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ticulieres émanées d'un principe commun, en fuffent comme les rameaux. Cet ouvrage philofophique eft defiré depuis long-temps, & le fera peut-être long-temps encore.

Quoique la Poétique d'Ariftote ne procede que par induction de l'exemple au précepte, elle ne laiffe pas que de remonter aux principes de la Nature, & c'eft le fommaire d'un excellent Traité. Mais elle fe borne à la Tragédie & à l'Epopée ; & foit qu'Ariftote en jetant fes premieres idées eût négligé de les éclaircir, foit que l'obfcurité du texte vienne de l'erreur des copiftes, fes interpretes les plus habiles conviennent qu'il eft souvent mal-aifé de l'entendre.

Caftelvetro en traduifant le texte d'Ariftote l'analyse & le commente avec beaucoup de difcernement; mais par la forme dialectique qu'il a donné à fon Commentaire, il nous fait chercher péniblement quelques idées claires & juftes dans un dédale de mots fuperflus.

S'il ne difcutoit que les chofes, il feroit moins prolixe; mais il difcute auffi les mots : encore après avoir retourné un paffage dans tous les fens, lui arrive-t-il quelquefois de manquer le véritable ou de le combattre mal-à-propos.

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Le défaut de ce critique, comme de tous les Ecrivains didactiques de ce temps - là, eft de n'avoir vu l'art du théâtre qu'en idée. C'est au théâtre même qu'il faut l'étudier.

Dacier avoit cet avantage fur l'interprete Italien; mais comme il avoit fait vou d'être de l'avis d'Ariftote, foit qu'il l'entendît ou qu'il ne l'entendit pas, ce n'eft jamais pour confulter la Nature, mais pour confulter Ariftote, qu'il fait usage de fa raison; & lors même qu'Ariftote fe contredit, Dacier n'ofe le contredire.

Non moins religieux fectateur des Anciens, Leboffu n'a étudié l'Epopée que dans Ariftote Homere & Virgile: il femble, à l'entendre, que les inventeurs en aient épuifé toutes les reffources, & qu'il n'y ait plus que l'alternative de les fuivre ou de s'égarer. Mais fi Leboffu & Dacier n'ont pas étendu nos idées, ils en ont hâté le développement.

Le grand Corneille

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avec le refpeâ qu'avoit fon fiecle pour Ariftote, & qu'il a eu la modeftie de partager, n'a pas laiffé de répandre les lumieres de la plus faine critique fur la théorie de ce Philofophe, & fes difcours en font le commentaire le plus folide & le plus profond.

Les paralelles qu'on a fait de Corneille & de Racine, & la célebre difpute fur les Anciens & les Modernes, en donnant lieu de difcuter les principes, ont contribué à les établir.

On eft même entré dans le détail des divers genres de Poéfie; on a effayé de développer l'artifice de la Fable, de déterminer le caractere de l'Églogue; on a voulu fuivre l'Ode dans fon délire & dans fes écarts ; mais perfonne n'a entrepris de ramener tous les genres à l'unité d'une premiere loi.

Le Poême de Vida, que je rappellerai souvent, contient des détails pleins de jufteffe & de goût fur les études du Poête fur fon tra

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vail, fur les modeles qu'il doit fuivre ; mais ce Poême, comme la Poétique de Scaliger, eft plutôt l'art d'imiter Virgile que l'art d'imiter la Nature.

La Poétique d'Horace eft le modele des Poêmes didactiques, & jamais on n'a renfermé tant de sens en fi peu de vers; mais dans un Poême, il eft impoffible de fuivre de branche en branche la génération des idées, & plus elles font fécondes, plus ce qui manque à leur développement eft difficile à fuppléer.

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a joint

La Frenaye, imitateur d'Horace aux préceptes du Poête Latin quelques regles particulieres à la Poéfie françoife; & fon vieux ftyle, dans fa naïveté, n'eft pas dénué d'agrément. Mais le coloris, l'harmonie, l'élégance des vers de Defpréaux, l'ont effacé. A peine lui refte-t-il la gloire d'avoir enrichi de fa dépouille le Poême qui a fait oublier le fien.

Ce Poême excellent & vraiment claffique, fait tout ce qu'on peut attendre d'un Poême: il donne une idée précife & lumincufe de tous. les genres, mais il n'en approfondit aucun.

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Quelques Modernes. comme Gravina chez les Italiens, & Lamotte parmi nous, ont voulu remonter à l'effence des chofes & puifer l'art dans la Nature même ; mais le principe de Gravina eft fi vague, qu'il eft impoffible d'en tirer une regle précise & jufte.

» L'imitation poétique eft, dit-il, le tranfport » de la vérité dans la fiction. Comme la Nature » eft la mere de la vérité, la mere de la fiction eft l'idée que l'efprit humain tire de la Na»ture » ( c'est le modele intelleâuel d'Ariftote, que Caftelvetro n'a jamais bien compris. ) *La Poéfie , ajoute Gravina, doit écarter de

» fa compofition les images qui démentent ce » qu'elle veut perfuader. Moins la fiction laisse » de place aux idées qui la contredisent plus » aifément on oublie la vérité pour fe livrer à » l'illufion. »

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Voilà en fubftance Pidée de la Poefie telle que Gravina la conçue: regle excellente pour attacher le génie des Poêtes, à l'étude de la Nature & à la vérité de l'imitation; mais qui n'éclaire ni fur le choix des objets, ni fur l'art de les affortir & de les placer avec avantage : regle enfin d'après laquelle ce critique a dû voir que le Paftor-fido & l'Aminte n'ont point la naïveté paftorale; mais qui ne l'a pas empêché de croire que le Roland de l'Ariofte étoit un Poême épique régulier, la Jérufalem du Taffe un ouvrage médiocre ; & en revanche, de regarder Sannazard comme l'héritier de la flûte de Virgile, & les Poêtes Latins que l'Italie moderne a produits, comme les vives. images des Catules, des Tibulles, des Properces, des Ovides, &c. d'adopter dans les Poêtes Italiens le mélange du merveilleux de la Religion & de la Fable, & de confondre le Poême épique avec les Romans provençaux.

Lamotte analyfe avec plus de foin l'idée

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