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épargné : mais sa conscience veillait sur son esprit ; il ne se serait jamais permis d'user d'un talent, qui l'avait fait souffrir.

Ces agrémens de l'esprit et du caractère, donnaient un intérêt de plus à l'instruction qu'on puisait près de lui; et qui était telle, que sa conversation valait une bonne lecture. Peu d'hommes de lettres avaient appliqué leur esprit à plus de genres, avaient plus analysé dans chaque genre. Du fond de sa retraite, il suivait, dans leurs progrès, presque toutes les sciences, tous les arts; et sur tous les objets, il s'était fait des résultats par la comparaison des siècles et des nations. On n'était pas seulement étonné de tout ce qu'il savait, mais de la manière dont il savait.

Je dois remarquer que les gens de lettres d'aujourd'hui, trouvant dans toutes les parties de la science humaine de bons livres, et une meilleure méthode d'apprendre, tombent au-dessous de leur siècle, et perdent des ressources, qui deviennent de plus en plus nécessaires, lorsqu'ils ne sortent pas des études particulières à leur genre. Le talent ne peut plus atteindre à une grande dis

tinction, sans des connaisances, sinon trèsétendues, du moins bien généralisées; et sans un esprit, qui sache mordre à tous les objets et se nourrir de toutes les espèces d'instruction.

C'était dans les correspondances que M. Thomas entretenait avec ses amis, dans toutes les réponses qu'un homme de sa réputation avait à faire, qu'il répandait les fruits de ses études, de ses continuelles méditations; c'était là qu'il appréciait, d'une manière supérieure, les événemens, les hommes, les ouvrages; qu'il discutait les principes de la législation, de la morale, des arts, avec un sentiment profond de tout ce qui est utile et grand, avec un goût aussi ouvert aux beautés, que sévère aux défauts. Ses lettres, qui ne seront peutêtre pas charmantes par l'abandon et les grâces familières, seront des morceaux précieux de philosophie et de littérature; son esprit y est aussi fort et plus détendu.

M. Thomas n'avait d'abord cherché, dans ce goût universel, qu'il avait développé en lui, qu'un exercice utile de son esprit, qu'un moyen de plus de mettre à profit ses études

et ses travaux. Il sentit ensuite qu'il pouvait en faire un usage précieux; et qu'on doit aux autres, tout ce qu'on peut leur communiquer de ses connaissances. Fidèle à la confiance, sensible à tout désir sincère d'instruction, ami de tous les talens; soit qu'on le consultât sur un essai; qu'on lui demandât son jugement sur un ouvrage; ou une réponse à une question de philosophie ou de littérature, on le trouvait toujours prêt à accorder une partie de son temps à ces soins presque perdus pour la gloire. Il s'était fait un art de tromper la vanité importune par une politesse froide, sans être désobligeante; un devoir de dire la vérité à ceux qui étaient dignes de l'entendre; et un plaisir d'éclairer le talent sur ses défauts; de l'encourager par une forte estime: il le démêlait à travers l'indifférence générale; il le démêlait dans un mauvais ouvrage; il lui apprenait ce qu'il devait éviter, ce qu'il devait attendre. Il n'était pas prôneur; mais il avertissait les bons juges; il était digne de préparer la justice publique; et il eut, plus d'une fois, cette satisfaction.

Ainsi, jusque dans cet intérieur de sa vie, le véritable homme de lettres exerce une sorte de magistrature; il dirige, protége, console, anime. C'est par-là encore qu'il devient infiniment cher à ceux qui doivent être les successeurs de cette autorité et les gardiens de sa gloire.

Si le talent naissant et encore inconnu a besoin de services plus délicats, il sait aussi les recevoir avec une reconnaissance plus tendre. L'homme généreux qui nous a tendu une main protectrice dans une grande infortune; l'ami courageux qui nous a sauvés d'une grande erreur, deviennent à jamais pour nous, des objets touchans et vénérables; mais l'homme illustre, qui a développé en nous ce que nous avons de plus cher, le don des talens et le goût des vertus (car ces deux biens naissent l'un de l'autre dans les âmes faites pour les réunir), acquiert encore sur nos cœurs des droits plus sacrés. Cette admiration particulière qu'il nous a inspirée; cette confiance timide qui nous a portés vers lui; cette joie, pleine de courage et d'espérance, que nous avons reçue de ses premiers encouragemens, sont des impres

sions, qui ne s'effacent pas. Comme ses conseils ont fait une révolution dans notre esprit, ils deviennent une époque dans notre vie. Lorsque nous avons perdu ses secours et ses bienfaits, nous nous en ressaisissons, par nos souvenirs. Ses entretiens, ses lettres, tous les signes de sa bonté, de son estime, nous sont toujours présens. Il reste pour nous un juge, un guide, un consolateur; nous lui reportons nos honneurs; nous nous plaignons à lui des injustices qui nous affligent; notre vie, toute entière, sera consacrée à l'honorer et à le faire honorer. M. Thomas a mérité que je me serve ici de son exemple, pour appeler encore davantage les hommes du premier ordre, dans tous les genres, à une vertu si utile.

De tous ceux à qui il a prodigué et ses conseils et ses bontés, je serai peut-être celui qui leur ferai le moins d'honneur, qui répondrai le moins à ses espérances; mais je n'en serai pas tout-à-fait indigne, par la reconnaissance que j'en garderai. J'ai voulu lui offrir, au nom de tous ceux qui en ont reçu les mêmes services, un hommage, par

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