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génie, sont ainsi faits. Pourtant dans celui d'Eugénie, au moment de la dispersion des communautés par la révolution, il y a des scènes éloquentes, et cette prieure décharnée, qui profite avec joie de la retraite d'Eugénie pour gouverner la maison, ne fût-ce qu'un jour, est une figure d'une observation profonde.

La Comtesse de Fargy se compose de deux parties entremêlées, la partie d'observation, d'obstacle et d'expérience, menée par madame de Nançay et par son vieil ami M. d'Entrague, et l'histoire sentimentale du marquis de Fargy et de son père. Cette dernière me plait moins ; en général, à part Eugène de Rothelin et Adèle de Sénange, le développement sentimental est moins neuf dans les romans de madame de Souza que ne le sont les observations morales et les piquantes causeries. Ces types de beaux jeunes gens mélancoliques, comme le marquis de Fargy, comme ailleurs l'Espagnol Alphonse, comme dans Eugénie et Mathilde le Polonais Ladislas, tombent volontiers dans le romanesque, tandis que le reste est de la vie réelle saisie dans sa plus fine vérité. Madame de Souza a voulu peindre, par la liaison du vieux M. d'Entrague et de madame de Nançay, ces amitiés d'autrefois, qui subsistaient cinquante ans, jusqu'à la mort. Comme on était mariée au sortir du couvent, par pure convenance, il arrivait que bientôt le besoin du cœur se faisait sentir; on formait alors avec lenteur un lien de choix, un lien unique et durable; cela se passait ainsi du moins là où la convenance régnait, et dans cet idéal de dix-huitième siècle, qui n'était pas, il faut le dire, universellement adopté. L'aimable M. d'Entrague, toujours grondé par madame de Nançay, toujours flatté par Blanche, et qui se trouve servir chaque projet de celle-ci sans le vouloir jamais, est un personnage qu'on aime et qu'on a connu, quoique l'espèce ne s'en voie plus guère. Madame de Nançay a vécu aussi, contrariante et bonne, et qu'avec un peu d'adresse on menait sans qu'elle s'en doutȧt: Madame de Nançay

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rentra chez elle disposée à gronder tout le monde, elle n'ignorait pas qu'elle était un peu susceptible, car daus la vie on a eu plus d'une affaire avec soi-même, et si, l'on ne se connait pas parfaitement, on se doute bien au moins de quelque chose. »

Eugénie et Mathilde, que nous avons déjà beaucoup cité, est le plus long et le plus soutenu des ouvrages de l'auteur, toujours Eugène et Adèle à part. L'auteur y a représenté au complet l'intérieur d'une famille noble pendant les années de la révolution. Eugénie qui a été forcée de quitter son couvent, et qui devient comme l'ange tutélaire des siens, attire constamment et repose le regard avec sa douce figure, sa longue robe noire, ses cheveux voités de gaze, sa grande croix d'abbesse si noblement portée. Il y a un bien admirable sentiment entrevu, lorsqu'étant allée dans le parc respirer l'air frais d'une matinée d'automne, tenant entre ses bras le petit Victor, l'enfant de sa sœur, qui, attaché à son cou, s'approche de son visage pour éviter le froid, elle sent de vagues tendresses de mère passer dans son cœur; et le comte Ladislas la rencontre au même moment. Ce qu'Eugénie a senti palpiter d'obscur, il n'est point donné à des paroles de l'exprimer, ce serait à la mélodie seule de le traduire *.

* L'esquisse de ce motif virginal, que nous proposons à quelque gracieux compositeur, serait celle-ci :

LA PROMENADE D'EUGÉNIE.

EUGENIE PARLE. -

Dors, cher Enfant, je sens ta main légère
A mon cou nu mollement s'attacher,
Je sens ton front en mon sein se cacher;
Dors, cher Enfant, je suis aussi ta mère!

Ta pauvre mère hélas! est tout effroi
Pour son Edmond que son amour rappelle;
Se dérobant, il est allé fidèle

Mêler son risque au péril de son roi.

Dans Eugénie et Mathilde, madame de Sonza s'est épanchée personnellement plus peut-être que partout

A mon cou nu pose ta main légère;
Dors, cher Enfant; je suis aussi ta mère!

Tant de malheur peut-il fondre à plaisir,
Quand le matin rit dans la vapeur blanche,
Quand le rayon qui mourait sur la branche
Est en passant si tiède à ressaisir ?

A mon cou nu pose ta main légère;
Dors, cher Enfant; je suis aussi ta mère !

Mais, dès qu'ainsi ton doux soin m'est rendu,
D'où vient, Enfant, que ta bouche innocente
Soulève en moi le soupir, et qu'absente
J'aille peut-être au rêver défendu?

Eveille-toi! je sens ta main légère
A mon cou nu de trop près s'attacher,
Ce front trop tiède en mon sein se cacher;
Eveille-toi! je ne suis point ta mère!

Tout cœur fidèle a son signe et son vœu :
Edmond l'honneur; Mathilde Edmond lui-même ;
Mais ces soupirs, tressaillement que j'aime,
Sont-ils de moi, d'une vierge de Dieu ?

De mon cou nu lève ta main légère;
Eveille-toi! je ne suis point ta mère !

M'est-il permis le baiser de l'enfant,
Ce vague heureux qu'en le berçant prolonge
Ma solitude, et, la nuit, dans un songe
L'enfant Jésus reparu plus souvent ?

