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» On peut être à la fois & fublime & plaisant ;

» Et je hais un sublime ennuyeux & pefant.

Il donne Homere pour exemple d'une riche variété.

> On diroit que pour plaire, inftruit par la Nature, » Homere ait à Vénus dérobé fa ceinture.

Il préfere même la folie enjouée de l'Ariofte au caractere de ces Poêtes dont la fombre humeur ne s'éclaircit jamais. Tout cela, bien entendu, contribueroit à former le goût; mais par malheur il faut avoir déja le goût formé pour le bien entendre. Par exemple, il ne faut pas croire, fur l'éloge que Defpréaux fait de l'Ariofte, que le Roland furieux foit un modele de Poême épique, ni que le plaisant qu'on peut mêler au fublime de l'Épopée, foit le joyeux badinage que ce Poête Italien s'eft permis.

Quel fciocco, che del fatto non s'accorse,
Per la polve cercando iva la tefta.

Defpréaux finit par la Comédie, & les préceptes qu'il en donne font à peu près les mêmes qu'Horace nous a tracés.

» Il faut

que fes acteurs badinent noblement, Que fon nœud bien formé fe dénoue aifément.

Il exclut de la Comédie les fujets trifles, n'y

admet point de fcenes vuides, & lui interdit les plaifanteries qui choquent le bons fens, ou qui bleffent l'honnêteté.

Après avoir parcouru ainfi tous les genres de Poéfie, il en revient aux qualités perfonnelles du Poête, le génie & les bonnes mœurs. C'est à propos de l'élévation d'ame & du noble défintéreffement qu'exige le commerce des Muses qu'il remonte à l'orige de la Poéfie, & qu'il la fait voir pure & fublime dans fa naiffance, & dégradée dans la fuite par l'avarice & la vénalité. Tout ce morceau eft habilement imité d'une Idylle de Saint - Geniez comme tout ce qui regarde le choix d'un Critique judicieux & févere eft imité d'Horace.

Voilà ce qui refte à peu près de la lecture de ces trois excellents Ouvrages. Deux raisons m'obligent à les rappeller: l'une, afin qu'on foit à portée de me confronter avec mes maîtres, & qu'on ait dans les mains le correctif des erreurs où j'ai pu tomber; l'autre, afin de juftifier mon opinion fur la néceffité d'une Poétique raifonnée, où foient recueillis les préceptes répandus dans les précédentes, & qui les concilie avec les principes immuables de la Nature, le grand Législateur des arts. Je ne me flatte point d'avoir

rempli l'idée que j'en donne & que j'en ai conçue; mais ceci n'en fût-il que l'ébauche, mon travail auroit fon utilité.

Quant à l'efpece de préfomption qu'il peut y avoir à prétendre ajouter aux lumieres de nos maîtres, il me feroit facile d'en éluder le reproche en difant, que je ne viens fur leurs pas qu'afin d'en obferver la trace; que ce n'est ici que le développement de leurs principes, & que je ne donne mes idées que pour l'analyse des leurs. Mais comme j'ai ofé quelquefois m'écarter de leur route il faut ofer convenir

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auffi que j'ai ufé du droit acquis en fait de recherches & d'obfervations de vérifier les témoignages, & de ne juger fur la foi d'aucun. Si l'on me demande pourquoi je me flatte d'avoir quelquefois mieux vu que ces grands hommes, je répondrai; Parce que je viens après eux, que je les ai étudiés, qu'aucun n'a vu lui feul tout ce qu'ils ont vu féparément, & que tous ensemble ils m'ont appris à les rectifier l'un par l'autre. J'ai de plus qu'eux encore l'expérience de tous les temps qui fe font écoulés d'eux à moi, & dans cet intervalle je compte pour beaucoup un demi fiecle de Philofophie.

Sous le beau regne de Louis XIV, le vaste

champ de la Poéfie, dès long-temps inculte & rajeuni par fon repos, reffembloit à une terre neuve & féconde, dont l'impatiente végétation se hâte de recompenfer les premiers foins du laboureur. Le génie trouvoit dans la nature, l'imitation trouvoit dans l'art des tréfors qui ne lui coûtoient que la peine de les recueillir. Aujourd'hui cette riche furface est épuisée ; il faut creufer, approfondir ; & par une révolution toute naturelle la faifon de la culture fuccede à celle de la moiffon.

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Je fais qu'on fait un reproche à notre fiecle de cet efprit de recherche & d'obfervation qui veut fe frayer des routes nouvelles je fais qu'on ne lui pardonne pas la liberté qu'il prife de voir avec fes yeux, & de juger d'après lui-même ; mais mais, quoi qu'en difent les tyrans de l'efprit humain le où il eft le plus libre à chacun de fe tromper, eft à la longue celui où l'on fe trompe le moins ; & des difputes raifonnées ce qui refte, c'eft la vérité. Il n'y a que les învectives qui n'éclairent jamais fur rien.

temps 2

J'ai donc ufé de la liberté de mon fiecle en appliquant aux Lettres la méthode que Bacon & Descartes ont appliquée à la Philofophie. La raifon, le fentiment, la nature voilà mes

grandes autorités. A l'égard des modeles de l'art, je les admire, mais il n'en est aucun que j'aie cru devoir fuppofer infaillible. Si les hommes de génie dont j'ai parlé avec une honnête franchise étoient vivants fi du moins ils

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pouvoient m'entendre la crainte feule de les affliger m'impoferoit fur les fautes qui leur font échappées, un filence religieux; mais le vain bruit de l'opinion, l'éclat même de la renommée ne pénetre point dans la nuit du tombeau : les ouvrages des Corneilles & des Homeres font pour nous au rang des productions de la nature; & dans le plus beau diamant il eft permis de voir une tache. Ce n'eft pas que je ne regarde comme une baffeffe cruelle d'infulter la cendre des morts; mais craindre de la troubler par un juste discernement, c'est une foibleffe puérile; & le refpect qui défend de diftinguer dans leurs ouvrages les bons & les mauvais exemples reffemble , proportion gardée, à cette piété fuperftitieuse qui a fi long-temps retardé, pour le malheur du genre humain les progrès de

l'Anatomie,

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Un enthousiaste des anciens eft bien fouvent perfonnage qui veut jouer fon rôle. Ce n'est pas leur gloire, mais fa vanité qui l'anime : n'eft pas leur renommée mais fon opinion

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