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ticulièrement destiné à les acquitter; j'ai compté sur l'intérêt de ce sentiment, pour donner quelque prix à ce faible Éloge, où j'ai tâché que tout fût vrai ; afin que les illusions, si excusables de l'amitié, ne puissent servir d'argument contre la mesure de gloire, que j'ai osé lui déférer.

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BARTHÉLEMY,

AUTEUR DU JEUNE ANACHARSIS.

L'ABBÉ Barthélemy a offert, dans les fastes littéraires, non ce qui range parmi les esprits dominateurs d'un siècle; mais tout ce qui place d'une manière à part, même dans un grand et beau siècle : quelque chose de complet et d'accompli dans la carrière parcourue; un heureux accord des qualités personnelles avec les travaux ; et un contraste frappant de la destinée de l'homme avec le cours de son temps.

Nul ne fut plus studieux, plus ingénieux dans les moyens d'abréger et d'étendre les études; et n'en porta plus loin les savans produits. Pas une langue, si'reculée dans la profonde antiquité, dont il n'ait eu des notions; pas un manuscrit, à portée de lui, qu'il n'ait lu; pas un manuscrit, si loin de lui, dont il n'ait eu, au moins, le renseignement; pas une médaille qui n'ait passé par son examen;

lequel appréciait, classait, éclairait tout; pas un monument dont il n'ait connu les caractères et les rapports. Nul homme ne fut jamais plus riche de l'antiquité; il en avait manié, en quelque sorte, tout ce qui en reste; et pouvait deviner sagement dans tout ce qui n'en offre plus que des traces effacées.

Ces études, qui paraissent si dénuées d'un attrait propre, en ont un réel néanmoins ; et capable d'animer et de soutenir tant d'application et de constance: c'est un goût qui se déclare dès la jeunesse; se nourrit de ses jouissances silencieuses; et devient la passion unique, celle de la vie entière; en sorte, qu'on peut dire des hommes qu'elles absorbent, ce qu'on n'a dit encore que des poëtes : qu'on naît érudit.

Mais il est trop prouvé aussi que, parmi tous ces hommes possédés de la passion de l'antique, peu sont partagés de cette sagacité, de cette justesse, de cette ingéniosité; qui peuvent, seules, faire sortir de cette science ses fruits les plus précieux; et c'est par ces hautes qualités, que Barthélemy a surtout marqué ses travaux ; dans lui, tous les

faits cherchent leur liaison et tendent à des résultats; tous les faits deviennent des idées, et sont moyens ou preuves de quelque vérité. Il n'a été surpassé par personne dans sa science; et plus qu'aucun autre, il a fait de sa science un instrument de rectitude, d'avancement, de perfectionnement dans tout le domaine de l'esprit humain.

La plupart des écrivains de ce genre n'ont eu besoin que de la précision du raisonnement et de la correction du style; et s'y sont bornés. Barthélemy a fait un ouvrage d'érudition, qui appartient au talent littéraire et à l'esprit philosophique. Il avait approfondi dans tous les détails; considéré sous toutes les formes et les aspects la topographie, les lois, les sciences, les arts, les mœurs des contrées, si variées, de la Grèce. Les immenses matériaux de cet ouvrage, amassés avec le soin le plus sévère, sans cesse vérifiés avec scrupule, seraient, dit-on, la production érudite la plus prodigieuse ; et, sans doute, ils ne sont pas perdus. Barthélemy conçut la belle idée, l'idée neuve de faire de ce vaste ensemble de recherches, une histoire, un tableau, une scène.

Cette belle Grèce n'existe plus dans ses propres contrées; on ne la retrouve plus que dans des livres. C'est avec des livres qu'il a fallu la recréer, pour en faire le sujet des contemplations d'un jeune Scythe, appelé par la renommée et l'amour de la sagesse. Mais tout est reposé, sur les lieux, dans un accord complet; tout revit avec l'illusion la plus parfaite et un effet délicieux; vous épuisez le travail d'un savant, pendant trente années; et vous croyez ne lire qu'un roman : le cadre seul en appartient à la fiction; l'histoire à tout fourni; tout l'intérêt vient de l'histoire et s'y rapporte. Cette pensée originale a retracé, avec plus de grandeur, le brillant essai de Fontenelle, dans son ouvrage des Mondes, de populariser les sciences; et imité, avec un succès égal, si la gloire ne l'est pas, l'application des couleurs de la poésie et des pompes de l'éloquence à l'Histoire naturelle.

Du reste, cet ouvrage, comme toutes les innovations, a fait éclore beaucoup de copies, sur lesquelles je n'ai pas à parler. Et voilà, non pas le mal, mais l'erreur. Ces heureuses entreprises n'apprennent souvent qu'à multiplier des productions, jetées dans le

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