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Lion du Nord; il s'est nourri de son repos même. Mais, content de cette crainte respectueuse, dont il a fait une habitude à ses ennemis vaincus, il promène fièrement ses regards sur eux, sans les provoquer. Il rassure, en menaçant; pour n'avoir rien à entreprendre, il est toujours prêt; sa garantie est dans sa modération, comme dans sa force. Premier capitaine de son siècle, il est le meilleur politique de l'Europe. Cette nouvelle puissance, préparée par ses pères, dont il est le fondateur, il en fait une base de l'équilibre général. Ennemi de l'Autriche, il préserve l'Allemagne et l'Italie. Victime des erreurs de la France, il lui a permis de se relever sur les mers. Servi par la Russie, il lui fait, du moins, une limite de sa part dans un odieux partage. Il n'est pas le chef du corps germanique, il en est le protecteur; et il expie la guerre, en maintenant la paix.

Suivez-le dans sa retraite ; vous trouverez un autre roi, un autre homme. Seul, entre les monarques, il a rendu léger à ses peuples le poids du rang suprême, en ne lui laissant que l'éclat de sa grandeur personnelle. Seul entre les héros, le goût innocent

des vers a été l'unique frivolité de sa vie; et encore y remarque-t-on l'ascendant de son caractère sur son esprit : c'est en vain que le prince veut être poëte; mais ce n'est pas en vain que le poëte reçoit, quelquefois, son vers du prince. Seul, entre les héros, l'unique attachement qui entre dans son histoire, fut pour le plus beau génie du siècle; et c'est là que, comme dans une passion, il a éprouvé l'attrait des âmes et le choc des esprits; les querelles et les raccommodemens; les réparations, après les outrages; le besoin de se tenir, et celui de se séparer; il devra du moins et à ce noble amusement et à ce digne attachement d'être devenu ainsi

que César, le meilleur historien de ses propres exploits. Seul, entre les dominateurs, il a senti, confessé une autre puissance; et le jugement intime d'un grand roi nous a révélé, qu'un Voltaire est encore au-dessus d'un Frédéric.

Toutes les qualités éminentes, tous les dons brillans se rassemblent en lui. Mais la vraie gloire ne lui est pas réservée; car la sienne l'exclut du nombre, encore si borné, des bienfaiteurs du genre humain. Heureux,

si, placé sur un trône, où l'ambition commune n'eût plus eu rien à désirer, et dans une de ces grandes nations, qui, depuis Charlemagne, attendent un roi législateur; cette âme, appelée à quelque chose de grand et d'extraordinaire, eût embrassé le seul dessein, qui puisse encore élever un nom moderne au-dessus des plus grands noms de l'his toire; celui de consacrer la puissance absolue par la régénération d'un vaste empire; pour labriser ensuite elle-même, sur un si bel ouvrage! Jeté bien loin de cette carrière, que, seul, il eût mérité de remplir, il est resté au-dessous de lui-même, dans les principes de son administration civile; comme s'il eût dû être puni de n'y avoir pas porté la première ardeur de son âme et toutes les forces de son esprit.

Mais, du moins, si ses peuples sentent partout qu'ils ne sont rien sous le pouvoir qui les régit, partout aussi ils éprouvent que ce pouvoir sait se régir lui-même, par ses propres lois, la fermeté, la justice, la vigilance, et cette économie tutélaire, la vraie munificence des gouvernemens; n'ayant pas à haïr leur servitude, ils

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la parent de la gloire de leur prince; ils portent son joug avec orgueil et reconnaissance.

« Je l'ai vu, me disait un de ses plus dignes » admirateurs(*), dans ces lignes où il parais» sait le dieu de la guerre; le feu du génie bril>> lait encore dans ses yeux; mais son corps » fléchissait sous le poids des années; et déjà >> les ombres de la mort s'amassaient autour de >> cette tête glorieuse. Resté, presque seul, de >>> cette génération d'hommes éminens, qui dé» corèrent notre siècle, il ne semblait plus >> nous appartenir; et quelque chose de som»bre et de triste rendait plus profonde la » vénération qui m'attachait à sa vue. Au » moins, j'ai pu le saluer à son déclin; et >> mes souvenirs seront enrichis de ces impressions, que nous laissent les regards et >> les paroles d'un grand homme. »

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(*) Le comte de Guibert, qui, quelques mois après la mort de Frédéric, en a fait un très-bel Éloge; un des écrits remarquables de cet époque. Cet Éloge fournit tous les développemens des faits indiqués dans ca portrait.

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VOICI OICI Ce que j'écrivais, il y a quelques années, à la fin d'un Éloge historique de M. de Malesherbes; très-précieux par les faits, et intéressant par le ton et le style; dernier écrit de mon confrère à l'Institut, le respec. table M. Gaillard.

<< Et moi aussi, j'ai connu M. de Males>> herbes : je l'ai connu, non par des rapports >> avec le magistrat, avec le ministre ; mais >> au sein de sa famille, au milieu de ses » vieux serviteurs, dans les occupations de »sa retraite, dans les pensées de la solitu>> de; je l'ai connu par le bienfait, sans prix, >> de ses conseils, de son estime, de son >> amitié; par le dépôt de ses confidences >> intimes; et je puis dire, à mon tour: » Nul homme ne réunit jamais plus de ver>>tus, de connaissances, plus de beaux faits » et de hautes pensées; un esprit aussi pi» quant et un aussi beau caractère. >>

« Je voudrais, ainsi que M. Gaillard,

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