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MARÉCHAL JOFFRE1

(19 décembre 1918)

SUCCESSEUR DE JULES CLARETIE

Hommage à l'armée de la France.

Je me souviens des mois et des semaines qui précédèrent la guerre, alors que déjà elle apparaissait comme inévitable.

La France s'y préparait avec résolution et méthode. Grâce à la loi de trois ans, elle pouvait masser à la frontière une couverture suffisante. Elle formait ses grands états-majors d'armée qui, au début de la guerre, devaient contribuer

à la sauver.

Je ne puis me rappeler sans une profonde émotion les journées qui précédèrent et suivirent celle où fut signé l'ordre de mobilisation. A ces heures tragiques, je sentis naître dans l'armée, qui venait se ranger sous mes ordres, cette résolution, ce renoncement, cette confiance qui proclament la justice de la cause et rendent les armées invincibles.

Ce peuple amoureux de liberté acceptait avec fermeté la dure servitude de la guerre, parce qu'il avait conscience d'avoir voulu sincèrement la paix, et qu'un sûr instinct lui dévoilait la grandeur de la tâche qu'il devait accomplir : faire

1. Généralissime de l'armée française. Illustre par la victoire de la Marne.

la guerre, non seulement pour que la France demeure grande et belle, mais aussi pour que les peuples vivent libres, pour que l'honnêteté et la loyauté des faibles soient défendues contre la méchanceté et la félonie des forts.

Et comme si l'Allemagne voulait, du premier jour, confirmer cette croyance, elle prenait traîtreusement à la gorge la Belgique, petite par son territoire, grande par sa vaillance et sa loyauté, la Belgique qui, meurtrie, salie, brûlée, piétinée, après trois mois d'un long martyre, trouvait, sous l'impulsion courageuse de son roi, la force de contribuer à arrêter sur l'Yser la ruée désespérée de son formidable adversaire.

Durant ces trois mois, que de gloire avait amassé pour la France notre héroïque armée!

Vous avez voulu l'honorer en m'appelant à prendre place dans votre Compagnie. Laissezmoi vous dire à qui doit aller votre reconnais

sance.

A ces chefs résolus et calmes qui, toujours, dans les moments les plus tragiques, gardèrent intacte leur foi dans la victoire de nos armes, illustrant victorieusement la règle la plus vraie de tout l'art militaire, qui veut qu'un général soit battu alors seulement qu'il se croit battu.

Parmi eux, qu'il me soit permis de citer du moins celui que vous avez déjà distingué en l'appelant à siéger parmi vous, le maréchal Foch, dont l'énergie indomptable et la haute science militaire ont exercé la plus heureuse influence partout où il a commandé.

A notre corps d'état-major, qui fut notre

force au début de la guerre, et qui l'est demeuré malgré les pertes cruelles qui ont éclairci ses rangs. Je tiens à rendre ici un hommage solennel à ses mérites, à sa probité, à sa conscience, à son savoir.

Au cours des premières semaines de la guerre, jamais nous n'aurions pu faire ce que nous avons fait, siles grands états-majors d'armée n'étaient demeurés comme des rocs dans la tempête, répandant autour d'eux la clarté et le sang-froid. Ils entouraient leurs chefs, sur qui pesaient les responsabilités les plus lourdes, d'une atmosphère de confiance saine et jeune qui les soutenait et les aidait. Ils gardaient, dans le labeur le plus épuisant, au cours d'une épreuve morale terrible, une lucidité de jugement, une facilité d'adaptation, une habileté d'exécution d'où devait sortir la victoire.

De tous ces états-majors, le plus cher à mon cœur est ce grand quartier général où j'ai vécu les heures les plus angoissantes de ma vie, dans le calme que donne au chef la certitude d'être entouré d'hommes dévoués et instruits, qui placent au-dessus de tout le bien de leur pays. Ces hommes qui, se dégageant de toute autre considération, ont assumé la tâche la plus difficile, ont bien mérité de la France.

Mais, qu'eussent pu faire ces généraux et ces états-majors en face d'un ennemi redoutable, disposant de moyens supérieurs, s'ils n'avaient commandé aux plus magnifiques soldats du monde? Pour louer ces soldats, les mots sont impuissants, et seul mon cœur, s'il pouvait lais

ser déborder l'admiration dont il est pénétré pour eux, traduirait l'émotion que j'éprouve en en parlant. Je les ai vus, couverts de poussière et de boue, par tous les temps et dans tous les secteurs, dans les neiges des Vosges, dans les boues de l'Artois, dans les marécages des Flandres, toujours égaux à eux-mêmes, bons et accueillants, affectueux et gais, supportant les privations et les fatigues avec bonne humeur, faisant sans hésitation et toujours simplement le sacrifice de leur vie. Dans les yeux de ceux qui rentraient du combat comme dans les yeux de ceux qui y montaient, j'ai vu toujours le même mépris du danger, l'ignorance de la peur, la bravoure native qui donne à leurs actes d'héroisme tant de naturel et de beauté; et toujours aussi, dans des milliers et des milliers de regards francs et anonymes, j'ai lu cette foi instinctive dans les destinées de la France, cet amour et ce respect de la vérité, de la justice, cette honnêteté apportée dans l'accomplissement du devoir journalier, qui sont la force et la discipline de notre armée, et qui n'appartiennent qu'à elle. C'est pour cela que nos soldats sont les premiers du monde, et qu'on ne peut les voir sans les admirer, les regarder sans leur sourire, les commander sans les aimer.

Ils ont sauvé notre pays, ils nous ont acquis l'admiration du monde entier. Nous pouvons être fiers de voir toutes les nations généreuses qui se sont battues à nos côtés célébrer à l'envi le courage intelligent, la fermeté tranquille, la mâle résolution de la France.

Hommage aux États-Unis.

La France, gardienne de la liberté.

Cependant, il me semble que tant d'héroïsme et tant de résolution n'eussent pas suffi, si les peuples alliés n'avaient été d'abord attirés au combat, réunis pour la bataille, puis soutenus au cours de la lutte par les idées généreuses de liberté et de justice qui ont inspiré leur décision et qui guident leurs actes.

N'est-ce pas dans la conviction qu'elles se battaient pour le droit, que les nations alliées ont puisé l'ardeur du sacrifice et trouvé la certitude de la victoire finale?

La puissance de sentiments si nobles a été évoquée, dans des termes qui sont présents à vos mémoires, par le grand président Wilson, en même temps qu'elle lui inspirait le geste le plus généreux.

Ce n'est pas sans une émotion profonde que je me reporte au temps que j'ai passé l'année dernière aux Etats-Unis. Ce peuple, qui sentait obscurément la force immense dont il disposait, mais qui ne savait pas encore comment l'employer, la laissait alors deviner par la violence de son affection pour la France. Il lui semblait qu'à force d'amour, il ferait sans tarder quelque chose de grand et de réconfortant pour le soulagement des armées alliées. Il ne se trompait pas, puisque cet amour devait permettre à la France, accablée la défection des armées russes et par les dures épreuves du printemps de 1917, de garder intactes sa confiance et sa vaillance.

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