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» écarter de lui ces comparaisons; que l'on » a déjà multipliées, avec plusieurs grands >> hommes de l'antiquité; non qu'elles ne >> lui conviennent; mais parce qu'elles dissi» mulent trop sa physionomie distincte.

» J'ai recueilli, dans ma mémoire, les >> souvenirs, les impressions de ses entre» tiens, pendant plusieurs séjours à Males» herbes, en tête à tête, avec lui. D'autres » traceront mieux que moi le grand homme; >> c'est surtout le bon homme que je veux » montrer; l'homme sans modèle et sans >> copie; un de ces êtres originaux, dont il >> semble que la nature ait brisé le moule, >> après l'avoir employé, une fois. >>

Lors de sa rentrée au conseil d'état, en 1787, il avait bien voulu me choisir, pour rédiger les travaux préparatoires de plusieurs plans de réformes dans les lois, que le roi l'avait autorisé à lui présenter. J'ai encore ces travaux, qui ne sont que d'informes ébauches. Je viens de les examiner; elle demanderaient ce second travail qui reçoit, seul, le style, par l'achèvement et l'épurement des idées ne pouvant plus leur donner ce mérite nécessaire ; j'allais les

brûler; mais je me suis arrêté par la pensée, que je devais conserver les méditations d'un grand citoyen; propres à féconder quelque jour les esprits qui se porteront vers ces objets. Je placerai en tête de ces morceaux, tous assez étendus, quoique non complets, une relation de mes rapports avec M. de Malesherbes; c'est par cette forme simple; et en m'abandonnant à des souvenirs, qui me sont sacrés, que je le louerai, comme il voulait l'être, par la seule vérité. Ce recueil fera un volume dans mes œuvres, en y joignant quelques-uns des écrits de M. de Malesherbes.

En attendant, je crois devoir reproduire l'hommage, que j'avais rendu à cet auguste martyr d'un héroïque dévouement: c'est son portrait dans le plus beau moment de sa vie, celui qui a consacré sa mémoire.

Il est encadré dans la fin d'un de mes écrits sur la révolution. Cet écrit avait pour but une mesure, proposée, pour prévenir l'abominable coup d'état, dit du 18 fructidor. C'est du même écrit que j'ai tiré le morceau ci-dessus, un second Mirabeau, au directoire. Il a pour titre : Adresse au

directoire, sur la réélection du corps législatif, en l'an 5.

On y trouve des réflexions sur le cours des opinions, dans ce temps, qui s'appliquent encore à nos manières de voir et de nous conduire d'aujourd'hui: ce sera, je l'espère, une excuse à l'étendue du mor

ceau.

Je me suis conformé d'ailleurs à deux principes, que j'ai établis, dans une discussion inédite, sur les portraits historiques : l'un, qu'un portrait historique peut trèsbien ne montrer le héros, que sous l'aspect le plus saillant de sa vie; l'autre, que si le portrait fait partie d'un morceau, c'est le morceau lui-même, qui est le portrait. Exemple dans Bossuet: détachez, comme on fait, du tableau des guerres civiles de la Grande-Bretagne, le portrait de Cromwel, vous lui ôtez la moitié de son effet; rendezle au tableau; et vous sentirez tout ce que vous lui ôtiez, en l'isolant.

MALESHERBES.

Je ne sais quel mauvais génie se joue impitoyablement du caractère des Français !

Nul peuple n'est aussi propre à dépasser les autres dans la recherche de la vérité; nul peuple ne tirerait plus de prodiges du régime de la liberté; nul peuple ne s'est porté plus violemment vers un changement de son état et de son sort. Nous avons fait pendant un demi-siècle, toutes les espèces de guerres à toutes les espèces de préjugés. Et, à cette heure, que nous les avons détruits dans nous et autour de nous, nous en recherchons l'autorité, sans pouvoir en reprendre la persuasion. Plus légers encore qu'inconstans, nous voudrions faire avec la raison, non un divorce de haine; mais un divorce d'humeur.

Châtiés par la liberté même, nous sommes mûrs pour la posséder; désabusés par la philosophie de quelques-uns de ses écarts, il est en nous de ne plus employer que ses véritables acquisitions. Mais, ayant en horreur notre état actuel, nous n'accusons que cette liberté, que cette philosophie, dont nous avions reçu l'impulsion, dont nous avons faussé la direction; comme des enfans dépités, nous nous absolvons de tout, nous n'accusons que nos maîtres. Arrivés à un terme, où

tous les changemens qui se sont faits parmi nous, sont nos seules ressources; où nous pouvons nous lancer dans un avenir plus vaste et plus fécond, nous ne savons plus que tourner nos regards en arrière; c'est ce qui ne nous convient plus que nous regrettons; c'est ce qui nous est acquis que nous répudions. Humiliés de la violence avec laquelle nous avons brisé les vieilles institutions, nous perdrons la fierté, avec laquelle nous devons maintenir les nouvelles.

le

A l'origine, pas une classe qui n'ait voulu, qui n'ait concouru, de tous ses moyens, à renverser le vieil édifice; à commencer par gouvernement, et à finir par la plus petite corporation. Nul signe plus certain qu'il n'était plus bon; nulle preuve plus irrécusable, qu'il fallait le renouveler. Et il n'en fallait pas moins pour l'ébranler; et avec ce genre d'ébranlement, il n'en pouvait rien rester. On s'était partout passionné de l'idée, qu'il n'y avait point, ou qu'il n'y avait plus de constitution en France; et qu'il en fallait une.

Mais on dirait

que nous ne sommes entrés dans les révolutions, que pour échapper

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