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pas pour leur donner un témoignage de respect, un gage d'alliance, qu'il n'a voulu monter sur un trône, que couvert d'un assassinat? et le plus vil, le plus infàme: car, rien là pour une vengeance, pour une peur, pour une sûreté; mettre du sang entre lui et l'ancienne maison régnante: voilà son féroce calcul,

Comme législateur, il rentre dans la marche des plus vulgaires tyrans; constituant, déconstituant, reconstituant tout, suivant les saccades d'une tête, plus fixe à un but qu'à un plan (*); ne négligeant pas le bien pour tromper; ne laissant rien d'imparfait dans le mal, quand il y avait sûreté; mêlant seulement le caprice à la combinaison, comme pour se donner à lui-même, par des épreuves réitérées, la pleine conviction de la lâcheté publique: ce qui devait faire les délices d'une âme pareille.

Comme administrateur, il voyait en lui le propriétaire souverain des biens et des personnes, dans la société humaine; et, sans être bon ménager, faute de principes, et par

(*) Je m'emprunte à moi-même, ce mot.

mépris de toute autre instruction, que celle qu'il se donnait, par les mauvais résultats de sa foi exclusive à son propre génie ; il n'était déprédateur ni par goût, ni par entraînement. N'admettant que l'obéissance passive, qu'un zèle mercenaire dans les hommes, il aimait et soignait l'ordre dans les choses. Si l'insolence de son ambition et la perfidie de sa politique ne lui eussent souvent ramené de nouvelles guerres, plus tôt qu'il ne les avait calculées, ce serait, avec quelque proportion, qu'il eût décimé ses troupeaux, pour la boucherie.

Il avait même l'instinct, non de ces grandes choses, qui sont bonnes en même temps, par la sagesse et l'économie qui les préparent; mais de celles qui confondent par le dessein, subjuguent par l'exécution. Tout, par lui, sous lui, devait être colossal, comme luimême. Des entreprises, qu'on aurait rêvées; sans y croire; de vastes constructions; de hardis prodiges de l'industrie sociale, en France, hors de la France, les reproduiront aux siècles étonnés; et contrasteront, par une admiration perpétuelle, avec l'éternelle exécration des peuples.

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Mais, remarquez-le bien, son génie, aussi forcené de renommée, qu'étranger à la gloire, n'a jamais voulu s'imprimer que dans ce qui se fait admirer, sans se laisser craindre; dans des merveilles, esclaves elles-mêmes du pouvoir qui les ordonne. Il ne lui fallait que des grandeurs mortes. Il dénigrait la philosophie, qui, sous lui seul, n'osa ou ne sut braver les tyrans ; il n'accordait aux lettres que sa louange; se servait des sciences et des arts, comme de l'argent, pour attester sa puissance, la réfléchir, lui soumettre le monde; et le montrer seul grand, dans la dégradation universelle où il ne pouvait obtenir les services, il achetait le silence; il payait magnifiquement la prostitution à ses plans; et avec toutes les monnaies qu'il avait accaparées, les richesses, les places, les grandeurs, les décorations; jamais en gloire; aucune n'a éclaté sous son règne; il ne tolérait même l'honneur nulle part, comme une prétention à l'indépendance.

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Il ne faut pas le juger uniquement sur les maux qu'il a faits; mais encore sur tous les biens, où l'appelait sa fortune, unique surtout en ce point. Voyez le moment où la

France s'est remise entre ses mains; et je le crois encore, elle n'a rien à se reprocher dans le parti qu'elle prit alors; elle était condamnée à une dictature; et c'est là ce qui avait, d'abord, bien assis la sienne; car, comme Néron, il eut de beaux commen

cemens.

Depuis qu'il y a des nations, quel mortel reçut jamais de sa patrie une si grande position? Quel mortel dut jamais à sa patrie un plus héroïque dévouement? La position qu'on lui avait faite, avait cela de propre, qu'il obtenait encore tous les hommages de la reconnaissance, sans les sacrifices de l'ambition; qu'il allait au comble de la puissance, par le comble de la vraie gloire; il ne s'agissait que de préférer, à son personnel avantage, le bien au mal.

Comment donc l'avons-nous vu, s'échapper dès qu'il l'a pu, et avec un machiavélisme très-habile, qui a été sa plus éminente qualité, des bonnes voies, où il avait été contraint d'entrer? Comment a-t-il fait un choix si absurde, si bizarre; et tel qu'on ne peut l'imaginer dans tout autre favori de la fortune? C'est que la nature, ou si on veut, ses

premières habitudes, en développant en lui des facultés, qui n'étaient pas communes, ne lui avaient donné qu'une âme abjecte; et lui avaient refusé cette raison élevée, qui n'est que le bon sens, pour les hommes des grands rôles, dans les grandes circonstances. Aussi n'a-t-il jamais été susceptible, que de deux mobiles: la superstition à sa fortune, et le mépris des hommes ; dont il ne s'exceptait pas; car, assurément, il ne s'adorait pas lui-même, comme le meilleur; mais comme le plus habile à s'approprier en eux, le bien pour le mal. Aussi ces deux ressorts, brisés en lui, par ces revers définitifs, qui veulent un nouvel homme, on a pu constater qu'il ne restait en lui que le cadavre de sa fantastique supériorité.

Sans âme, tout ce qui était réservé de beau et de grand à ce pouvoir extraordinaire, qui lui fut déféré, il l'a perdu par sa seule volonté. Où sont les récompenses des superbes soucis de l'éminente grandeur, si ce n'est dans cette vaste bienfaisance, qui approche un mortel d'une divinité ; qui rassemble sur un seul individu les affections de l'humanité entière ? Où est la garantie de la

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