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Ce Portrait a été écrit en 1782, retouché en 1816.

DANS ces temps où les peuples n'avaient

pas encore assez confondu leurs idées et leurs mœurs, pour qu'on n'en pût séparer un par des institutions toutes particulières, et par une révolution soudaine; il s'est rencontré un de ces hommes extraordinaires, dont les desseins étonnent encore plus, par leur succès même. Il avait porté ses premières pensées de pays en pays, pour les comparer à toutes les législations que l'on connaissait alors ; et il en était revenu, chargé d'une profonde tristesse sur le sort qu'elles

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faisaient au genre humain. Il se promit d'en préparer un différent à sa patrie; et il s'exila, pendant plusieurs années, dans cette méditation. Enfin, il sortit de sa retraite ; il forma un parti, et il parut en armes, dans le lieu des assemblées publiques.

« Citoyens, dit-il aux Spartiates, je m'y >> prends pour fonder des lois, comme d'au<< tres s'y sont pris pour les renverser. Mais >> ces armes ne peuvent commander que l'at>>tention que vous me devez; les choses >> que vous allez entendre vont vous causer » une bien autre frayeur. Réprimez-la ; vous >> tournerez ensuite ces armes contre moi, » si j'ai plus espéré de vous, que vous ne >> sauriez accomplir.

>> J'ai voulu que vous fussiez le peuple » le plus libre de la terre; et, pour cela, » j'ai conçu que vous deviez être le peuple » le plus soumis aux lois.

» J'ai voulu que vous fussiez le plus heu» reux. Mais tout le bonheur de l'homme >> est dans l'emploi de son courage. Vivez >> donc dans un exercice continuel de tra>> vaux et de périls; et ne soyez ni des >> riches, ni des pauvres ; mais des hommes

» qui n'aient rien à perdre, rien à conser» ver, que leur force et leur vertu.

>> Je vous destine à des choses sublimes; » et vous ne feriez rien de grand, sans les passions. Cependant, si je vous en accordais >> plusieurs, elles se combattraient et vous » déchireraient. Vous n'en aurez qu'une ; » mais la plus généreuse de toutes, l'amour » de la patrie et des lois.

» Citoyens, mes institutions ne peuvent >> avoir rien de commun avec celles que l'on » a tracées sur des tables, chez les autres

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peuples; elles ne peuvent être gravées que » dans des coeurs fidèles. Elles ne seront >> rien, si elles ne deviennent des mœurs.

>> Des héros ont sauvé leur pays par des >> victoires pour moi, je voudrais sauver >> le mien par les lois. Quelque chose d'im

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périeux dans mon âme, me dit que celles» ci sont bonnes, et qu'elles vous convien» nent; il me semble que ce sont les dieux >> eux-mêmes qui me les ont inspirées; je » les en remercie devant vous; et je les » conjure de vous accorder de les aimer: >> puissiez-vous les aimer, tant que l'Eurotas, » qui coule ici sous notre vue, descendra

» des moutagnes et baignera nos rivages! »

Il expliqua ensuite ces institutions, auxquelles on n'a rien à comparer; et on eut le courage de les accepter. Il en dirigea l'établissement, de sa main douce et ferme; car cette inflexible austérité n'était que dans ses principes et ses vues; tout était modération et bonté dans son âme. Voyant que ses lois commençaient à s'affermir, il demanda d'aller consulter sur elles Apollon, au temple de Delphes; et il obtint un serment général qu'elles seraient inviolablement observées, jusques à son retour. Il envoya un oracle favorable; mais il ne reparut plus; et il abrégea sa vie; heureux de sceller par sa mort la durée de sa législa tion! Jamais on n'avait plus ressemblé à ces demi-dieux, de qui les hommes croyaient tenir ces premières découvertes, qui furent les fondemens de la société.

Pourquoi faut-il que la plus puissante des législations, n'en fût pas la meilleure? Tout s'y rapportait à la guerre ; à la guerre, sans les conquêtes. Aussi la dureté, l'oisiveté, l'orgueil farouche du soldat, se mêlaient, à Sparte, à la frugalité, à la modération, à

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