POÉTIQUE FRANÇOISE, PAR M. MARMONT EL, Historiographe de France , l'un des Quarante de l'Académie Françoise. TO ME P R E MI E R. NOUVELLE ÉDITION, revue de nouveau , de corrigée avec soin. Astupet ipfa fibi. OVID. Met. III. A LIEGE, AVANT-PROPOS. А Mesure que la lumiere des Lettres se Tépand , que les peuples fe polifsent , & que leurs idées s'épurent , les ouvrages élémentaires qui les ont développées deviennent moins utiles, sont négligés , & tombent dans l'oubli. Tel est aujourd'hui le fort de la plupart des Livres clasfiques , qui , dans la renaissance des Lettres en Europe , y ont semé le germe de la science & du goût. Il est bon que les premiers Éditeurs des écrits des Anciens se soient piqués d'une critique minutieuse i il est bon que les élémens de Rhétorique & de Poétique aient été faits comme pour des enfans. La Diale&ique même de l'École n'a pas nui aù progrès des Lettres : ces distinctions , ces divisions , ces définitions disputes de mots qui ont grossi tant de volumes, ont fervi à débrouiller le cahos de l'Antiquité. Sans ce qu'on appelle les Erudits , nous serions encore 'barbares. Ces bons esprits auroient été plus loin que nous peut-être fi leurs pareils Tome 1. A ces ܪ܂ 1 les avoient dévancés & leur avoient applani la route. C'est grace aux lumieres qu'ils nous ont transmises , que leurs écrits ne sont plus de saison. Nous sourions avec dédain , quand nous entendon's Jules Scaliger , dans sa Poétique latine , tracer le plan de la Tragédie d'Alcione & demander que le premier acte soit « Une plainte » sur le départ de Ceix ; le second , des Væux » pour le succès de la navigation ; le troisieme, » la nouvelle d'une tempête ; le quatrieme , la » certitude du naufrage ; le cinquieme la vye » du cadavre de Ceïx & la mort d'Alcicne. » Mais souvenons-nous que du temps de Scaliger, un spectacle ainsi distribué auroit été un prodige sur nos tlétres. Nous trouvons aussi ridicule qu'il propose à la Comédie de peindre les meurs de la Grece & de Rome : » Des filles achetées comme : » er laves & qui soient reconnues libres au » dénouement ; » Mais dans un temps où l'art Dramatique n'avoit aucune forme en Europe, que pouvoit faire de mieux un Savant que d'en établir les préceptes sur la pratique des Anciens ? On s'impatiente de voir l'Abbé d'Aubinac réduire en regles les premiers principes du sens commun. L'on ne peut se persuader que le fiecle de Corneille eit besoin qu'on lui apprît que « L'acteur qui joue Cinna ne doit pas mêler » les barricades de Paris avec les profcriptions » du Triumvirat ; que le Lieu de la scene doit » être un espace vuide , & qu'on ne doit » pas y placer les Alpes auprès du Mont» Valérien. » Mais si l'on pense que le Thémiltocle de Darier balançoit alors Heraclius , ces leçons ne paroîtront plus fi déplacées pour le temps. C'est donc sans aucun mépris pour les Ecrivains qui ont éclairé leur fiecle, que je les crois au dessous du nôtre. Il faut partir du point où l'on est ; & depuis deux cents ans l'esprit humain a plus gagné, qu'il n'avoit perdu en mille ans de barbarie. Mais de toutes les parties de la Littérature , la Poésie est celle dont la connoifsance & le goût, sans cesse exercés par Pusage, ont fait parmi nous le plus de progrès. Ainsi des préceptes répandus dans les Poétiques anciennes, les uns sont devenus inutiles & les autres insuffisants. Une Poétique digne de notre âge , feroit un fyfteme régulier & complet , où tout fût soumis à une loi fimple , & dont les regles par |