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une touche originale; et cependant, par une inconséquence ou une imperfection dans l'emploi de, ces riches facultés, ils ne Jaisseront pas un monument égal à leur puissance, où ils aient atteint toute leur gloire.

Peut-être aussi, et par une autre faveur de la nature, seront-ils doués encore de cette verve de la parole, de cette éloquence, autrefois souveraine, à laquelle furent réservés tant de prodiges; et dans des temps et des pays où la parole se trouve sans tribune, en les écoutant, on croirait volontiers que, reculés dans les siècles anciens, ils eussent offert ou de ces fondateurs de la société, qui amenaient sous le joug des lois, les hommes encore brutaux et sauvages; ou de ces vengeurs de la liberté, qui replaçaient les peuples dans la souveraineté publique; ou bien, de ces fiers usurpateurs des droits du ciel, qui renversaient et recréaient des religions; ou enfin, de ces pieux enthousiastes, qui, montrant au loin, un tombeau sacré, précipitaient l'Europe sur l'Asie.

Soit qu'ils parlent, soit qu'ils écrivent; toujours en eux quelque chose de puissant, de désordonné. Cet enthousiasme, que tout

excite, , que tout entraîne, les pousse dans tous les sens.

Voici les jours de la pure inspiration: approchez et recevez les plus nobles, les plus saines leçons sur l'ordre politique et moral, sur les sciences, sur les arts; sur le goût même, dont ils aiment à braver les règles, dont ils savent enrichir les principes; ils sont nés pour éclairer le monde.

Voici les jours d'une sorte de sédition dans leurs pensées: il ne faut plus les écouter, que pour leur résister et les combattre; ils osent tout ébranler; ils peuvent tout compromettre ; et, dans ces coups, presque fanatiques, qu'ils ne veulent porter qu'aux préjugés et aux erreurs, ils vont peut-être blesser elles-mêmes les vérités tutélaires; ils sont nés pour donner une secousse à leur siècle.

Détournez-vous ou gémissez: placés entre une austérité souvent hypocrite, et des mœurs hautement dissolues; curieux de tout peindre et enclins à des scandales, je ne sais quelle maligne influence leur dictera de ces pages, qui, en outrageant la décence et la pudeur, mettent en fuite les grâces. Mais absolvez-les

elle

de

par le témoignage de leur vie; voyez, offre encore plus de bonnes actions que mauvais discours; et songez qu'il faudrait encore honorer Platon, quand même il se serait montré, un moment, dans le tonneau de Diogène.

Par ce mélange des services et des écarts, des beautés et des défauts, c'est pour eux que le dénigrement a des fureurs plus implacables, plus prolongées; c'est pour eux que la postérité, avec son ferme discernement, arrive plus tard; mais enfin elle arrive; et alors ils reçoivent, parmi les premiers génies de leur temps, de tous les temps, une place, qui n'est ni supérieure, ni inférieure; une place, qui les sépare encore, et par l'espèce des emblèmes qui les signalent et par l'espèce du culte qu'on leur doit : pareils à ces divinités des anciens, que la religion des mortels allait implorer aux cieux, dans l'espérance du bien; conjurer aux enfers, dans la crainte du mal; et à qui des attributs, opposés, n'avaient pas permis d'assigner un empire, où, seules, elles régneraient.

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Ce Portrait était dans une brochure sur le gouvernement du Directoire; refait en 1816.

MIRABEAU

:

IRABEAU offrait un singulier mélange de qualités, qui semblaient s'exclure: de hauteur dans le caractère et de bassesse dans la conduite; il eût, suivant les occasions, bravé des rois sur leurs trônes et cajolé des laquais de ministres d'étourderie et de souplesse : il ne pouvait retenir un mouvement et faisait tout concourir à ses fins; d'élévation philosophique et de sotte vanité: personne ne concevait mieux la dignité d'un beau caractère et ne se pavanait davantage dans un carrosse à la mode; d'abandon à ses plaisirs et de puissance sur ses passions : il eût tout sacrifié à une courtisane ; et l'eût quittée, au moment même, pour une entreprise d'éclat; d'ambition et de justice : il eût tout brisé pour arriver à une place; et ensuite relevé un

pauvre commis, à qui il aurait fait perdre la sienne, chemin faisant; d'emportement et de modération : il ne gouvernait jamais mieux ses démarches et ses paroles, que dans l'énergie d'une défense personnelle. Il lui fallait, argent, plaisirs et gloire; mais, avec ce triple lot, il eût été de tout son cœur un honnête homme. Tout tenait beaucoup en lui à ce que, jusques aux jours tardifs et rapides de sa gloire, la fortune ne lui avait laissé que des ressources moins qu'honnêtes, pour satisfaire à la fougue de ses passions. Il avait plutôt les habitudes que le fond des vices; et encore faut-il en excepter l'envie; tous les vrais talens, toutes les bonnes réputations lui étaient honorables et inviolables; il ne cédait rien à ses rivaux ; mais hors l'objet de la concurrence, personne qu'il aimât mieux embrasser, prôner et servir.

Il s'était appliqué à toutes les parties de l'administration publique; et il était propre à chacune; on pouvait répéter sur lui le mot sur Catinat : qu'on ferait de lui, comme il plairait, un chancelier, un ministre, un général. La passion d'une révolution en France, lui en avait fait démêler les symp

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