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tion. Au contraire, on peut fe refferrer au bord de la mer, même dans des rochers et des fables prefque ftériles; parce que la pêche y peut fuppléer en grände partie aux productions de la terre, que les hommes doivent être plus raffemblés pour repouffer les pirates, et qu'on a d'ailleurs plus de facilité pour délivrer le pays par les colonies, des habitans dont il est surchargé.

A ces conditions pour inftituer un peuple, il en faut ajouter une qui ne pent fuppléer à nulle autre, mais fans laquelle elles font toutes inutiles; c'est qu'on jouiffe de l'abondance et de la paix; car le temps où s'ordonne un Etat eft, comme celui où fe forme un 'bataillon, l'inftant où le corps eft le moins capable de réfiftance et le plus facile à détruire. On réfifteroit mieux dans un désordre abfolu que dans un moment de fermentation, où chacun s'occupe de fon rang et non du péril. Qu'une guerre, une famine, une fédi

tion survienne en temps de crife, l'Etat eft infailliblement renverfé.

Ce n'eft pas qu'il n'y ait beaucoup de Gouvernemens établis durant ces orages; mais alors ce font ces Gouvernemens mêmes qui détruifent l'Etat, Les ufurpateurs amènent on choififfent toujours ces temps de troubles pour faire paffer, à la faveur de l'effroi public, des lois deftructives que le Peuple n'adopteroit jamais de fang froid. Le choix du moment de l'inftitution eft un des caractères les plus sûrs par lesquels, on peut diftinguer l'oeuvre du Législateur d'avec celle du tyran.,

Quel peuple eft donc propre à la Législation? Celui qui, fe trouvant déja, lié par quelque unioù d'origine, d'intérêt ou de convention, n'a point encore porté le vrai joug des lois; celui qui n'a ni coutumes ni fuperftitions bien enracinées; celui qui ne craint pas d'être accablé par une invalion fubite, qui, fans entrer dans les querelles de ses voi

fius, pent réfifter feul à chacun d'eux on s'aider de l'un pour repouffer l'autre; celui dont chaque membre peut être comu de tous, et où l'on n'eft -point forcé de charger un homme d'un plus grand fardeau qu'un homme ne pent, porter; celui qui peut fe pafler des autres peuples et dont tout autre peuple peut fe paffer a); celui qui n'eft ni riche ni pauvre et peut le fuffire à lui-même;

ce

a) Si de deux peuples voifins l'un ne pouvoit fe paffer de l'autre, feroit une fituation très-dure pour le premier et très-dangereufe pour le fecond. Toute nation fuge, en pareil cas, s'efforcera bien vite de délivrer l'autre de cette dépendance. La République de Thlafcala en- . clavée dans l'Empire du Mexique aima mieux fe puffer de fel, que d'en acheter des Mexicains, et même que d'en accepter gratuitement. Les fages Thlafcalans virent le

enfin celui qui réunit la confiftance d'un ancien peuple avec la docilité d'un peuple nouveau. Ce qui rend pénible l'ouvrage de la Législation, eft moins ce qu'il faut établir que ce qu'il faut détruire; et oe qui rend le fuccès si rare, c'eft l'impoffibilité de trouver la fimplicité de la nature jointe aux befoins de la fociété. Toutes ces conditions, il eft vrai, le trouvent difficilement raffemblées. Auffi voit-on peu d'Etats bien conftitués.

Il est encore en Europe un pays capable de Législation; c'eft l'Isle de Corfe. La valeur et la conftance avec laquelle ce brave peuple a fu recouvrer et défendre fa liberté, mériteroit bien que quelqu'homme fage lui apprit à la ◄

piége caché fous cette libéralité. Ils fe conferverent libres, et ce petit Etat, enfermé dans ce grand Empire, fut enfin l'inftrument de fa ruine.

conferver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite Isle étonnera l'Europe.

CHAPITRE XI.

Des divers fyftèmes de Législation. Si l'on recherche en quoi confifte précifément le plus grand bien de tous, qui doit être la fin de tout fyftême de législation, on trouvera qu'il se réduit à ces deux objets principaux, la liberté et l'égalité. La liberté, parce que toute dé-pendance particulière eft autant de force ôtée au corps de l'Etat; l'égalité, parce que la liberté ne peut fubfifter fans elle.

J'ai déja dit ce que c'eft que la liberté civile; à l'égard de l'égalité, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puiffance et de richeffe foient ab folument les mêmes, mais que, quant

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