Page images
PDF
EPUB

la

ravager et porter la désolation et la mort dans les hameaux et dans les cités! De tous les animaux qui existent, il est prouvé, démontré, que le chien est le plus sujet à la rage. La raison s'en tire de l'absence d'une transpiration que nature lui refuse. Pourquoi donc ajouter encore aux dangers qui le menacent dès le principe de son existence ? N'estce pas assez de s'en faire un gardien fidèle, qui ne trompe jamais; un ami sûr, qui sait mourir de douleur sur le tombeau de celui qui fut son maître? Fautil encore en faire une bête de somme ou d'attelage?

Caniphile.

LES NOUVELLISTES.

DEPUIS qu'il existe des sociétés, on y a vu pulluler des fabricateurs de nouvelles, des bavards pour les répéter, et des gobe-mouches pour les écouter. Les

nouvelles soutiennent l'esprit du vulgaire, comme les alimens soutiennent notre corps. Les sots même ont leur imagination qui demande à être exercée ; et si la raison est le premier attribut distinctif de la plus noble des créatures, le besoin de parler en est le second : il serait donc assez juste, pour définir l'homme, de le nommer l'animal cau

seur.

Quand l'attention n'est entretenue par aucun événement nouveau, il se trouve toujours là des gens officieux tout prêts à en supposer, afin de prévenir l'inanition, qui dessécherait leur esprit et le vôtre. Quelle innombrable quantité de fausses nouvelles Philippe et Alexandre n'ont-ils pas fait débiter aux Athéniens! Elles passaient du Pirée à l'Académie, de l'Académie dans les cercles, des cercles sur la place publique, et n'y arrivaient qu'après avoir été mille fois revues, corrigées et augmentées.

Les Romains ne se privèrent pas plus que les Grecs,du plaisir de composer et

d'entendre des nouvelles : très-souvent, sous la république, d'honnêtes tribuns eurent la satisfaction de voir la multitude assemblée au Forum, s'extasier lorsqu'ils lui faisaient des histoires aussi vraies que celle de Ma Mère l'Oie. Sous les Empereurs dont plusieurs onvrirent une carrière si vaste à la médisance, combien de fois la vérité fut-elle ornée de tant de broderies, qu'elle n'était plus reconnaissable! Dans la Rome soumise au pouvoir des clés, les familiers du Saint-Office s'efforcèrent vainement d'arrêter l'exhubérance des langues; tout ce qu'ils gagnèrent fut de faire parler plus bas, et les épigrammes et les quolibets attachés aux statues de Pasquin et de Marforio, vengèrent les causeurs, en procurant de nouveaux sujets de causerie.

Mais c'est en France que, de temps immémorial, l'esprit, la gaîté, la bienveillance, la politesse et la valeur s'allient, avec une aisance merveilleuse, au babil et au caquetage. Il faut continuel

[ocr errors]

:

lement du nouveau, de quelque nature qu'il soit, à l'imagination vive du Français s'il ne sait rien, il invente; il lui importe peu que vous croyiez ce qu'il vous conte; pourvu qu'il s'amuse en vous amusant, il n'en demande dapas vantage. On pourrait, me direz-vous, sans être injuste, lui appliquer ce mot de Thalès: La trop grande envie de parler est un signe de folie. J'en conviens; mais cette folie n'est pas méchante, et des fous, tels que les Français, ont su démontrer à l'Europe, d'une manière aussi évidente celle que par plus B, que dans l'occasion ils savent

être sages.

A

Je me souviens encore de l'arbre de Cracovie du bon M. Métra, de sa petite perruque, de son fidèle habit rayé à colet rond, de'sa canne à bec de corbin, et de son gros, grand, long, large nez bourgeonné. Tous les jours, ce bon M. Métra tenait ses assises aux Tuileries après avoir couru dès le point du jour d'antichambre en antichambre, de bu

reaux en bureaux, pour attraper quelque nouvelle. Comme on faisait cercle autour de lui quand, d'un air mystérieux et profond, il répétait les choses admirables qu'il venait d'apprendre ! Les badauds émerveillés, l'œil fixe, les oreilles dressées, la bouche béante semblaient humer ses paroles. Si parmi les auditeurs, il se glissait quelque mauvais plaisant, avec quelle dignité il le rappelait à l'ordre! L'importance qu'il mettait à ses fonctions de nouvelliste était communicative et lui avait donné une sorte de considération : aussi, pour la maintenir, il ne souffrait dans la diéte de l'arbre de Cracovie que des personnages dignes de l'entendre. Un jour il s'aperçoit qu'un laquais s'est mêlé parmi les élus; aussitôt, saisi d'uné noble indignation: Retire-toi plus loin, lui dit-il ! Monsieur, lui répond le laquais, je vous demande bien pardon; mais c'est que mon maître ayant eu affaire, m'a chargé de retenir sa place. Cette réponse satisfit M. Métra, et quand le

« PreviousContinue »