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toute-puissance, si ce n'est dans cette noble. direction, qui semble n'accomplir que des vœux publics, par les mouvemens qu'elle imprime? A quelle fin dernière peut tendre une belle ambition, si ce n'est à la gloire, dans tout ce qu'elle a d'aimable et d'auguste; à ces hommages des jugemens libres et reconnaissans, qui grandissent, à mesure qu'ils descendent dans des siècles plus justes et plus éclairés? Est-il un meilleur moyen de captiver les peuples, que de les servir au-delà de leurs espérances? Elever les hommes près de soi, loin de soi; pour l'avenir, comme dans le présent, n'ést-ce pas couronner son mérite de tous les mérites? II n'entendit jamais rien à tout cela.

On peut pardonner à des rois de race, gâtés dès leur jeunesse, par la servile adula- * tion des cœurs, ce grossier dédain de tout ce qui est noble et grand.

On doit le pardonner à ces êtres abrutis dans la fange de la société, ou un destin, sans injure, les avait placés.

Mais lui, quoiqu'il sût mal ce qu'il savait; moins la guerre, à laquelle il s'était glorieusement appliqué; quoiqu'il n'eût ni un vrai

jugement, ni un bon goût en rien, en affectant la prééminence en toute chose; il n'était pourtant étranger ni aux lettres, ni aux sciences; ni à l'intelligence des choses de gouvernement, ni aux études du beau moral. Ce qu'il avait d'esprit et de connaissances, l'eût mené loin dans les routes du bien; environné, comme il le fut d'abord; mais son âme s'y refusait; ce fut elle qui le livra bientôt à l'infatuation de ces pompes insultantes des vieilles cours, dont ses chagrins envieux avaient été foulés, dans sa jeunesse.

Jamais dans ses conceptions, dans l'abstruse incongruité de son intarissable parlage; dans ses mœurs; dans les tons et les formes de sa représentation; dans toute sa vie et publique et privée, rien qui tienne à la grâce des belles affections, à la dignité d'un haut caractère. Les femmes sont les juges les plus favorables de tout ce qui a de l'âme; il a su les choquer, les humilier; jamais ni les aimer, ni les flatter; aussi il n'a pu obtenir d'elles, ni intérêt, ni pitié, dans sa chute; parce que sa chute, comme ses triomphes, a été sans âme.

Je croirais volontiers que la nature vengeait l'humanité, dans cet être sans entrailles; peut-être ne lui a-t-elle jamais accordé, à travers tant et de si inouïs succès, une de ces délices, qui inondent les bons cœurs, dans les momens où ils sont payés par une destinée favorable. Dans son orgueil, il dévorait le monde, comme un goujat dévore ses alimens, sans en jouir; et peut-être encore cette agitation sans repos, cette soif sans étanchement, cette avidité, sans possession; disgrâce, en lui, de la nature, était le secret de cette force inexplicable, dont il est donné à certains hommes d'écraser les autres.

Sans bon sens, il n'a pas aperçu qu'une ambition qui veut tout, ne garde rien. Il n'a pas reconnu, qu'en restant le chef suprême du plus puissant empire, il était audessus des rois; qu'en se faisant empereur et roi, il s'aliénait les peuples; et se condamnait à l'abolition de toute autre dynastie, que la sienne : ce qui était plus extravagant que la république universelle des jacobins; car au moins ceux-ci se donnaient les populaces pour alliés; tandis qu'un despote

conquérant rattachait les peuples aux rois. Méconnaissant ce que toutes les histoires lui enseignaient, que la fondation d'une dynastie ne pouvait être l'œuvre d'un prestige; mais le prodige d'une lente prudence, combinée avec des conjonctures, habilement employées, plus habilement préparées; ne méconnaissant pas moins le temps et la nation, où il se donnait une couronne, par sa seule impudence; il n'a pas démêlé que c'était trop qu'une usurpation, à la fois, et sur une nation qui recevait bien de ses égaremens dans une révolution, le besoin d'un gouvernement réfrénateur; mais ne pouvait avoir pris le goût du despotisme dans de si nobles efforts, de si grands sacrifices pour la liberté; et sur une race antique, à qui il rendait la liberté à offrir, pour prix

de sa restauration.

Ce danger était si apparent pour Napoléon, que, dans les études politiques de son règne, on ne concevra pas, que ni la maison de Bourbon, ni les puissances de l'Europe, n'aient pas saisi ce moyen si simple, d'abattre un aussi terrible ennemi, par la France même. Il est vrai que cela eût demandé une

sensible bonne foi. Mais pourquoi ne pas se résigner aux preuves de la bonne foi, quand elle est la ressource du salut?

Puisqu'il lui fallait absolument, et tout de suite, non pas seulement le trône des Bourbons, mais celui de Charlemagne, dont il se portait pour le successeur immédiat; au moins y avait-il quelque convenance à l'étayer de la réalité d'un régime représentatif, dont la France conservait encore un simulacre. Être né d'une révolution, et briser, d'un coup de pied, cette révolution, c'était vraiment renier sa mère, en prenant l'héritage.

Il est vrai qu'il est des époques de troubles et de vertige, où le jour ne ressemble plus à la veille; où les hommes laissent faire. d'eux tout ce qu'on veut. Mais bâtir sur de tels temps, c'est bâtir sur le sable.

Il est vrai encore qu'il pouvait corrompre; et que corrompre, c'est asservir. Mais ne savait-il pas que, du sein même de la corruption, sortent les révoltes, les séditions, et les conspirations de cour et d'armée? C'est là le propre de ces despotismes de l'Asie; direction, non dissimulée, de tous ses plans.

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