

LE DIABLE DE PAPEFIGUIÈRE.

CONTE.

MAITRE François dit que Papimanie
Est un pays où les gens sont heureux;
Le vrai dormir ne fut fait que pour eux:
Nous n'en avons ici que la copie.

Et, par Saint Jean! si Dieu me prête vie,
Je le verrai ce pays où l'on dort.

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On y fait plus, on n'y fait nulle chose :
C'est un emploi que je recherche encor.
Ajoutez-y quelque petite dose

D'amour honnéte, et puis me voilà fort.
Tout au rebours, il est une province
Où les gens sont haïs, maudits, de Dieu :
On les connaît à leur visage mince;
Le long dormir est exclus de ce lieu.
Partant, lecteurs, si quelqu'un se présente
A vos regards, ayant face riante,
Couleur vermeille, et visage replet,
Taille non pas de quelque mingrelet,

Dire pourrez, sans que l'on vous condamne :

Cettui me semble, à le voir, Papimane.

Tome II.

2

Si,

d'autre part celui
"

que vous verrez

N'a l'oeil riant, le corps rond, le teint frais,
Sans hésiter, qualifiez cet homme
Papefiguier. Papefigue se nomme

L'ile et province où les gens autrefois
Firent la figue au portrait du saint père
Punis en sont; rien chez eux ne prospère.
Ainsi nous l'a conté maître François.
L'ile fut lors donnée en apanage

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A Lucifer; c'est sa maison des champs.
On voit courir par tout cet héritage
Ses commensaux, rudes à pauvres gens,
Peuple ayant queue, ayant cornes et griffes,
Si maints tableaux ne sont point apocryphes.
Avint un jour qu'un de ces beaux messieurs
Vit un manant rusé, des plus trompeurs
Herser un champ, dans l'île dessusdite.
Bien paraissait la terre être maudite,
Car le manant avec peine et sueur
La retournait et faisait son labeur.
Survint un diable, à titre de seigneur,
Ce diable était des gens de l'évangile
Simple, ignorant, à tromper très-facile,
Bon gentilhomme, et qui, dans son courroux
N'avait encor tonné que sur les choux :
Plus ne savait apporter de dommage.

Vilain, dit-il, vaquer à nul ouvrage

N'est mon talent; je suis un diable issu
De noble race, et qui n'a jamais su
Se tourmenter ainsi que font les autres.

Tu sais, vilain, que tous ces champs sont nôtres;
Ils sont à nous dévolus par l'édit
Qui' mit jadis cette île en interdit.
Vous y vivez dessous notre police:
Partant, vilain, je puis avec justice
M'attribuer tout le fruit de ce champ;
dans un an

Mais je suis bon, et veux que
Nous partagions sans noise et sans querelle.
Quel grain veux-tu répandre dans ces lieux?
Le manant dit: Monseigneur, pour le mieux,
Je crois qu'il faut les couvrir de touzelle,
Car c'est un grain qui vient fort aisément.
Je ne connais ce grain-là nullement,
Dit le lutin. Comment dis-tu?... Touzelle?...
Mémoire n'ai d'aucun grain qui s'appelle
De cette sorte or remplis-en ce lieu.
Touzelle soit, touzelle, de par Dieu!

J'en suis content. Fais donc vite, et travaille;
Manant, travaille; et travaille, vilain :

Travailler est le fait de la canaille.

Ne t'attends pas que je t'aide un seul brin,

Ni que par moi ton labeur se consomme :

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