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cadis la déesse de la concorde reçoit leur encens et leurs vœux. On peut, les autres jours, se dénoncer, se dépouiller, se battre les uns contre les autres, le tout pour la sûreté générale.

Chaque jour cette fondée de pouvoir d'Asmodée prend de nouvelles mesures d'ordre public, il en résulte le bouleversement total des fortunes. Mais pour dédommager ses cliens d'une manière fort agréable, elle ordonne des repas fraternels au milieu des rues; tout le monde est tenu d'y figurer, qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il tonne, qu'on soit bien portant ou malade, sous peine d'amende et quelquefois pis. Enfin, à ces douceurs de la fraternité, madame la plume unit des jouissances non moins ravissantes; elle imagine la queue au pain, la queue à la viande, la queue au riz, la queue au lait, la queue au sucre et au café, la queue au savon, etc.,etc.,etc. ; nuit et jour ce sont des queues partout, pour attester l'abondance et le prix modique des comestibles. Mais ce n'est là

qu'un avant-goût de plaisirs plus délicieux encore. Notre héroïne se glisse entre le pouce et l'index de la main de Maximilien, l'un de ses ministres le plus fameux; elle griffonne un beau discours sur la clémence, il le prononce avec l'expression la plus touchante, et ce discours est le signal des exécutions; la guillotine reste en permanence, la mode de la mode de couper des têtes devient une fureur. Celui-ci est accusé d'avoir mis du linge trop blanc, un chapeau au lieu d'un bonnet, un habit au lieu d'une veste; celui-là s'était permis de dire vous au lieu de tu : la clémence fait une loi sacrée de dépêcher pour l'autre monde ces gens-là, et la foule enchantée, de s'écrier vive la liberté! vive la république! vive Maximilien! vive la guillotine!

Cependant, après avoir prolongé ces aimables récréations, assez long-temps pour charmer son favori Maximilien et ses acolytes, après avoir procuré, même au plus petit employé, l'innocent plaisir

JA

de faire guillotiner son parent ou son ami, la malicieuse plume s'avise un beau jour de rédiger, en bonne forme, un acte d'accusation contre Maximilien lui-même et sa suite. Alors, quelle force fait-elle succéder à la folie des coupetêtes? La folie guerrière, la folie d'une république universelle, de l'alliance avec tous les fous de la terre! C'est à qui s'enrôlera pour obtenir ces superbes résultats; afin d'avoir la paix, on déclarè la guerre à tout le monde, et surtont aux Rois. Les trônes sont ébranlés, l'établissement d'une foule de républiques signale les pas triomphans des disciples d'Asmodée. Le général Buonaparte en crée un assez grand nombre pour sa part; il est le plus chaud des républicains; patience! il changera bien en grandissant.

Mais il ne suffit pas à notre chère plume que ses fous se divertissent au dehors, elle veut aussi qu'ils continuent à se divertir dans l'intérieur; en conséquence, elle barbouille des rames de

papier, et leur fait changer de gouvernement comme leurs femmes changent de chapeaux. Tantôt le peuple, ambureux de sa tranquillité, s'amuse à faire le souverain et à chasser ses magistrats; tantôt les magistrats, pleins de paternité, lui rendent le bonheur à grands coups de canon.

Un gouvernement, composé de cinq membres, s'établit; la protégée d'Asmodée passe tour à tour sur le bureau de chacun d'eux ; ce gouvernement accueille et promet de mettre à exécution beaucoup de plans d'amélioration; elle devient alors un véritable esprit de contradiction. Il veut fonder son autorité sur la douceur, elle l'établit sur des proscriptions. L'intérêt de l'état doit seul l'animer: elle donne le pas aux plaisirs sur les affaires; et souvent avant l'heure du déjeuner, elle a fait signer au membré le plus distingué un projet d'impôt, un rendez-vous de chasse ou d'amour, l'arrestation d'un journaliste, un invitation à un bal. Il

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croit que l'économie est nécessaire pour restaurer les finances: elle rend le luxe indispensable. Il sent que la conservation des conquêtes de la France dépend de sa force: elle disgracie les plus habiles généraux, et donne le commandement de l'armée aux associés des fournisseurs. Il prétend être honoré et craint: elle l'entoure d'une cour frivole, remplace le respect qu'il croit inspirer par le ridicule, le fait jouer publiquement et chansonner jusques dans les salons de ses membres. Enfin, il veut trancher de l'esprit fort: elle appelle en son palais une célèbre tireuse de cartes, et la cour des Pentarques interroge le destin.

La sublime plume alors juge dans sa sagesse qu'il est bon de changer le genre de folie de ses disciples. Elle s'apprête à accabler un général renommé de ses faveurs. Il était allé conquérir la terreantique des Pharaons, non pour la mettre en république, mais, en bon chrétien, pour y faire respecter le Coran. Les Egyptiens lui avaient fait l'outrage de

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