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à des constitutions. On les met en discussion, lorsqu'il ne s'agit que de les faire aller; on les condamne, avant de les éprouver; on leur demande la réparation de tous les maux ; et on reprend tous les maux, plutôt que de consentir à ce remède.

Nous ignorons que toute constitution est bonne, dès qu'elle va; qu'elle va beaucoup plus parce qu'on y met, que parce qu'on y trouve; par le zèle sincère de tous ses agens, que par la sagesse de ses institutions; que la plus parfaite devant être celle qui choquerait le plus de préventions, de préjugés et de passions, serait précisément celle qui irait le moins, si tout le monde ne s'attachait à son char; que s'en défier, en trop raisonner, lui trop demander d'abord, est ce qui lui nuit le plus; que c'est du jour seulement, que tous s'en contentent, que tous aident à son mouvement, qu'on peut commencer à la réformer; parce qu'alors, c'est relativement à son succès qu'on la réforme, et non pas pour sa chute.

Ce qui décrie à l'avance les constitutions, c'est d'en faire, à l'avance, le triomphe d'un parti sur un autre, et non un gage d'al

par

liance entre tous les partis; c'est de leur commander de marcher entre l'arrogance des vainqueurs et l'animosité des vaincus; c'est de les exposer aux voies de la tyrannie la crainte des soulèvemens; c'est d'en dénaturer les principes par les effets qu'elles opèrent; c'est de provoquer des troubles par la manière dont on les établit; c'est de les forcer à jouer contre des troubles, avant de jouer dans leur ordre régulier; c'est de ne pas pourvoir à la création d'un esprit public, capable de les maintenir; c'est d'appeler, dans leurs pouvoirs, de faux amis ou des ennemis acharnés; c'est d'empoisonner, d'avance, la représentation des discordes des élections; c'est de fonder la guerre même dans l'état de paix qui leur est propre; et hors duquel elles ne sont qu'un nom qu'on attaque, et un nom dont on abuse.

C'est la faute qu'on a faite, dès le commencement; c'est celle où on a persévéré, à chaque renouvellement de nos assemblées souveraines.

Une idée grande, simple, facile; conforme à l'état de désuétude où toutes les choses anciennes étaient tombées ; à la force

;

de rénovation qui nous entraînait, eût tout retenu, tout fixé; eût opéré, sans convulsion, un changement, bien conçu et bien dirigé.

C'est dans les conseils du roi qu'elle devait être portée ; c'est là qu'on eût dû en organiser l'exécution.

Qu'est-ce que ces états-généraux qu'on vous propose, devait-on dire au roi ? C'est un vieux débris de l'ancienne barbarie; c'est un champ de bataille où viennent lutter ensemble trois fractions d'un même peuple; c'est un choc de tous les faux intérêts contre l'intérêt général; c'est ou l'inertie ou l'opiniâtreté de l'esprit de ce corps; c'est un moyen de subversion; ce n'en peut être un de rénovation. Prenez ce vieil édifice pour ce qu'il est, pour une ruine. On ne s'y rattache que comme à un souvenir; emparezvous des esprits par une institution qui les étonne et leur plaise; que la nation avoue; et où elle puisse mieux prédominer. Que reste-t-il en France? Une nation et un roi. Qui doivent traiter ensemble? qui peuvent bien s'accorder, parce qu'ils ont un lien établi, un intérêt, une affection commune?

La nation et le roi. Qu'un roi, placé à la fin du dix-huitième siècle, ne convoque pas les trois ordres du quatorzième; qu'il appelle les propriétaires d'une grande nation, renouvelée par sa civilisation. Un roi, qui subit une constitution, se croit dégradé. Un roi, qui propose une constitution, obtient la plus belle gloire qui soit parmi les hommes; et tout ce qu'il y a de plus vif et de plus constant dans leur reconnaissance. Une constitution doit être appropriée aux idées sages, que la discussion a préparées et fixées. Concevez la constitution de votre siècle ; prenez-y votre place; et ne craignez pas de la fonder sur les droits du peuple. Votre nation, vous voyant à la hauteur de ses vœux, n'aura plus qu'à perfectionner votre ouvrage, avant de le sanctionner. C'est ainsi que vous maîtriserez un grand événement, en l'accomplissant vous-même; c'est ainsi qu'il s'accomplira sans secousses: c'est ainsi que l'intervalle d'une rapide délibération changera un vieux chaos, dans un ordre solide et permanent.

Je crois qu'il n'est pas aujourd'hui un bon esprit, qui niât la force, la justesse, la sûreté

de cette marche. Eh bien! elle fut présentée dans le temps, et n'obtint que le sourire du mépris.

Est-ce le peu de recommandation de son auteur, la suspicion qu'on pouvait prendre de lui, qui en éloigna? Non, elle venait du plus homme de bien de ce siècle; d'un magistrat, d'un ministre, d'un homme populaire en France, avant le culte des réputations populaires; d'un homme, qui avait adopté le roi dans son coeur, comme un père se dévoue particulièrement à un enfant, qu'une étoile menaçante conduit à sa ruine (*). J'ai vu écrire ce mémoire, dont je donne l'idée principale. Je l'ai lu et relu; je somme ici tous ceux qui peuvent en avoir eu connaissance, d'en déposer, avec moi,

(*) C'était le principe et le caractère de la tendre affection que M. de Malesherbes portait à Louis XVI. Pendant qu'ils étaient ses ministres, entre M. Turgot et lui, le mot sur le roi était : notre bon jeune homme. Bien long-temps après, M. de Malesherbes me disait, que le seul de ses ministres que le roi eût aimé, c'était M. Turgot. Il avait, d'après plusieurs données, de tristes pressentimens sur la destinée du roi.

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