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ple. Celui qui ne saura que cela pourra même affembler par hafard une troupe d'infenfés, mais il ne fondera jamais un empire, et fon extravagant ouvrage périra bientôt avec lui. De vains preftiges forment un lien passager, il n'y a que la fageffe qui le rend durable. La loi Judaïque toujours fubfiftante, celle de l'enfant d'Ifmaël qui depuis dix fiécles régit la moitié du monde, annoncent encore aujourd'hui les grands hommes qui les ont dictées; et tandis que l'orgueilleufe philofophie ou l'aveugle efprit de parti ne voit en enx que d'heureux impofteurs, le vrai politique admire dans leurs inftitutions ce grand et puiffant génie qui préfide aux établiffemens durables.

Il ne faut pas de tout ceci conclure avec Warburton que la politique et la religion aient parmi nous un objet commun, mais que dans l'origine des nations l'une fert. d'inftrument à l'autre.

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CHAPITRE VIII.

Du Peuple.

Comme avant d'élever un grand édi

fice l'architecte obferve et fonde le fol, pour voir s'il en peut foutenir le poids, le fage instituteur ne commence pas par rédiger de bonnes lois en elles-mêmes, mais il examine auparavant fi le peuple auquel il les deftine eft propre à les fupporter. C'eft pour cela que Platon refufa de donner des lois aux Arcadiens et aux Cyréniens, fachant que ces deux Peuples étoient riches et ne pouvoient fouffrir l'égalité: c'eft pour cela qu'on vit en Crete de bonnes lois et de méchans hommes, parce que Minos n'avoit discipliné qu'un peuple chargé de vices.

Mille nations ont brillé fur la terre qui n'auroient jamais pu fouffrir de

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bonnes lois, et celles mêmes qui l'anroient pu n'ont eu dans toute leur durée qu'un temps fort court pour cela. La plupart des peuples ainfi que des hommes ne font dociles que dans leur jeuneffe, ils deviennent incorrigibles en vieilliffant; quand une fois les coutu mes font établies et les préjugés enracinés, c'est une entreprise dangereuse et vaine de vouloir les réformer; le peuple ne peut pas même fouffrir qu'on touche à ses maux pour les détruire, semblable à ces malades stupides et fans courage qui frémissent à l'aspect du médecin.

Ce n'eft pas que, comme quelques maladies bouleverfent la tête des hommes et leur ôtent le fouvenir du passé, il ne fe trouve quelquefois dans la durée des Etats des époques violentes où les révolutions font fur les peuples ce que certaines crifes font fur les individus, où l'horreur du passé tient lieu d'oubli, et où l'Etat, embrafé par les guerres civiles, renait pour ainfi dire de sa cendre

Telle fut

et reprend la vigueur de la jeuneffe en fortant des bras de la mort. Sparte au temps de Lycurgue, telle fut Rome après les Tarquins, e telles ont été parmi nous la Hollande et la Suisse après l'expulfion des tyrans.

Mais ces événemens font rares; ce font des exceptions dont la raifon fe trouve toujours dans la constitution particulière de l'Etat excepté. Elles ne fauroient même avoir lieu deux fois pour le même peuple, car il peut se rendre libre tant qu'il n'eft que barbare, mais il ne le peut plus quand le reffort civil eft ufé. Alors les troubles peuvent le détruire fans que les révolutions puiffent le rétablir, et fi-tôt que les fers font brifés, il tombe épars et n'existe plus: il lui faut désormais un maitre et non pas un libérateur. Peuples libres, fouvenez-vous de cette maxime :

on peut acquérir la liberté; mais on ne la recouvre jamais.

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La jeunelle n'eft pas l'enfance. Il eft pour les nations comme pour les honmes un temps de jeunesse, ou si l'on veut de maturité qu'il faut attendre avant de les foumettre à des lois; mais, la maturité d'un peuple n'eft pas tou jours facile à connoître, et fi on la prévient l'ouvrage eft manqué. Tel peuple eft difciplinable en naiffant, tel autre ne l'eft pas au bout de dix fiécles. Les Ruffes ne feront jamais vraiment policés, parce qu'ils l'ont été trop tôt. Pierre avoit le génie imitatif; il n'avoit pas le vrai génie, celui qui crée et fait tout de rien. Quelques-unes des cho-, fes qu'il fit étoient bien, la plupart étoient déplacées. Il a vu que fon peuple étoit barbare, il n'a point vu qu'il pas mûr pour la police; il l'a vouli civilifer quand il ne falloit que laguerrir. Il a d'abord voulu faire des Allemands, des Anglois, quand il falloit commencer par faire des Ruffes; il a empêché les fujets de jamais devenir

n'étoit

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