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lumes, la langue latine démontrée en six leçons, une conversation de trois mille vers; il avait la bonhomie de ne voir dans tout cela que des contrastes, et toujours des contrastes.

Il existait, suivant lui, un étrange contraste entre un poète et ce qu'on appelle un versificateur. On avait beau lui dire qu'aujourd'hui l'un et l'autre sont mis sur la même ligne, il ne les y plaçait pas, et n'était d'accord avec personne.

C'était un homme bien singulier que M. Dufour! Je le vis une fois dans l'atelier d'un peintre, se mettre à genoux devant un tableau de grande dimension représentant Acis et Galatée surprisensemble par le géant Poliphême. Voyez, disait-il, voyez quel superbe contraste! Parlant alors en vers alexandrins, car il en faisait, et sans doute par contraste avec sa prose, il s'écriait :

Sur ce mont élevé, voyez cette fontaine

Dont l'eau roule en cascade, et tombe dans la plaine; L'idée en est sublime“, alors que de cette eau

Se nourrit un grand fleuve.... et ce petit ruisseau.

Voyez cet orme épais dont l'antique feuillage Prête une ombre irritée aux plaisirs du jeune âge; Du bonheur des amans il frémit courroucé, Mais n'importe! d'Acis l'amour est exaucé. Qu'ai-je dit? ô terreur !... j'aperçois Poliphême; Furieux et jaloux, je l'entends qui blaspheme. Comme l'indigne aspect de ce monstre odieux Fait ressortir l'éclat de ce groupe amoureux! Hélas! il ne voit pas le géant qui l'épie, Ni ce roc menaçant qu'il pousse avec furie, Ce roc qui, de verdure et de fleurs couronné, Offre un troupeau, dans l'air, de courir étonné. Jeunes amans, fuyez!.... le voilà qui s'avance. Fuyez !... Il n'est plus temps. O fatale imprudence! La vengeance et l'amour, la jeunesse, un tombeau.... Contrastes! je vous aime, et voilà mon tableau.

Si je prends plaisir à citer ces vers de M. Dufour, c'est parce qu'il les faisait sans prétention et qu'il les montrait de même. J'en possède un petit recueil écrit de sa propre main, que je pourrai faire connaître au public: qu'on me permette de transcrire ici ce morceau : Aimez-vous le Contraste, on le trouve partout: Le Calembourg domine où régnait le bon goût,

Au théâtre, au salon, de même qu'à la halle,
En discours immoraux on prêche la morale;
Le sombre Mélodrame épouse la Gaîté,
Veuve du Vaudeville, à jamais regretté;
Brunet sait attirer la foule curieuse;
Tout Paris a couru sa Chatte merveilleuse!
A ses tréteaux grossiers on rit à coeur ouvert...
Et Molière étouné parle dans le désert!

là des

Je le demande, ne sont-ce pas contrastes frappans : ils sont sous nos yeux. C'est encore ainsi qu'il a tracé lui-même les différens contrastes qu'il voyait dans sa propre maison.

Ma maison est bizarre: elle est belle au-dehors;
Six fenêtres de front, leurs volets à ressorts,
Deux boutiques par bas, boutiques fort jolies,
Avec glaces, dorure et fraîches boiseries;
Mais elle est, au-dedans, un bien sale réduit.
Songez bien que d'abord le jour il y fait nuit;
Mystérieusé allée en est le triste augure,
L'escalier a pourtant une lucarne obscure.
Suivons la

rampe, Hé bien! nous sommes au premier,

Un usurier l'occupe, un honnête usurier.

Il prête à vingt pour cent aux malheureux qu'il vole,
Et, s'il faut me payer, il n'a pas une obole;
La porte auprès de lui, sur le même carré,
D'un Auvergnat bien pauvre est le bouge ignoré;
Mais il travaille au moins, et son travail utile
Reproche à l'usurier son courtage servile.
Le second peut passer pour un petit palais:
Une actrice y demeure et le meuble à grands frais.
Elle paye assez bien, en billets.... de parterre,
Les soutiens de sa gloire et sa pauvre bonchère.
Au troisième, et, ma foi, nous y sommes enfin,
Loge avec ses enfans un grave médecin.
Celui-là, je l'estime; il me solde à l'avance.
Son état est fort bon. Peste! point de dépense.
Des juleps, du latin, des mots tant qu'on voudra
Jamais de déboursés! Pour tuer.... il tuera 9
D'accord!... mais d'aucun meurtre il n'est,lui,responsable;

C'est de tous les docteurs le plus heureux coupable.

Près de lui de Thémis est un vieux

L'assassin est ainsi le voisin du voleur.

procureur;

Fuyons au quatrième! au moins on y respire:
Non, non, c'est un poète.... il a fait ma satire.

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Plus haut! montons plus haut. Qu'y verrons-nous, grands dieux! La misère.... Allons, soit !.. voyons les malheureux.

Quel horrible spectacle!... ah! restons... Oui, je reste.
Oui, je plaindrai leur sort, il sera moins funeste.
Bonnes gens, calmez-vous. Un exploit à la main,
Je ne viens pas ici, créancier inhumain,
Vous arracher un lit arrosé de vos larmes;
Non, soyez mes amis; voyez-moi sans alarmes.
Et surtout, sans rougir, acceptant mes secours
Laissez-moi vous parler et vous voir tous les jours!

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M. Dufour avait un excellent cœur. Il avait épuisé sa fortune en faisant le bien de ses semblables. Je n'ai pas dit encore de lui tout ce que j'en avais à dire : il fut modeste; qu'on ne s'étonne pas de son obscurité ! ··

B.

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LA BRUYÈR E.

QUEL est celui qui voulant cultiver son esprit et son cœur, n'a pas lu La Bruyère? son livre des Caractères est un de ceux dont les jeunes gens, comme

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