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génération le peuple fût le maitre de l'admettre ou de le rejeter: mais alors ce Gouvernement ne feroit plus' arbitraire.

Renoncer à fa liberté, c'eft renoncer à fa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à fes devoirs. Il n'y a nul dédommagement poffible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation eft incompatible avec la nature de l'homme; et c'eft ôter toute moralité à fes actions, que d'ôter toute liberté à fa volonté. Enfin, c'eft une convention vaine et contradictoire de ftipuler d'une part une autorité abfolue, et de l'autre une obéiffance fans bornes. N'eft-il pas clair qu'on n'eft engagé à rien envers celui dont on a droit de tont exiger, et cette feule condition fans équivalent, fans échange, n'entraine-t-elle pas la nullité de Pacte? Car quel droit mon efclave auroit-il contre moi, puisque tont ce qu'il a m'appartient, et que fon droit étant le mien, ce droit de

moi contre moi-même eft un mot qui n'a aucun feus?

Grotius et les autres tirent de la guerre une autre origine du prétendu droit d'efclavage. Le vainqueur, ayant, felon eux, le droit de tuer le vaincu, celui-ci peut racheter sa vie aux dépens de fa liberté; convention d'autant plus légitime, qu'elle tourne au profit de tous deux.

Mais il eft clair que ce prétendu droit de tuer les vaincus ne réfulte en aucune manière de l'état de guerre. Par cela feul que les hommes vivant dans leur primitive indépendance, n'ont point entr'eux de rapport affez constant pour conftituer ni l'état de paix ni l'état de guerre, ils ne font point naturellement ennemis. C'est le rapport des chofes et non des hommes qui constitue . la guerre; et l'état de guerre ne pouvant naître des fimples relations perfonnelles, mais feulement des relations réelles, la guerre privée ou d'homme

à homme ne peut exifter, ni dans l'état de nature où il n'y a point de propriété conftante, ni dans l'état focial où tout eft fous l'autorité des lois.

Les combats particuliers, les duels, les rencontres font des actes qui ne conftituent point un état; et à l'égard des guerres privées, autorifées par les établiffemens de Louis IX, roi de France, et fuspendues par la paix de Dieu, ce font des abus du gouvernement féodal, fyftême abfurde s'il en fut jamais, contraire aux principes du droit naturel, et à toute bonne politique.

La guerre n'eft donc point une relation d'homme à homme, mais une relation d'Etat à Etat, dans laquelle les particuliers ne font ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens a), mais

a) Les Romains qui ont entendu et plus refpecté le droit de la guerre qu'aucune nation du monde, por

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comme foldats; non point comme membres de la patrie, mais comme fes défenfeurs. Enfin chaque Etat ne peut avoir pour ennemis que d'autres Etats et non pas des hommes, attendu qu'entre chofes de diverfes natures, on ne peut fixer aucun vrai rapport.

Ce principe eft même conforme aux maximes établies de tous les temps et

toient fi loin le fcrupule à cet égard qu'il n'étoit pas permis à un Citoyen de fervir comme volontaire, fans s'être engagé expreffément contre l'ennemi, et nommément contre tel ennemi. Une Légion où Caton le fils faifoit Jes premières armes fous Popilius ayant été réformée, Caton le père écrivit à Popilius que s'il vouloit bien que fon fils continuat de fervir fous lui, il falloit lui faire prêter un nouveau ferment militaire, parce que le premier étant annullé, il ne pou

à la pratique conftante de tous les peuples policés. Les déclarations de guerre font moins des avertiffemens aux puiffances qu'à leurs fujets. L'étranger, foit roi, foit particulier, foit peuple, qui vole, tue ou détient les fujets fans déclarer la guerre au Prince, n'ekt pas un ennemi, c'eft un brigand. Même en pleine guerre un Prince jufte s'empare bien en pays ennemi de tout ce qui appartient au public; mais il refpecte

voit plus porter les armes contre l'ennemi. Et le même Caton écri vit à fon fils de fe bien garder de fe préfenter au combat qu'il n'eût prèté ce nouveau ferment. Je fais qu'on pourra m'oppofer le fiège de Clufium et d'autres faits particuliers. Mais moi je cite des lois, des ufages. Les Romains font ceux qui ont le moins fouvent transgressé leurs lois, et ils font les feuls qui en aient eu d'auffi belles.

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