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faire un échange de bénédictions et de bienfaits tous ces principes de générosité resteront stériles; des causes contraires leur résistent et agissent plus puissamment.

La philosophie a tout pesé, tout apprécié, tout remis à sa place; elle a dit ce qui est juste, ce qui est bon, ce qui est beau; mais peu d'hommes ont compris ses leçons; et un bien plus petit nombre encore les a adoptées. La plupart voient les vices de la société, avec cette superstition, qu'on a pour les choses anciennes; et souvent ces hommes trouvent leur bien propre, dans les abus. Voulez-vous qu'ils s'accusent, qu'ils se réforment eux-mêmes? Quelquefois cependant ils approuveront ce qu'elle enseigne; mais comme des points de doctrine, et non comme des objets de pratique. Tel homme qui s'enthousiasme au théâtre pour une vertu antique, la défendrait à son fils, comme la plus haute extravagance. Eh! qui oserait acheter une vertu, par un ridicule? On n'a plus ce courage-là. D'ailleurs la philosophie réforme si peu les mœurs du siècle; et les mœurs mêmes des philosophes sont souvent si loin de leurs maximes, qu'on ne se figure pas

qu'ils nous les proposent sérieusement. La philosophie fera cependant une révolution sensible, dans les choses où le goût du siècle la secondera. Elle décréditera les guerres, parce que les guerres fatiguent la mollesse des mœurs. Elle dissipera les animosités religieuses, parce qu'elles portent du trouble dans le commerce de la vie; et qu'elles lui ôtent des agrémens. Elle étendra la culture et le goût des sciences et des arts, parce qu'ils servent quelquefois à la fortune; et qu'au moins ils embellissent la société. Les arts, qui reçoivent une partie de leur gloire des objets auxquels ils se sont consacrés, ramperont autour de l'opulence; et dégraderont des chefs-d'oeuvre par l'adulation. Les besoins de bienséance sont devenus si nombreux, qu'ils absorbent les fortunes médiocres; ceux du luxe épuiseraient les fortunes les plus considérables: malheur à l'homme, qui s'est asservi au train et au ton des gens de sa condition et de sa fortune! il ne se trouvera jamais en état de rendre un service, tant soit peu important. On craint de tomber dans les privations et les humiliations de la pauvreté; on ne veut pas non

plus risquer de perdre des protections utiles, des liaisons flatteuses; et on porte cette crainte, jusqu'à la pusillanimité. Les sociétés riches et puissantes promettent des plaisirs de tous côtés; et on s'est fait une habitude de les épuiser tous. Cependant, pour faire des actions généreuses, il faudrait sayoir au moins renoncer à quelques plaisirs. On apprend tous les jours à s'estimer moins les uns les autres; et on se reproche souvent un service rendu, comme une duperie. A force de lumières, d'esprit et de philosophie, on se détrompe sur la gloire, comme sur les hommes. Le despotisme, qui veille toujours, et qui a son art, comme ses violences, profite de cet état des choses et des esprits; il se déguise et s'adoucit, pour mieux s'affermir; et c'est toujours un moindre mal. On veut de la magnificence; il la prodigue. Les riches veulent jouir et briller, il s'environne de leur éclat, et il protége leurs jouissances; les pauvres ne peuvent songer qu'à leurs besoins; il les contient par leurs besoins mêmes; on consent bien à être esclave, mais on ne veut pas le paraître; il s'impose des formes, il s'enchaîne, en apparence, par des

lois; mais ces formes et ces lois sont des précautions et des moyens pour lui-même. On ne veut pas perdre l'enchantement des arts, ni renoncer tout-à-fait à la gloire; il permet les talens et les vertus, dont il n'a rien à craindre.

Alors plus de patriotisme; plus de générosité nationale; plus de grandes actions. Cependant il y a dans les mœurs une certaine douceur; et je ne sais quelle heureuse faiblesse, qui rend incapable des grandes oppressions; qui fait qu'on accorde, sans bonté; qu'on soulage, sans commisération; qu'on n'est pas dur, jusqu'à la barbarie. Une sorte de sentiment du beau et du grand, que les sciences et les arts entretiennent, sauve d'une dégradation totale; inspire quelques grandes choses; laisse des ressources à un administrateur habile; et promet au moins de la reconnaissance et de l'enthousiasme pour les hommes, qui s'élèveront par la vertu ou par le génie.

Telles sont les mœurs générales, à cette époque; mais aucun siècle n'exclut les sentimens élevés et les belles actions.

PORTRAITS

HISTORIQUES.

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