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Alidor, dit un fourbe, il est de mes amis :
Je l'ai connu laquais, avant qu'il fût commis.
C'est un homme d'honneur, de piété profonde,
Et qui veut rendre à Dieu ce qu'il a pris au monde.
Voilà jouer d'adresse, et médire avec art;
Et c'est avec respect enfoncer le poignard.
Un esprit né sans fard, sans basse complaisance,
Fuit ce ton radouci que prend la médisance.
Mais de blâmer des vers ou durs ou languissans;
De choquer un auteur qui choque le bon sens;
De railler d'un plaisant qui ne sait pas nous plaire;
C'est ce que tout lecteur eut toujours droit de faire.
Tous les jours, à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité :

A Malherbe, à Racan, préférer Théophile,

Et le clinquant du Tasse, à tout l'or de Virgile.
Un clerc, pour quinze sous, sans craindre le hola,
Peut aller au parterre attaquer Attila;

Et si le Roi des Huns ne lui charme l'oreille,
Traiter de Visigots tous les vers de Corneille.

Il n'est valet d'auteur, ni copiste à Paris,
Qui, la balance en main, ne pèse les écrits.
Dès que l'impression fait éclore un Poète,
Il est esclave né de quiconque l'achète.

Il se soumet lui-même aux caprices d'autrui,
Et ses écrits tout seuls doivent parler pour lui.

Tome II.

10

1

Un auteur

genoux, dans un humble préface, Au lecteur qu'il ennuie, à beau demander grace, Il ne gagnera rien sur ce juge irrité,

Qui lui fait son procès de pleine autorité.

Et je serai le seul qui ne pourrai rien dire?

On sera ridicule, et je n'oserai rire?

Et qu'ont produit mes vers de si pernicieux,

Pour armer contre moi tant d'auteurs furieux?
Loin de les décrier je les ai fait paraître;

Et souvent, sans ces vers qui les ont fait connaître,
Leur talent dans l'oubli demeurerait caché.

Et qui saurait sans moi que Cotin a prêché?
La satire ne sert qu'à rendre un fat illustre :
C'est une ombre au tableau qui lui donne du lustre :
En les blåmant enfin, j'ai dit ce que j'en croi;'
Et tel, qui m'en reprend, en pense autant que moi.

Il a tort, dira l'un, pourquoi faut-il qu'il nomme ?
Attaquer Chapelain! ah! c'est un si bon homme.
Balzac en fait l'éloge en cent endroits divers.
Il est vrai, s'il m'eût cru, qu'il n'eût point fait de vers
Il se tue à rimer. Que n'écrit-il en prose ?
Voilà ce que l'on dit. Et que dis-je autre chose?
En blåmant ses écrits, ai-je d'un style affreux,
Distilé sur sa vie un venin dangereux ?
Ma muse en l'attaquant, charitable et discrète,
Sait de l'homme d'honneur distinguer le poète;

Qu'on vante en lui la foi, l'honneur, la probité,
Qu'on prise sa candeur et sa civilité;

Qu'il soit doux, complaisant, officieux, sincère :
On le veut, j'y souscris, et suis prêt de me taire.
Mais que pour un modèle on montre ses écrits,
Qu'il soit le mieux renté de tous les beaux esprits :
Comme Roi des Auteurs, qu'on l'élève à l'Empire,
Ma bile alors s'échauffe, et je brûle d'écrire;
Et s'il ne m'est permis de le dire au papier
J'irai creuser la terre, et comme ce Barbier,
Faire dire aux roseaux par un nouvel organe,
Midas, le Roi Midas a des oreilles d'âne.
Quel tort lui fais-je enfin? ai-je par un écrit
Pétrifié sa veine, et glacé son esprit ?

Quand un livre au Palais se vend et se débite,
Que chacun par ses yeux juge de son mérite,
Que Bilaine l'étale au deuxième pilier,
Le dégoût d'un censeur peut-il le décrier?
En vain contre le Cid un Ministre se ligue,
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.
L'académie en corps a beau le censurer,
Le public révolté s'obstine à l'admirer.
Mais lorsque Chapelain met une œuvre en lumière
Chaque lecteur d'abord lui devient un Linière. (67)
En vain il a reçu l'encens de mille auteurs,
Son livre en paraissant dément tous

ses flatteurs.

Ainsi, sans m'accuser, quand tout Paris le joue, Qu'il s'en prenne à ses vers que Phoebus désavoue Qu'il s'en prenne à sa muse allemande en françois, Mais laissons Chapelain pour la dernière fois.

La satire, dit-on, est un métier funeste,

Qui plaît à quelques gens, et choque tout le reste :
La suite en est à craindre. En ce hardi métier,
La peur plus d'une fois fit repentir Régnier.
Quittez ces vains plaisirs, dont l'appas vous abuse,
A de plus doux emplois occupez votre muse :
Et laissez à Feuillet (68) réformer l'univers
Et sur quoi donc faut-il que s'exercent mes vers?
Irai-je dans une Ode, en phrases de Malherbe,
Troubler dans ses roseaux le Danube superbe,
Délivrer de Sion le peuple gémissant,
Faire trembler Memphis, ou pâlir le Croissant,
Et passant du Jourdain les ondes alarmées,
Cueillir, mal-à-propos, les palmes Idumées? (69)
Viendrai-je, en une églogue, entouré de troupeaux,
Au milieu de Paris enfler mes chalumeaux,
Et dans mon cabinet assis au pied des hêtres,
Faire dire aux échos des sottises champêtres ?
Faudra-t-il de sang froid, et sans être amoureux
Pour quelque Iris en l'air, faire le langoureux;
Lui prodiguer les noms de soleil et d'aurore,
Et toujours bien mangeant mourir par métaphore?

,

Je laisse aux doucereux ce langage affecté,
Où s'endort un esprit de mollesse hébêté.

La satire, en leçons, en nouveautés fertile,
Sait seule assaisonner le plaisant et l'utile,

Et d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens.
Détromper les esprits des erreurs de leur temps.
Elle seule, bravant l'orgueil et l'injustice,
Va jusque sous le dais faire pâlir le vice,

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Et souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,
Va
venger la raison des attentats d'un sot.
C'est ainsi que Lucile, appuyé de Lélie,
Fit justice en son temps des Cotins d'Italie
Et qu'Horace jetant le sel à pleines mains,
Se jouait aux dépens des Pelletiers Romains.
C'est elle qui, m'ouvrant le chemin qu'il faut suivre,
M'inspira dès quinze ans la haine d'un sot livre,
Et sur ce mont fameux où j'osai la chercher,
Fortifia mes pas et m'apprit à marcher.

Et

C'est pour elle, en un mot, que j'ai fait vou d'écrire.
Toutefois, s'il le faut, je veux bien m'en dédire,
pour calmer enfin tous ces flots d'ennemis,
Réparer en mes vers les maux qu'ils ont commis.
Puisque vous le voulez, je vais changer de style:
Je le déclare donc. Quinaut est un Virgile.
Pradon comme un Soleil en nos ans a paru.

Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patru.

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