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classiques aux autres communautés matrimoniales.

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Ce n'est pas seulement parce que la bonne harmonie, dans la vie conjugale, comme dans la vie sociale, est favorisée entre les êtres par ce qu'ils ont appris d'analogue, ni même parce que leur entente peut tout à fait dépendre de ce qu'ils savent pareillement, ou croient savoir. C'est aussi parce qu'il me semble y avoir une horlogerie trop fragile, quand ces jeunes intelligences qui assumeront bientôt les devoirs paternel et maternel, on les façonne différemment, et de sorte qu'elles pourront sans doute se combiner, mais non se suppléer dans l'éducation des enfants. Cependant quelque chose, hélas! qui s'appelle le veuvage, est souvent là, pour détraquer les rouages de la famille. Nous avons lu, chez M. Gréard, que l'on relevait, il y a un quart de siècle, le chiffre de cent veufs, en France, pour deux cent cinq veuves. Tout en tenant compte de la question des âges que la mortalité frappe plus naturellement et où la tâche des éducateurs serait terminée, il apparaît que l'homme conserve moins fréquemment que la femme cette responsabilité d'influer, à soi seul, sur le destin de la lignée. En maintenant que le cerveau de la mère doive être de beaucoup le moins éclairé, l'on inflige donc la plus morne extinction de lumière à ce plus grand nombre de foyers qui sont ceux des orphelins de père... Alors, pourquoi ne pas copier une des prévoyances de la nature ?... Elle nous fait venir au monde avec deux bras équivalents, avec deux

poumons et deux yeux semblables, afin qu'en cas d'accident, un seul de ces organes puisse encore faire l'office des deux. Pourquoi n'exercer l'esprit de la mère que comme une main gauche, tandis qu'on perfectionnerait toujours, comme une main droite, les aptitudes du père? Pourquoi ne pas s'évertuer, par la manière d'imprégner les âmes, à ce que la mère soit, au besoin, un second père?

M. DE FREYCINET
(11 janvier 1906)

RÉPONSE A ÉTIENNE LAMY1

L'influence de la France dans le Levant.

Sur le terrain commercial, aussi bien que sur le terrain politique et religieux, nous occupions le premier rang. Dans ces contrées soumises au Turc, chacun ambitionnait l'honneur et le profit de notre protection. De son côté, le Pape avait prescrit aux missionnaires de se placer sous notre patronage. Nous étions devenus les représentants de la chrétienté chez les Musul

mans.

Il n'est que trop vrai, cette partie de notre patrimoine se trouve entamée. D'âpres concurrences s'élèvent autour de nous. Des nations ont grandi, qui nous le disputent en savoir, en 1. Futur secrétaire perpétuel de l'Académie.

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richesse, en activité. Leur culte n'est pas le nôtre; comme nous elles propagent leur langue et leur foi. Elles envoient des missionnaires indépendants de Rome; sur eux le Pape n'a pas d'autorité. Comment résister à cette marée montante? Comment défendre notre ancienne suprématie? Grave problème dont la solution ne se dégage pas encore nettement. Vous apportez les résultats de votre enquête. Frappé des avantages que nous valait jadis la supériorité relative de notre population, vous nous dites avec l'Evangile « Croissez et multipliez. »> Conseil sage, conseil politique; mais le souci de nos intérêts dans le Levant déterminera-t-il les Français à le suivre? Le nombre heureusement n'est pas le seul facteur de la puissance des Etats. Le courage, la constance, la suite dans les desseins, l'union des cœurs suppléent le nombre et parfois le surpassent. L'histoire ne fournit-elle pas des exemples significatifs? Nous sommes une force matérielle, mais nous somines aussi une grande force morale. Nos idées ont souvent remué le monde. Nous résumbrs, à certaines heures, les aspirations de l'humanité. Nous frayons la voie, au prix de nos souffrances et de nos labeurs. Une pareille nation ne déchoit pas, à moins qu'elle ne s'abandonne elle-même. Dirigeons, avec vous, nos regards vers l'Orient, dépôt d'inoubliables traditions; mais ne bornons pas notre horizon à l'antique théâtre des croisades. Les destinées de la France se jouent aujourd'hui partout, en Europe, en Afrique, en Asie et jusque dans l'autre hémisphere. Les

raisons d'influence se modifient et se déplacent; une diminution passagère sur quelque point du globe peut trouver ailleurs d'amples dédommagements. L'empire colonial créé par la République change notre équilibre. C'est notre situation générale qu'il faut envisager, c'est à elle qu'il faut être attentifs, c'est pour elle que nous devons faire trêve à nos divergences et nous rappeler que si, au dedans, il y a des partis, il n'y en a pas au dehors: la France les absorbe et les efface.

ALEXANDRE RIBOT1
(20 décembre 1906)

SUCCESSEUR DU DUC D'AUDIFFRET-PASQUIER

Le rôle glorieux de l'Assemblée nationale
et de Thiers.

Le duc Pasquier fut élu, le premier de la liste qui l'emporta au mois de février 1871, dans le département de l'Orne. Que dire de l'Assemblée qui sortit de ces élections faites sous l'oeil de l'ennemi? On est plus équitable pour elle à mesure que le recul permet de la mieux juger. Ces hommes, que l'Empire avait tenus pour la plupart éloignés des affaires publiques, se sont trouvés tout à coup en présence

1. Homme politique. Ministre, président du Conseil.

d'une tâche effrayante. Il fallait conclure la paix, au prix des plus durs sacrifices, réprimer une terrible insurrection, libérer le territoire, créer de nouvelles ressources, refaire l'armée, rendre au pays confiance dans sa fortune. Remercions-les d'avoir aimé la France comme elle veut être aimée dans son malheur. Soyonsleur reconnaissants d'avoir été des patriotes avant d'être des hommes de parti, d'avoir oublié pour un temps les divisions qui devaient les mettre aux prises sur la forme du gouvernement. S'ils se sont trompés sur les sentiments du pays, s'ils ont cru à tort qu'on pouvait, après tant de révolutions, restaurer la monarchie, ce n'est du moins ni l'éclat du talent qui leur a fait défaut, ni l'aptitude à manier les intérêts du pays, ni le goût d'une administration honnête et sévèrement économe des deniers publics, ni même une certaine hardiesse de vues réformatrices.

M. Thiers, que le pays avait désigné à leur choix, apportait au gouvernement, avec une expérience sans rivale, une autorité grandie par son opposition à l'Empire, par la clairvoyance avec laquelle il avait montré les dangers prochains, par la courageuse résistance qu'il avait faite à la déclaration de guerre. Ce n'est pas assez de dire qu'il était devenu l'arbitre des partis. Il les dominait, parce que tout le monde avait le sentiment que seul, dans la détresse du pays, il pouvait prendre en mains ses destinées et le sauver de l'anarchie. Il semble que la grandeur de ce rôle, réservé à sa vieillesse par les malheurs de la France, ait élargi sa pensée

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