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THRASÉAS.

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Ce portrait a été écrit en 1782, retouché en 1816.

La fortune entre dans toutes les gloires, et même dans celle des vertus. Elle peut placer les grands hommes dans des siècles, tellement avilis, qu'ils ne puissent ni rien opérer, ni rien entreprendre. Que pouvait, sous le règne d'un Néron, un dernier républicain, un digne stoïcien, l'intrépide Thraséas? Quelles ressources avec un peuple, qui regretta un empereur histrion et parricide; et avec un sénat, qui ne savait se défendre des attentats à venir, que par la consécration des crimes récens! Ne pouvant rendre des vertus à sa patrie, il ne pouvait que la délivrer; et je ne vois à lui demander que cette conspiration, dont Pison n'était pas digne. Il fallait détrôner le tyran, étouffer le monstre, et prendre sa place. Mais la vertu n'aime pas à se couvrir des apparences

de l'ambition; elle brave les tyrans, plus souvent qu'elle ne les punit.

Dans ces temps d'horreurs et de bassesses, on reconnaît l'homme de bien à une vie pure et retirée; à un maintien sévère et triste; on voit qu'il porte dans son cœur un cruel tourment, celui de n'avoir d'autre emploi pour son courage, que de conserver son honneur.

Il épuise sa patience à endurer la dégradation publique. Mais s'il voit un sénat dresser des félicitations, remercier les dieux pour un prince, qui vient de tuer sa mère; il sort, affrontant le monstre ; et s'échappant d'une telle infamie; et tandis qu'un délateur qui, cette fois, ne mentait pas, lui reproche, pour tout crime, d'avoir l'âme de Caton; il entend ses amis délibérer, s'il lui convient de se montrer à ses juges sous les vêtemens d'un accusé; de parler avec l'autorité de la vertu, avec la liberté d'un mourant; ou bien, s'il doit prévenir sa condamnation par une mort volontaire; pour laisser douter de ce qu'eût fait le sénat, s'il eût entendu la voix de Thraséas, et

contemplé, à son extrême moment, cet auguste visage.

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Néron, impatient de vengeance, lui laissa pas le temps de prononcer sur cette question, qui reste encore indécise.

PARALLELE

DU

STOICISME ET DE LA CHEVALERIE,

CONSIDÉRÉS COMME PRINCIPES DE MOEURS ET COULEURS DES CARACTÈRES, DANS DEUX Époques de l'histoire.

Ce morceau a été écrit en 1782, retouché et augmenté en 1816.

LE STOICISME.

LORSQUE la politique, dans la Grèce, perdait l'art et les moyens de conserver des constitutions libres, la philosophie entreprit sur les hommes, ce que la politique ne savait plus faire sur les peuples.

Parmi toutes ces sectes, que le développement des premières lumières et le fanatisme des systèmes et des disputes, avaient si fort multipliées à Athènes, il en est une,

qui fut le triomphe de l'austérité morale. Quels étaient donc les principes par lesquels elle dirigeait les hommes extraordinaires, dont elle s'honore? J'écoute et je frémis:

<< De quoi te plains - tu, disait - elle à » l'homme? Pourquoi livres-tu cette portion » de la divinité, qui t'anime, à tant de pro>> fanes objets? Pourquoi ouvres-tu ton âme >> à ce que tu appelles le plaisir et la douleur? » L'ébranlement du monde peut t'écraser; >> mais il n'a pas le droit de t'émouvoir. Fais, >> comme il convient, les choses qui sont en >> ta puissance; soumets-toi, sans réserve, » sans regret, à celle que tu ne peux empê>> cher. Sache vouloir toutes choses, comme >> elles arrivent; et tu seras parfaitement, >> heureux. Ne te plains donc plus ; car ton » bonheur ne dépend que de ta volonté. » Ainsi le portrait de son sage était une sorte de défi, proposé à la nature humaine.

En outrant tout dans ses principes, elle semblait ne devoir réussir à rien. Mais elle avait pour la conduite de l'homme des maximes aussi pures que sublimes. Écoutons encore ce qu'elle lui prescrivait :

« Ce n'est pas pour toi seul que tu dois

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