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mais telle était la supériorité de ses talens militaires, que le gouvernement directorial, à peine établi, le reconnut capable du commandement le plus difficile : la suite démontra qu'il avait bien jugé.

Il n'est pas facile de déterminer positivement quel fut le plan général d'opérations dans cette campagne : il faudrait pour cela avoir à sa disposition les archives les plus secrètes des différens ministères; mais il est possible d'en juger par les entreprises même qui furent formées.

On a prétendu que l'armée de Sambre et Meuse devait marcher de Dusseldorf sur Ratisbonne et Straubing, pour se réunir sur l'Inn avec celle de Moreau. Cette masse de forces se serait ensuite liée par les montagnes de Salzbourg avec l'armée d'Italie, qui devait marcher par le Piémont, le Milanais, les Etats de Venise jusques sur la Carinthie.

Si ce projet a existé, il était gigantesque et hors de proportion avec les moyens que l'on donnait à l'armée d'Italie, qui avait la partie la plus difficile de cette opération. L'exécution ne fut pas moins fautive, on manqua à tous les principes en formant deux armées en Allemagne sur une même frontière, car le moindre revers essuyé par une de ces parties isolées, devait nécessairement renverser tout l'ensemble, qui seul peut assurer le succès de pareilles entre

prises. La réussite d'un projet si vaste eût été possible si on y avait appliqué le principe de porter la plus forte masse au point décisif. Puisque la conformation des frontières était telle, qu'il fallait une ligne d'opérations secondaire, soit en Allemagne, soit en Italie, il fallait porter cent trente mille hommes, en une seule armée, sur Ulm et Munich, où l'on avait le plus d'avantages à frapper des coups importans, comme les dernières campagnes l'ont démontré (1800, 1805, 1809). L'armée d'Italie aurait dû alors être renforcée jusqu'à cent mille combattans qui, sous la conduite d'un général aussi entreprenant que Bonaparte, eussent aisément rempli le but qu'on se serait proposé en les portant jusques sur Vienne par les Alpes Noriques; ces forces eussent suffi en même temps pour garder et occuper le nord de l'Italie.

Quelque soit, au reste, le dégré de croyance que l'on puisse accorder à la réalité de ce projet, qui n'est pas sans vraisemblance, nous allons voir par le récit des événemens, combien son exécution fut loin du résultat qu'on se promettait, surtout pour ce qui concerne les armées d'Allemagne.

Les Autrichiens, de leur côté, encouragés par les succès de Clairfayt dans la campagne de 1795, et ne pouvant pas encore prévoir les coups dé

cisifs qu'un général, jusqu'alors inconnu, allait leur porter en Italie, avaient résolu de poursuivre leurs avantages au-delà du Rhin, en y dirigeant leurs plus grands efforts. Les deux armées qu'ils y avaient rassemblées ne comptaient pas moins de cent quatre-vingt mille hommes, en y comprenant les émigrés et les contingens de Saxe, de Souabe et de Bavière. Le corps du Haut-Rhin, aux ordres de Wurmser, parut destiné à envahir l'Alsace, sa ligne s'étendait depuis Manheim jusques vers Bâle. Celui du BasRhin était aux ordres directs de l'archiduc Charles, le gros de ses forces tenait vers Mayence, la ligne de la Nahe, sa droite couvrait le Rhin depuis Dusseldorf jusqu'au Mayn: cette armée devait seconder les opérations de la première en se portant sur la Moselle. Ces projets offensifs furent bientôt renversés par les victoires de l'armée d'Italie, qui engagèrent le conseil de guerre de Vienne à faire partir trente mille hommes de l'armée du Rhin au secours de ce pays, et à donner à l'archiduc Charles l'ordre de se tenir sur la défensive, quoiqu'il lui restât des forces assez imposantes pour suivre son premier plan. Les Autrichiens attendirent donc sur une ligne étendue, les coups qu'on voudrait leur porter, et ils ne tardèrent pas à ressentir les effets de cette faute.

Opérations de l'armée d'Italie (1).

LES victoires des armées impériales sur le Rhin, à la fin de février 1795, avaient permis à l'Autriche d'employer tous ses moyens pour réparer les désastres qui avaient terminé la même campagne en Italie par la bataille de Loano. Le général Dewins avait été remplacé par Beaulieu. Ce dernier, connu par de nombreuses preuves de courage, avait atteint sa soixante-quinzième année; et on pensait que sa grande expérience suppléerait à ce que l'âge devait lui enlever de vigueur morale et d'activité. Son armée était d'environ 34 à 35 mille hommes. Ces troupes étaient formées en 32 bataillons et 28 escadrons, avec 124 canons de campagne et 16 obusiers.

Outre cela Beaulieu avait sous lui le général Colli, commandant un corps d'environ 22 mille Sardes et Autrichiens auxiliaires, Le reste de l'armée piémontaise, fort de 20 à 25 mille hommes, te

(1) Je suis fâché de ne pouvoir donner sur les opérations de cette armée, les mêmes détails que sur celles des armées du Rhin, mais les matériaux m'ont manqué. Les marches ont été si rapides, que l'historique des divisions n'a pas toujours été bien soigné. Outre cela, les renseignemens locaux que j'avais recueillis, ont été perdus avec mes papiers au passage de la Bérésina.

nait garnison dans les nombreuses places, et observait les passages des Alpes qui conduisent dans la Savoie et dans le Dauphiné. Cette armée, aux ordres du prince de Carignan, dispersée ainsi en postes défensifs depuis le Col de Tende jusqu'au Mont Saint-Bernard, faisait face à la petite armée des Alpes commandée par Kellermann; enfin une réserve de 9 bataillons autrichiens se formait dans les états de Carinthie.

Le projet des alliés était de reprendre l'offensive, et ils comptaient le faire avec d'autant plus de succès, qu'un corps d'armée napolitain qui devait les joindre s'assemblait sur la frontière, et même qu'une avant-garde de cavalerie de cette nation était déjà en marche pour se porter sur le Pô. Les petits princes d'Italie, notamment le Pape et les ducs de Modène et de Parme, devaient aussi fournir ou solder des contingens. Non contens de ces préparatifs, les coalisés employaient tous les moyens pour exciter les peuples à une guerre acharnée contre la nation française, et leurs efforts n'étaient pas toujours vains.

Le grand-duc de Toscane, déjà retiré depuis un an de la coalition, cherchait ainsi que les républiques de Gênes et de Venise, à observer une neutralité aussi stricte que leur position maritime et l'influence des Anglais pouvaient le permettre. Gênes surtout se trouvait dans la

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