De mon cou nu lève ta main légère ;
Éveille-toi! je ne suis point ta mère !

Mais non, mon Dieu n'est pas un Dieu cruel ;
Par ce front pur, en cette claire allée,
Tenterait-il sa servante exilée,

Dieu des petits et de Ruth et Rachel ?

Dors, cher Enfant; je sens ta main légère
A mon cou nu de plus près s'attacher,
Ton frais baiser en mon sein se cacher;
Dors, cher Enfant ; je suis encor ta mère!

ailleurs. Je n'ai jamais lu sans émotion une page que je demande la permission de citer pour la faire ressortir. C'est le cri du cœur de bien des mères sous l'Empire, que madame de Souza, par un retour sur elle-même et sur son fils, n'a pu s'empêcher d'exhaler. Madame de Revel, malheureuse dans son intérieur, se met à plaindre les mères qui n'ont que des filles, parce qu'aussitôt mariées, leurs intérêts et leur nom même séparent ces filles de leur famille. Pour la première fois depuis la naissance de Mathilde, elle regrettait de n'avoir pas eu un fils : « Insen»sée! s'écrie madame de Souza interrompant le récit; >>> comme alors ses chagrins eussent été plus graves, ses inquietudes plus vives! - Pauvres mères, vos fils dans >> l'enfance absorbent toutes vos pensées, embrassent >> tout votre avenir, et, lorsque vous croyez obtenir la ré>> compense de tant d'années en les voyant heureux, ils >> vous échappent. Leur active jeunesse, leurs folles pas>>sions les emportent et les égarent. Vous êtes ressaisies » tout à coup par des angoisses inconnues jusqu'alors.

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» Pauvres mères ! il n'est pas un des mouvemens de leur >> cœur qui ne fasse battre le vôtre. Hier enfant, ce fils » est devenu un homme; il veut être libre, se croit son >> maître, prétend aller seul dans le monde.... Jusqu'à ce » qu'il ait acheté son expérience, vos yeux ne trouveront plus le sommeil que vous ne l'ayez entendu revenir ! Vous serez éveillées bien long-temps avant lui; et les tendres >> soins d'une affection infatigable, ne les montrez jamais. » Par combien de détours, de charmes, il faudra cacher >> votre surveillance à sa tète jeune et indépendante!

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>> Dorénavant tout vous agitera. Cherchez sur la figure » de l'homme en place si votre fils n'a pas compromis son >> avancement ou sa fortune; regardez sur le visage de >> ces femmes légères qui vont lui sourire, regardez si un » amour trompeur ou malheureux ne l'entraine pas!

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>> Pauvres mères! vous n'êtes plus à vous-mêmes. Toujours préoccupées, répondant d'un air distrait, votre

» oreille attentive reçoit quelques mots échappés à votre >> fils dans la chambre voisine.... Sa voix s'élève.... La >> conversation s'échauffe.... Peut-être s'est-il fait un en» nemi implacable, un ami dangereux, une querelle » mortelle. Cette première année, vous le savez, inais >> il l'ignore, son bonheur et sa vie peuvent dépendre de >> chaque minute, de chaque pas. Pauvres mères ! pauvres >> mères! n'avancez qu'en tremblant.

» 11 part pour l'armée !........ Douleur inexprimable! in» quiétude sans repos, sans relâche ! inquiétude qui s'at>> tache au cœur et le déchire!.... Cependant si, après » sa première campagne, il revient du tumulte des camps, >> avide de gloire, et pourtant satisfait, dans votre pai>>sible demeure; s'il est encore doux et facile pour vos >> anciens domestiques, soigneux et gai avec vos vieux amis; si son regard serein, son rire encore enfant, sa » tendresse attentive et soumise vous font sentir qu'il se » plait près de vous.. oh! heureuse, heureuse mère ! » -Ceci s'imprimait en 1811; Bonaparte, dit-on, lut quelque chose du livre et fut mécontent *.

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...

Il ne l'était pas du reste toujours. Une fois, au retour d'un voyage à Berlin, madame de Souza arrivait à Saint-Cloud pour voir l'impératrice Joséphine. L'Empereur était sur le perron, impatient de partir pour la chasse; les fougueux équipages, au bas des degrés, trépignaient. La vue d'une femme le contraria, dans l'idée sans doute que ce serait une cause de retard pour l'impératrice qu'il attendait. Il s'avança le front assez sombre vers madame de Souza, et, la reconnaissant, il lui demanda brusquement: «Ah! vous venez de Berlin? Ich bien! y aime-t-on la France ? » — Elle vit l'humeur au front du sphinx redoutable : Si je réponds oui, songea-t-elle, il dira, c'est une sotte; si je réponds non, il y verra de l'insolence... —-— « Oui, sire, répondit-elle, on y aime la France... comme les vieilles femmes aiment les jeunes. » La figure de l'Empereur s'éclaira : « Oh! c'est très-bien, c'est très-bien! » s'écria-t-il deux fols, et comme la félicitant d'être si heureusement sortie du piége. Quant à madame de Souza, récompensée par le glorieux sourire, elle aime à citer cet exemple pour preuve que l'habitude du monde et de laisser naître ses pensées les fait toujours venir à propos : « car, dit-elle, cette réponse s'était échappée si à part de ma volonté, et presque de mon esprit, que je fus tentée de me retourner aussitôt pour voir si personne ne me l'avait soufflée..

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