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armées, sans pareilles ; qu'il subira le ralliement des puissances brisées, revenues d'un servile égoïsme à l'énergie de la mutuelle protection; de la peur à l'audace; que brisé, à son tour, il sera rejeté jusqu'au sein de sa capitale; qui, cette fois, fera cause commune avec le monde foulé: elle apprendra enfin qu'il ne fallait pas être la grande nation, mais la bonne nation; que se laisser fasciner, se laisser asservir par un audacieux aventurier, qui ne dut, peut-être, le phénomène de son ascendant, qu'à son insolence envers tout le genre humain; et ne pouvoir plus secouer un tel joug, qu'à l'aide d'une invasion étrangère, est ce comble de l'opprobre comme du malheur, où l'on ne peut être amené, que par une continuelle méconnaissance de ces principes, qui reposent, sur leurs nouvelles bases, les empires bouleversés; de ces transactions des partis, qui, seules, finissent les révolutions.

NAPOLÉON BONAPARTE,

E

SOUS L'ASPECT CIVIL.

Je n'ai pu saisir le sujet, dans le morceau JE qu'on vient de lire, que sous l'aspect militaire. Je veux prévenir le reproche de ne l'avoir pas aussi considéré, sous le point de vue civil.

un

J'ai appelé l'empereur Napoléon, aventurier. Il y a beaucoup de ce caractère dans sa destinée. L'homme de l'île de SainteHélène, ressemble beaucoup, aujourd'hui, à l'ex-roi Théodore. Mais, pour le malheur du monde, par les actes, les événemens et les facultés, c'est parmi les personnages les plus extraordinaires; et, peut-être à un rang à part, dans cette classe, qu'il faut le placer.

Je l'ai appelé aussi l'homme monstre; et j'entends par-là un homme à qui il fut donné de passer toutes les bornes dans les voies et les moyens du mal ; c'est la qualifica

tion qui me paraît le mieux lui appartenir.

Jeté dans les temps et les contrées barbares, un tel homme, avec tout ce qu'il a opéré, ne serait pas le dernier, entre les Gengis, les Tamerlan, les Attila, les Tha

mas.

En le comparant à une plus noble espèce de conquérans, aux Alexandre, aux César, aux Charlemagne, à la fois destructeurs et fondateurs d'empires, j'observe que leurs œuvres avaient pris racine dans les temps; tandis qu'il a péri dans la sienne; à cet égard, la fortune même a prononcé contre lui.

Si on cherche le principe de cette gigantesque existence, on la trouve entièrement en dehors de son propre mouvement. Son moyen fut la révolution française, qui lui tomba, comme le gros lot à la loterie; et c'était une terrible puissance que la révolution française. Il en a joué, avec une incroya ble audace et une folie insigne; voilà ce qui lui est propre.

Qu'était, en lui-même, cet être épouvantable, qui occupera les siècles futurs, non moins que le nôtre?

Comme homme de guerre, il me semble

que le général Bonaparte laissera loin de lui l'empereur Napoléon. De belles victoires avec des forces ordinaires ; et contre des armées qui se défendaient encore; voilà ce qui peut le mettre à côté du général Moreau, qui a fait, avec plus de sagesse et de grandeur, des choses, non moins prodigieuses. Des conquêtes, sans exemples, à la vérité; mais en disposant, en maître absolu, d'un empire renouvelé par une révolution, et d'une armée puissante de cent victoires; des conquêtes sur des puissances qui venaient se faire battre chacune, après une autre ; et qui ne lui opposaient que des tactiques usées, et le désespoir de leur cause, dans leurs troupes : cela ne demandait que de tout sacrifier au succès, et de tout hasarder encore, après le succès.

Aussi ce jeu effréné n'a-t-il plus été qu'une ruine continuelle, et une ruine hors des chances communes, lorsque le vainqueur a voulu affronter les obstacles mêmes de la nature; lorsqu'il a enfin trouvé des armées formées au genre de sa guerre; autour des armées, des peuples, repoussant, pour euxmêmes, le joug accepté par leurs gouvernemens; et ces gouvernemens reprenant de

la fermeté et de la constance, dans l'énergie des peuples.

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Comme despote, il mérite une réelle distinction; il a nourri la férocité naturelle de son âme, de toute sa fortune; mais il ne s'est point amolli dans la puissance.

Ce n'est point sans m'être recueilli sur le mot, que je viens de dire sa férocité. Qui en montra jamais plus dans le dessein de ses guerres, dans le système de ses batailles, dans ses désertions, toujours répétées, d'une armée vaincue? Une armée vaincue n'était plus pour lui qu'un holocauste à offrir au dieu des combats. Il revenait, tout de suite, en former une autre, sans remords, sans pitié, sans honte, sans effroi : tout allait bien, pourvu qu'il pût recommencer.

Il est vrai qu'il n'a pas versé le sang sur les échafauds. En eut-il jamais besoin? Et pourquoi n'en eut-il jamais besoin? parce qu'on jugea bientôt, si on entreprenait une lutte avec sa tyrannie, qu'il saurait reproduire les massacres des Marat, des Robespierre, avec une furie plus savante. Ne professait-il pas qu'il n'estimait, dans la révolution, que les jacobins? Et que cela signifiait-il? N'est-ce

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