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Wukassowich avait dû se mettre en marche pour se réunir aux quatre bataillons campés à Sassello, et venir ensuite se lier à la gauche d'Argenteau, par Ponte-Ivrea. Conformément à cet ordre, le Général autrichien avait accéléré son mouvement autant que la nature du pays le permettait. Mais, comme cela arrive ordinairement lorsqu'il s'agit de réunir les parties isolées d'une ligne morcelée et rompue, il se dirigeait sur un point déjà occupé par l'ennemi. Au lieu de rencontrer à Dégo le corps d'Argenteau qu'il devait renfor

il trouva cette position garnie de troupes françaises. La situation de Wukassowich était embarrassante, cependant il prit son parti en brave, et attaqua sur-le-champ la division Laharpe qui, s'étant avancée à la poursuite d'Argenteau, sur la route de Spigno, ne comptait guères être assaillie du côté de Sassello. Elle prenait avec sécurité le repos que sa victoire de la veille semblait lui assurer, lorsque la colonne autrichienne se jeta avec impétuosité sur ses postes et les culbuta. Favorisé par cette surprise, le Général autrichien parvint à s'emparer de Dégo; mais l'alarme ayant été donnée dans le camp de la division Masséna et au quartier-général de Bonaparte, toutes les troupes prirent les armes et coururent au combat. Les Inpériaux tinrent ferme; Masséna fit engager ses régimens à mesure qu'ils arrivaient; ses premiers efforts

furent repoussés, cependant le général Causse en avait profité pour rallier la 99e demi-brigade, et il la conduisait à la charge, lorsqu'il tomba blessé à mort. Dans le même instant le Général en chef arrivait sur le terrain, il fit aussitôt former en colonne, la 89e commandée par le général Victor, et la fit soutenir par la Se légère que l'adjudant-général Lanusse venait de rallier, et qu'il conduisit sur le flanc gauche de l'ennemi. Par ce mouvement combiné et vigoureux, Dégo fut enlevé; le corps autrichien, mis en déroute, fut atteint par la cavalerie, il se sauva à Acqui après avoir perdu plus de quinze cents hommes tués, blessés ou prisonniers.

Pendant que Masséna et Laharpe culbutaient ainsi Wukassowich engagé isolément, et qu'Augereau délogeait les Sardes de la position avantageuse de Monte-Zèmolo, le général Rusca s'était emparé des hauteurs de San Giovani, au-dessus de Murialto, dominant les vallées de la Bormida et du Tanaro; il établit ainsi une communication intermédiaire avec la réserve aux ordres du général Serrurier, laquelle commençait à prendre part aux opérations, en s'avançant sur Ba gnasco, Batifolo et Nocetto, afin d'être en me sure de se lier à la gauche d'Augereau.

Telles furent les combinaisons qui signalèrent les premiers pas de Bonaparte dans la carrière des armes; elles mirent l'armée française en

possession de toutes les hauteurs dominantes et centrales de l'Apennin, isolèrent pour toujours les deux armées ennemies, et devaient promettre de plus grands succès encore. Outre cet avantage immense, les résultats de cette victoire furent la prise de 40 pièces de canon, et une perte, pour l'armée ennemie, d'environ 10 à 12 mille hommes hors de combat.

Cette bataille de six jours, livrée sur dix points différens, mais toujours par une même masse principale, à des parties morcelées, fut plutôt une série de combats qu'une bataille rangée; elle a donné lieu à des raisonnemens ou à des systêmes également faux: on a prétendu que Bonaparte, embrassant un vaste champ de bataille avec des divisions isolées, les faisait combattre par des mouvemens coïncidens, et avait ainsi étendu l'échelle des combinaisons. Il est néanmoins facile de voir, par l'exposé rapide que nous venons d'en donner, que c'est par un système opposé que Bonaparte a triomphé tant de fois ; qu'il a constamment rassemblé ses plus grosses masses dans des positions resserrées et pour frapper les grands coups; sans doute il les a ensuite étendues, mais c'était toujours dans une position centrale et afin de séparer de plus en plus les corps ennemis déjà vaincus. Ces engagemens multipliés furent le résultat du morcellement des alliés, de la position de leurs corps, et de la nature

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montagneuse du pays. Il fallait bien aller chercher ces corps où ils étaient, et il eût été bien difficile de livrer une bataille générale comme celle de Iéna ou de Wagram, à une armée qui couvrait par divisions toutes les crêtes de l'Apennin, et n'avait pas dix mille hommes réunis sur un même point.

Le succès des combats de Millésimo, Montenotte et Dégo, et les pertes que l'armée autrichienne avait essuyées, faisaient assez présumer qu'elle ne reprendrait pas de sitôt l'offensive, et qu'au contraire elle s'estimerait trop heureuse d'avoir le temps de revenir de sa stupeur, et de prendre un peu de repos dans son camp. d'Acqui.

Bonaparte jugea en conséquence qu'il était important de se rabattre sur sa gauche pour se débarrasser de l'armée sarde, dont la présence au camp de Ceva ne laissait pas d'inquiéter ses communications avec la rivière de Gênes. Devancé par la terreur qu'inspiraient ses succès rapides, armé des foudres républicaines, désormais plus redoutables en ses mains que celles du Vatican ne le furent jadis, le Général français pouvait espérer, en dirigeant ses forces sur les Piémontais, de porter un coup terrible à la cour de Turin, et, en l'effrayant jusque dans sa capi-.

tale, de la déterminer à quitter la cause des coalisés; alors l'armée de Beaulieu déja défaite et ainsi abandonnée à ses seules forces, devait se trouver hors d'état de défendre l'Italie. La conquête de cette contrée florissante dépendait donc du premier succès contre les troupes sardes, et le Général en chef résolut de diriger sur elles la majeure partie de son armée.

Conformément à ce plan, la division Augereau quitta, sans perdre une minute, les hauteurs de Monte-Zemolo (16 avril), et descendit sur Céva où elle opéra sa jonction avec la division Serrurier et la brigade Rusca. Le quartiergénéral fut transporté à Salicetto; la division Masséna vint prendre position vers Mont-Barcaro; celle de Laharpe resta à San-Benedetto, entre le Belbo et la Bormida, pour observer l'armée autrichienne.

Le projet de Bonaparte était de faire attaquer de front le camp de Céva et la position de Pedagéra par les divisions Serrurier et Augereau, et de les faire tourner et investir par Masséna qui aurait passé le Tanaro entre Céva et Castellino. Le général Colli, dont les postes avaient été reployés, tint avec assez de fermeté les redoutes extérieures qui couvraient son camp et qui étaient défendues par 7 à 8 mille hommes. Les brigades Joubert et Beyrand les attaquèrent à plusieurs reprises, avec leur vigueur accoutumée, sans

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