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pour ces grandes vengeances. Dans plusieurs endroits de son livre, il ose se rendre à luimême une belle justice. On sent, particulièrement, que c'est lui qu'il peint dans le portrait du philosophe, dont il oppose la tendre popularité à la dédaigneuse insensibilité du riche. Je vais, Clitiphon, à votre porte, etc. » Celui qui osait donner de lui-même cette image, devait être sûr de ne la voir jamais démentie.

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FONTENELLE.

Né à l'époque du plus grand développement des arts, Fontenelle n'eut rien de commun avec tous ces grands hommes, au milieu desquels s'écoula une moitié de sa vie. Mort dans la plus grande effervescence du siècle philosophique, il parut présider à une révolution, où il fut encore surpassé par ses successeurs.

la

Cependant on revient tous les jours à une plus haute estime pour lui; on aperçoit, de plus en plus, combien on doit de reconnaissance et d'admiration à cet écrivain, que nature avait doué de l'esprit le plus net et le plus fin qui fut jamais; qui n'était pas né, sans doute, pour dominer dans les arts; mais pour y porter des idées justes et neuves; n'était pas né, non plus, pour créer dans les sciences; mais pour les étendre par la pénétration de ses vues, et les orner de la lumière de ses pensées; qui, s'étant fait un style propre à sa manière de voir et de sen

tir, dissimule l'absence des qualités qui lui manquent; et fait briller davantage l'excellence de celles qui lui appartiennent; regagne, par la surprise qu'il excite, ce qu'il ne peut obtenir de l'enthousiasme; qui, n'étant que le premier des hommes d'esprit; mais placé dans un temps, et ayant à la fin adopté des sujets, où l'esprit trouve un heureux emploi, a laissé tous les autres bien loin de lui; pour prendre son rang parmi les philosophes les plus utiles, et parmi les écrivains originaux. Pour le bien apprécier, il faut le lire dans la maturité de l'âge et de l'esprit.

Le plus beau titre de gloire de Fontenelle, est son Histoire des Sciences et ses Éloges des Savans. Je ne puis écrire sur ces ouvrages, après les beaux morceaux de Thomas, dans l'Essai sur les Éloges; et de M. Garat, dans son Éloge de Fontenelle, couronné à l'Académie française, un des écrits éminens dans ce genre. La gloire se partage entre les deuxécrivains il me semble que le tableau des sciences est plus beau, dans M. Garat; que l'appréciation du style de Fontenelle est meilleure, dans Thomas.

:

Je me bornerai ici à parcourir de moin

dres productions de cet auteur; qu'il faut critiquer encore, parce qu'elles peuvent séduire par leurs défauts mêmes.

J'ai essayé, plusieurs fois, de lire ses Opéras. J'avoue que ne portant d'autre intérêt dans cet examen, que mon plaisir ; et ne le trouvant jamais, je n'ai point achevé.

Je n'aurai pas la même indifférence pour ses Églogues. Plusieurs me paraissent avoir un fond très-piquant et de très-heureux détails. Mais comment se passer, dans ces sujets, de l'imagination et de la sensibilité, qu'on n'y trouve jamais? Il faut pourtant que l'esprit ait bien des ressources, puisque Fontenelle approche, quelquefois, de la manière des vrais poëtes :

Elle m'eût, en partant, dit quelques mots tout bas,
Avec sa douce voix et son doux embarras.

Voilà de la grâce de La Fontaine. Il peint ainsi l'impatience amoureuse d'un berger:

Quel siècle jusqu'au soir! Il mesure des yeux
Le tour que le soleil doit faire dans les cieux ;
Il faut que sur ces monts ce grand astre renaisse,
S'élève lentement, et lentement s'abaisse.

Voilà la poésie passionnée de Virgile.

Loin de justifier l'espèce d'estime, que quelques personnes conservent encore aux Dialogues des Morts, je crois qu'il importe de la détruire. Quel mérite peut-on trouver à un livre, qui ne reproduit les grands personnages et les grands événemens, que pour les dégrader; ne les rapproche que par les rapports les plus forcés, les plus choquans; et ne tire de ces rapprochemens que les résultats les plus frivoles? Un livre, dont le plan est tout dramatique; et où les caractères les plus imposans et les plus variés, ont perdu toute majesté, et paraissent jetés dans le même moule? où l'auteur, ne pouvant s'élever à leur ton, les ravale au-dessous du sien même; car, ici, l'esprit de Fontenelle n'a rien de bien distingué : on n'y rencontré jamais de ces choses si habilement aperçues, si heureusement exprimées; tout s'y réduit à ce qu'on apppelle du bel esprit; qui n'est, dans un tel sujet, qu'un vice de plus?

S'il y avait quelque chose à louer dans cet ouvrage, ce ne serait pas les dialogues, mais le jugement de Pluton. Fontenelle seul, peut-être, était capable de se charger d'écrire lui-même tous les reproches, qu'il es

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